Comment la chute d’une météorite a précipité la guerre entre l’Autriche et la France. La météorite d’Ensisheim, tombée en 1492 devant les murs de la capitale de l’Autriche antérieure, constitue un événement historique pour plusieurs raisons. Remontons le temps en cette année charnière où le moyen-âge prit fin !
En ce 12 octobre de l’an 1492
Parti d’Espagne le 3 août, l’expédition de Christophe Colomb atteint les Bahamas. C’est la découverte de l’Amérique… même si, jusqu’à sa mort, Colomb croira qu’il avait atteint la côte orientale de l’Asie.
Cet événement n’en demeure pas moins retentissant et ouvre une nouvelle ère. Pour l’historiographie occidentale, cette date marque la fin du moyen-âge et le début d’une nouvelle époque : les Temps modernes. Ceux-ci dureront jusqu’à la Révolution française.
Le monde est donc en train de changer. Ou du moins la perception qu’on en a.
Et une dynastie allait régner sur une grande partie de ce Nouveau monde aux 16e et 17e siècles : les Maison de Habsbourg.
Mais revenons en 1492.
En ce 7 novembre de l’an 1492
En fin de matinée (peu après 11h), un prodigieux événement se produit dans le ciel, à la vue de tous les habitants du Rhin supérieur. Après avoir provoqué un vacarme assourdissant, un objet tombe à vive allure en laissant derrière lui une trainée lumineuse.
La pierre vient s’écraser dans un champ aux abords de la ville d’Ensisheim en Autriche antérieure, creusant un cratère d’une profondeur d’un mètre.
Un jeune garçon, seul témoin de la chute dans les champs, révèle aux habitants d’Ensisheim où se trouve le point de chute.
Aussitôt, une foule de curieux accourent pour observer le cratère.
Bande de vandales !
On se jette dessus pour mutiler la pierre.
On imagine que les villageois, superstitieux, sont trop heureux de se saisir de morceaux de pierres venus du ciel.
De vrais porte-bonheur, pardi !
Heureusement le Landvogt (sorte de maire de l’époque) intervient en personne pour arrêter cet acte de vandalisme. Il ordonne que la pierre soit transportée devant l’église.
Maximilien Ier entre en scène
La météorite intéresse le jeune Maximilien d’Autriche. L’héritier de la famille des Habsbourg et prétendant au trône du Saint-Empire arrive avec sa cour le 26 novembre à Ensisheim pour admirer la météorite.
Il demande à ce que la pierre soit suspendue dans le chœur de l’église. Elle y restera jusqu’à la Révolution française où elle sera conservée au Musée Unterlinden à Colmar durant dix ans.
La précieuse météorite revient à Ensisheim après la Révolution et, à la suite de l’effondrement du clocher de l’église dans les années 1850, on exposera la pierre au palais de la Régence.
Pourquoi la météorite d’Ensisheim est historique ?
L’incident a son importance car c’est la plus ancienne météorite dont la chute a pu être observée, et ce par toute une population.
On raconte en effet que le bruit fracassant fut entendu sur un rayon de plus de 150 km. La détonation de la météorite perçant l’atmosphère aurait été plus forte à Lucerne en Suisse centrale qu’à Ensisheim même.
La terre est constamment bombardée de météorites (une vingtaine de chutes par an) mais elles passent inaperçues en raison de l’étendue des océans et des déserts. Ainsi, la météorite d’Ensisheim est la première à avoir été recueillie et conservée dans le monde occidental.
Sa chute dans l’atmosphère terrestre provoqua une puissante détonation qui lui valut le surnom de “pierre de tonnerre” (en allemand : Donnerstein).
D’après les sources de l’époque, la météorite aurait plongé du ciel pour s’écraser dans un champ de blé quelque part entre Ensisheim et Battenheim, dans un lieu situé entre l’Oberfeld (un champ) et le Gissgang (qui me semble être un petit cours d’eau tributaire de l’Ill).
Ce qui nous permet de situer grossièrement le site de l’impact.
Si vous avez des sources fiables de l’endroit exact où le jeune enfant avait découvert la météorite, merci de me le faire savoir ! 🙂
La météorite d’Ensisheim : un message divin ?
La première mention écrite de l’événement date de quelques jours seulement après la chute. On la doit à Sébastien Brant (1458-1521), professeur de littérature à l’université de Bâle.
