LA BIRMANIE VIENT DE CONNAÎTRE UN NOUVEAU COUP D'ÉTAT, LE TROISIÈME DEPUIS SON INDÉPENDANCE EN 1948. LE PAYS QUI A CHANGÉ DE NOM ET S'APPELLE À PRÉSENT LE MYANMAR A VÉCU SOUS UNE DICTATURE MILITAIRE PENDANT PRÈS DE CINQUANTE ANS.
Rappel des faits
De 1962 à 2011, la Birmanie a vécu sous un régime dictatorial qui s'est achevé sous l'impulsion des militaires eux-mêmes. En 2008, ils modifient la Constitution et entament une évolution vers la démocratie. Mais la constitution leur garantit quand même d'immenses privilèges :
- 25% des sièges au Parlement
- l'octroi des ministères-clés que sont l'Intérieur, la Défense et les Affaires frontalières.
En 2011, la junte militaire a officiellement cédé le pouvoir à un pouvoir civil, néanmoins dirigé par un de ses anciens membres.
Win Myint, proche d'Aung San Suu Kyi, sort victorieux des élections de novembre 2015 et devient président le 15 mars 2016 tandis que Aung San Suu Kyi est nommée cheffe du Gouvernement. Convaincus que l'échec de leur parti, le PSDU (Parti de la Solidarité et du Développement de l'Union) aux élections de novembre dernier était dû à une fraude électorale, les militaires décident d'agir. L'Histoire se répète, c'est bien connu. Déjà en 1990, les militaires n'avaient pas digéré que la LND d'Aung San Suu Kyi (Ligue Nationale pour la Démocratie) ait remporté 80% des voix. La réaction a été immédiate : annulation des élections et assignation à résidence pour Aung San Suu Kyi qui a été libérée le 13 novembre 2010.
Le 1er février dernier, Win Myint et Aung San Suu Kyi sont arrêtés ainsi que de hauts représentants de la LND. Le général Myint Swe est nommé président par intérim mais son poste est purement honorifique car dans les faits, les pouvoirs (législatif, administratif et judiciaire) sont concentrés dans les mains du tout-puissant chef de l'armée Min Aung Hlaing.
Il ne fait aucun doute que l'armée birmane gouverne par la peur et n'hésitera pas à riposter par la force en cas de démonstrations en faveur d'Aung San Suu Kyi, encore très populaire malgré la crise des Rohingyas de 2017. Il faut dire que cette communauté musulmane minoritaire ne suscite guère la compassion parmi la population birmane. À l'époque, les Rohingyas ont été victimes des exactions des milices bouddhistes et de l'armée qui a agi sans l'aval du gouvernement. Soucieuse de ménager les militaires, Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix en 1991, avait tenté de minimiser les faits. La Birmanie a alors été accusée de génocide devant la Cour Internationale de Justice (CIJ) et l'image de la Dame de Rangoon écornée.
Le dernier coup d'État en date a indigné la communauté internationale et suscité la réunion du conseil de sécurité de l'ONU dès le 2 février. D'éventuelles représailles risquent d'avoir peu d'effets, la Birmanie bénéficie du soutien, quoiqu'implicite, de la puissante Chine.
Pourquoi la Thaïlande est concernée
Des Thaïlandais pourraient être évacués
Bloqués en Birmanie, des ressortissants thaïlandais pourraient bien être évacués si la violence s'aggrave. Selon le porte-parole du Ministère des Affaires étrangères, l'ambassade de Thaïlande à Rangoon signalent que les manifestations contre le Gouvernement militaire ne faiblissent pas, bien que les livraisons de vivres continuent.
Les autorités thaïlandaises qui suivent la situation de près conviennent qu'elle n'a pas encore atteint son point critique. Mais l'ambassade a mis sur pied un plan d'évacuation pour ses ressortissants si la violence s'intensifie.
Le porte-parole de l'armée de l'air, M. Thanat Chanamphai, déclare que la 6 e Escadre basée à l'aéroport de Don Mueang a reçu l'ordre de préparer une flotte d'avions de transport C-130. Elle sera prête au cas où le Gouvernement assignerait une mission pour ramener les Thaïlandais chez eux.
De son côté, M. Tanee Sangrat, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, a appelé à une désescalade de la violence et ajouté qu'il travaillait avec les pays du Sud-Est asiatique pour trouver une solution de paix.
Trafic de drogue en hausse
Suite au coup d'État militaire de son voisin, la Thaïlande s'attend à une augmentation du trafic de drogue et surveille de près ses frontières. Les saisies de yaba, le nom local donné aux méthamphétamines, ont connu une hausse record au cours des six derniers mois avec plus de 80 millions de comprimés.
À la fin des années 1990, la Birmanie représentait 50% de la production mondiale d'opium brut et environ 75% de l'héroïne mondiale. Au cours des dernières années, elle est devenue le plus gros producteur mondial d'amphétamine et le deuxième exportateur d'opium derrière l'Afghanistan.
