Albert II de Habsbourg et Jeanne de Ferrette. Un couple de choc qui sauva la dynastie de chacun des époux. Une alliance de deux territoires qui allait former un bastion stratégique pour les Habsbourg. Dans cet article, nous allons faire un saut de 700 ans dans l’Histoire. Là où tout a commencé pour comprendre l’origine du Sundgau autrichien.
Le Sundgau autrichien : une histoire méconnue
Lorsque j’habitais dans le Sundgau, j’ai été fasciné par l’histoire de ce territoire rural au sud de l’Alsace. Vers la fin des années 1990, j’ai épluché de nombreux livres sur le sujet, dont un qui m’a vraiment interpellé.
Soudainement, je découvrais une histoire locale qui n’avait rien à voir avec celle de la France. C’est-à-dire l’Histoire que j’avais apprise à l’école.
J’ai appris que, pendant longtemps, le Sundgau avait appartenu aux Habsbourg d’Autriche. Un Sundgau autrichien qui faisait lui-même partie d’un plus grand ensemble territorial : l’Autriche antérieure.
Un nom presque exotique pour décrire le pays d’origine de la célèbre dynastie autrichienne, qui s’étendait de l’Arlberg (à l’est) à Belfort (à l’ouest). Les peuples allemands l’appelait le Vorderösterreich.
Cet ensemble de territoires habsbourgeois a évolué dans le temps, comprenant au début de son histoire de vastes territoires aujourd’hui situés en Suisse alémanique.
1648 : l’année du changement
En 1648, ce fut le grand choc politique. La signature des Traités de Westphalie (plus précisément à Münster) précipita la fin du Sundgau autrichien. Le roi de France, Louis XIV, réussit un tour de force incroyable : mettre la main sur les territoires des Habsbourg situés sur la rive gauche du Rhin. Ainsi, Ferrette, Altkirch, Belfort, Thann et Ensisheim devinrent français.
Sauf Mulhouse, qui, grâce à son statue de ville libre associée aux cantons suisses, devenaient une enclave protestante au sein de la nouvelle Alsace française.
Mais cet article veut s’intéresser à une période particulière de l’histoire de la Haute-Alsace : quelle est l’origine du Sundgau autrichien. C’est-à-dire, comment est-il entré en possession des Habsbourg d’Autriche ?
Remontons le temps en 1324, il y a près de 700 ans !
Deux dynasties régnantes : les Ferrette et les Habsbourg
Dans un article précédent, je vous ai donné des repères historiques sur le comté de Ferrette.
Pour rappel, il s’agissait d’un territoire qui correspond grosso-modo au Sundgau actuel, plus Thann.
Au nord-est du comté de Ferrette (Landser, Habsheim, Ottmarsheim, Ensisheim), les terres appartenaient à une autre dynastie influente d’Alsace : les fameux Habsbourg.
Bien sûr, les relations entre les deux familles ne furent pas au beau fixe. L’un voulant exercer son influence sur l’autre ! Ah, ces querelles ancestrales !
Mais une série d’événements allait tout changer.
Reprenons l’histoire là où nous l’avions laissée dans notre découverte du comté de Ferrette.
La succession des Ferrette en danger !
Souvenez-vous : en 1324, le comte Ulrich III sentit venir sa fin. Son épouse Jeanne de Montbéliard ne lui avait donné que deux filles : Jeanne et Ursule. Et donc, aucun héritier mâle à qui transmettre ses possessions.
Ainsi, le comté de Ferrette aurait dû échoir à l’évêché de Bâle. Mais Ulrich n’en démordit pas. Et sollicita le pape en personne pour faire autoriser l’impensable : la transmission de son comté par l’intermédiaire de sa fille aînée, Jeanne.
Le pape acquiesça.
Mais avant de connaître la suite de l’histoire, arrêtons-nous un instant sur le sort des Habsbourg, pas mieux lotis !
La succession des Habsbourg en danger !
Ca sentait le roussi chez les Ferrette… et chez les Habsbourg aussi !
Il y a 700 ans, dans les années 1320, les Habsbourg furent condamnés à disparaître pour une raison toute simple : il n’y avait (presque) plus d’héritiers mâles permettant la transmission dynastique.
On commença à réduire les risques avec Albert II (né le 12 décembre 1288 au château de Habsbourg). Alors très jeune évêque de Passau, le futur duc se retira des ordres pour pallier au risque de déshérence de sa famille.
Mais, comme nous allons le voir, ce fut vers la fin des années 1320 que la menace de déshérence devint plus forte.
Mais pour l’heure, place au mariage !
Le Sundgau autrichien devint une réalité !
Le 10 mars 1324, Ulrich III de Ferrette mourut à Bâle. Il fut enterré dans l’église des Franciscains de Thann, en présence de sa fille Jeanne et de son futur époux, Albert II de Habsbourg.
Ulrich put reposer en paix car tout avait été préparé d’avance.
En effet, les deux maisons (Ferrette et Habsbourg) avaient mis au point un scénario complexe pour sceller leur alliance par le mariage.
Cette politique de mariage devint la marque de fabrique des Habsbourg qui fit dire à Mathias Corvinus, Roi de Hongrie, en 1443 :
Les puissants font la guerre,
Toi, heureuse Autriche, tu fais les mariages.
Ce que les autres obtiennent par le glaive,
Toi, tu l’obtiens par l’Amour !
Ainsi, on ne perdit pas de temps pour organiser le mariage de l’héritière du comté de Ferrette et du duc Albert de Habsbourg.