Sébastien Brant s’empara immédiatement du fait-divers pour l’interpréter à des fins politiques. Cela lui permettait d’en assurer la connaissance et surtout d’en contrôler le sens.
Et pour cela, le satiriste allemand avait un outil fabuleux à sa disposition : l’imprimerie.
En effet, le premier livre européen imprimé par Gutenberg avec des caractères mobiles date de 1451. Autant dire, c’est encore une technologie récente !
Et Brant créa le buzz !
En un temps record, les presses de Bâle, Reutlingen et Strasbourg publièrent quatre tracts illustrés avec un titre accrocheur.
Le document comprenait deux colonnes : une en latin (à gauche), l’autre en allemand (à droite). Et surtout, elle contenait une habile remontrance à Maximilien d’Autriche, futur empereur du Saint-Empire.
C’est ça, c’était les réseaux sociaux avant l’heure.
Dieu va punir les Français !
Après avoir détaillé la chute de la météorite, Brant se lance dans une interprétation à des fins politiques. Le phénomène “divin” est associé à deux camps :
- les gentils (les Autrichiens) et
- les méchants (les Français).
Ceux qui ont tremblé en entendant le vacarme (les Français) doivent être punis, et les Impériaux récompensés.
Sous-entendu, il s’agit d’encouragements “divins” adressés à Maximilien d’Autriche pour qu’il déclare la guerre au roi de France, Charles VIII.
Brant est formel : la météorite annonce la victoire de Maximilien sur les Français et le commencement d’une ère de prospérité pour les Habsbourg.
De plus, la météorite n’aurait pas pu mieux tomber ! Juste devant les murs de la capitale administrative de l’Autriche antérieure, sur les terres des Habsbourg. En plein dans le mille !
Imaginez si elle était tombée devant Downing Street à Londres à l’occasion du Brexit !
Quel signe… ou quelle aubaine.
Maximilien entre en guerre contre les Français
A la vue de ce signe “divin”, Maximilien déclara la guerre à Charles VIII. Et le 17 janvier 1493, les Autrichiens remportèrent la victoire sur les Français à la bataille de Dournon près de Salins (Franche-Comté).
Le 23 mai, les protagonistes signèrent le traité de paix de Senlis. La succession de Charles le Téméraire, duc de Bourgogne mort lors de la Bataille de Nancy en 1477 est définitivement réglée. Le traité répartit les possessions bourguignonnes de la manière suivante :
- le duché de Bourgogne revient au roi de France. Ce sera la Bourgogne telle qu’on la connait aujourd’hui.
- le comté de Bourgogne reste à la Maison de Habsbourg (à Maximilien Ier). Ce sera la Franche-Comté.
Mais vous connaissez la meilleure ?
C’est que, ironie du sort, Ensisheim est aujourd’hui une ville située… en France !
Eh oui, en 1648, à la signature des Traités de Westphalie, Louis XIV a réussi à lui mettre le grappin dessus !
Où voir la météorite d’Ensisheim ?
Vous pouvez observer la météorite d’Ensisheim au musée de la Régence à Ensisheim.
A sa chute sur la terre, la météorite pesait environ 130 kilos.
A force de prélèvements, la pièce principale exposée à Ensisheim ne pèse plus que 53,831 kg.
On peut retrouver des fragments nettement plus petits dans des musées d’histoire naturelle à travers le monde :- Fribourg-en-Brisgau,
- Berlin (905,7 g),
- Londres (609,2 g) et
- Vienne (453,7 g).
La météorite d’Ensisheim est de type pierreuse (chondrite ordinaire de type LL6).
Et si les météorites vous intéressent, sachez que l’avant-dernier week-end de juin de chaque année, on organise une « Bourse aux météorites » à Ensisheim. Il s’agit d’un événement unique, une bourse-exposition internationale consacrée aux météorites.
Pour en savoir plus sur la météorite d’Ensisheim
Sites de référence
- Découverte d’Ensisheim : ce qu’il faut voir
- La page wikipedia sur la météorite
- La météorite sur le site meteorite.fr
- L’article de Odile Kammerer “Un prodige en Alsace à la fin du 15e siècle : la météorite d’Ensisheim sur persee.fr
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