La production et le trafic de drogue ont longtemps été soutenus par le gouvernement birman qui percevait des impôts sur les plantations de pavot. D'autre part, le prix du thé, fixé par la capitale, était volontairement réduit, pérennisant ainsi la culture du pavot dans des régions contrôlées par des milices pro-gouvernementales. Ce trafic était tellement juteux que la police, les forces de sécurité et les garde-forestiers récupéraient des taxes sur les plantations de pavot. Très proches du pouvoir, les dirigeants des forces de sécurité (les milices) bénéficiaient du soutien de l'armée birmane et de l'impunité judiciaire.
Ainsi, Lo Hsing Han, considéré comme le plus gros trafiquant d'héroïne au monde, a reçu le soutien de la junte militaire et dirigé jusqu'à 17 usines d'héroïne en Birmanie. En échange de toute impunité, il devait constituer une organisation paramilitaire destinée à combattre les groupes armés des minorités shans.
Le putsch du 1er février a donné un coup d'arrêt à l'économie légale birmane. Selon l'ONU nous devrions assister à une recrudescence de la production de drogues de synthèse, principale ressource financière du crime organisé et des milices. La situation actuelle est du pain bénit pour eux et les troubles actuels sont une opportunité pour renforcer leurs positions. Mais ils profitent aussi à des groupes d'insurgés qui sévissent dans les zones frontalières avec le Laos et la Thaïlande. Le Triangle d'Or , aux confins de la Thaïlande, du Laos et de la Birmanie est connu depuis des décennies pour être au centre de la production de drogues en Asie du Sud-Est.
À l'heure actuelle, l'offre est si abondante que les prix ont chuté à Bangkok, le comprimé de méthamphétamine se vend aujourd'hui à 50THB. Si vous êtes à Bangkok en ce moment, ce n'est pas une raison pour en profiter. La possession et la consommation de drogue sont sévèrement réprimées en Thaïlande.
Le renforcement des patrouilles à la frontière birmane ne dissuade pas les trafiquants et le gouvernement thaïlandais estime que près de 75% de la drogue entre sur son territoire via le Laos. La surveillance est difficile : manque d'équipement (matériel de vision nocturne, capteurs de mouvements...) et de personnel. Les autorités ont donc fait appel à des volontaires dans les villages qui bordent le Mékong pour surveiller les trafiquants. Certains d'entre eux tentent de se mêler aux pêcheurs mais ils sont vite repérés car ils restent à l'écart et évitent les rives du fleuve. D'autre part, la surveillance des groupes de villageois s'intensifie à l'aube et au crépuscule au moment de la relève des patrouilles, moment choisi par les trafiquants pour échapper à la vigilance de la police mais pas à celle des villageois déterminés à les débusquer.
Des réfugiés inquiets
Dans les villages reculés du nord de la Thaïlande, des habitants de l'ethnie Karen ont fui la Birmanie il y a plusieurs décennies pour échapper aux assauts de l'armée contre leurs rebellesdans l'est du pays. La junte militaire a intensifié ses attaques contre l'état Karen vers le milieu des années 1990, poussant de nombreux habitants à trouver refuge en Thaïlande, de l'autre côté de la frontière.
L'arrivée de nouveaux réfugiés ravive des souvenirs douloureux à ceux qui ont fui les persécutions il y a plus de vingt ans. Même s'ils se sont intégrés, certains ont ouvert des commerces dans leur village, d'autres souhaitent retraverser le fleuve et rêvent d'une Birmanie où ils pourraient vivre en paix.
Depuis la fin mars, les militaires mènent des attaques aériennes contre les positions de l'UNK (Union Nationale Karen), ce qui n'était pas arrivé depuis une vingtaine d'années. Environ 7 000 personnes ont fui leurs villages dont près de 3 000 se sont enfuies en Thaïlande.
Les réfugiés blessés sont soignés dans un petit hôpital local, les autres ont été renvoyés par les autorités thaïlandaises qui affirment qu'ils sont rentrés volontairement... Cependant, les groupes Karen de défense des droits humains ne voient pas les choses de la même façon et accusent la Thaïlande de les avoir forcés à retourner en Birmanie.
Avant les années 1990, les Birmans de l'état Karen allaient et venaient en Thaïlande pour vendre leurs produits. Aujourd'hui, faute de " personnes qui vivent de l'autre côté ", selon l'expression de K'nyaw Paw (cheffe de l'organisation des femmes Karen) le commerce se porte moins bien, ajoutant des difficultés financières à des personnes fragilisées.
Le mot de la fin revient à cet homme de 75 ans, arrivé en Thaïlande il y a 30 ans : " Si les militaires en Birmanie étaient vraiment des gens bien, ces réfugiés n'auraient pas eu à quitter leurs maisons. "
Sources : toutelathailande.fr ; ouest-france.fr ; reuters.com ; nationthailand.com ; lepoint.fr ; AFP