Sept jours après la mort d’Ulrich III, le mariage eut lieu le 17 mars 1324 à Thann, au cours d’une simple cérémonie. Puis, deux mois plus tard, on en organisa une autre avec tous les flonflons devant la noblesse à Bâle.
Jeanne de Ferrette apporta à son mari Albert II de Habsbourg :
- le titre de comte de Ferrette,
- mais aussi la réponse à une nouvelle contrainte des Princes Électeurs du Saint-Empire. Pour être élu empereur, il fallait être descendant de Charlemagne. Jeanne de Ferrette permettra aux Habsbourg de reconquérir la couronne impériale le siècle suivant.
Les Habsbourg : les nouveaux maîtres du Sundgau
Devenu virtuellement comte de Ferrette, Albert II fut dès lors le plus puissant seigneur d’Alsace. Il réunit le noyau initial de ses seigneuries de Landser et d’Ensisheim à celles du comté de Ferrette pour former le plus grand espace territorial d’un seul tenant en Alsace.
Ainsi, les Habsbourg étaient en possession d’un espace hautement stratégique. Une sorte de triangle d’or entre Vosges, Forêt-Noire et Jura.
Le comté de Ferrette apportait aux Habsbourg le contrôle de la route de la Lorraine avec Thann. Ainsi que les accès au couloir Rhin-Rhône par la porte de Bourgogne (ou Trouée de Belfort).
Le couple Albert II – Jeanne de Ferrette dans l’Histoire
Après leur mariage, Albert II et Jeanne de Ferrette s’établirent un temps à Ensisheim, avant de déménager pour Vienne en 1330.
Rapidement, le mariage d’intérêt politique se transforma en mariage d’amour. En tout cas, c’est ce que laisse penser leur correspondance intime !
Albert le Sage, prince de la Paix
En 1338, une invasion de sauterelles occasionna d’énormes dégâts en Europe centrale, de la Pologne à l’Italie et de la Hongrie aux régions du Rhin Supérieur.
Cet événement donna lieu à des persécutions de Juifs. On raconte qu’Albert II se serait engagé personnellement et avec autorité pour interdire les pogromes.
Albert joua le rôle de médiateur dans plusieurs affaires politiques :
- le conflit qui opposa l’empereur Louis IV au pape Benoît XII,
- les négociations entre Louis IV, Philippe VI de France et Édouard III d’Angleterre.
Jeanne l’ambassadrice
Les époux gérèrent ensemble leurs biens communs. Lorsque Albert devint invalide, suite à une polyarthrite, Jeanne seconda son mari à de nombreuses occasions.
Elle fut active en politique chaque fois que cela fut nécessaire. Ainsi, elle n’hésita pas à jouer le rôle d’ambassadrice pour les intérêts de des territoires autrichiens.En 1345, elle rencontra le pape en Avignon pour lui demander un prélèvement de 10% sur les biens de l’Eglise en Autriche, Styrie et Carinthie. Bien sûr, le pape refusa… mais Jeanne ne manquait pas d’audace !
On retrouve également son nom sur divers documents signés à Altkirch en 1325, 1335, 1338 et 1342, à Bâle en 1335 et 1338.
Jeanne de Ferrette fut également la fondatrice d’un hôpital à Belfort.
Les deux époux se sont aussi consacrés aux travaux de la cathédrale Saint-Etienne de Vienne et participèrent à l’inauguration du chœur.
Albert II et Jeanne : un couple stérile ?
Cependant, le couple demeura longtemps sans enfant. Ce qui ne manqua pas d’aggraver la situation de la Maison d’Autriche. Aucun des frères d’Albert n’ayant eu de descendance mâle, on pouvait se poser des questions sur l’extinction pure et simple de la dynastie des Habsbourg !
- Le frère aîné d’Albert, Frédéric le Beau, n’avait eu qu’une fille. Il mourut en 1330.
- L’autre frère, Léopold (mort en 1326) n’avait laissé qu’une fille également.
Le sort de la famille était entre les mains du cadet, Albert II. Sans fils, c’en était fini des Habsbourg.
En 1337, Albert II et Jeanne entreprirent un pèlerinage à Aix-la-Chapelle pour obtenir la grâce d’enfanter. Ce pèlerinage marial n’avait lieu que tous les 7 ans. C’était donc l’occasion ou jamais.
Les Habsbourg sont sauvés de la disparition !
Au bout de 15 ans de mariage, un miracle s’accomplit. Jeanne donna naissance à son premier fils, à 39 ans (un âge avancé à cette époque !)
La sauvegarde de la dynastie Habsbourg (et son héritage) était assurée. On parlerait encore des Habsbourg dans nos livres d’histoire !
D’autant plus que Jeanne donna plus tard naissance à six autres enfants…
Adieu Jeanne
Le 17 décembre 1351, Jeanne mourut à 51 ans dans sa maison de Niederscheibbsegg près de Scheibbs (Autriche), en donnant vie à celui qui deviendra Léopold de Habsbourg.
Elle fut inhumée dans le chœur de la chartreuse de Gaming que le couple avait fondée. Sept ans plus tard, son époux Albert II mourut à Vienne le 20 juillet 1358. Sa dépouille rejoignit celle de Jeanne à Gaming.
Si vous avez l’opportunité de visiter la chartreuse de Gaming en Autriche, remarquez le tombeau qui porte les armes de l’Autriche, de la Styrie, de la Carinthie et les deux poissons de Ferrette.Jeanne de Ferrette, une mère de l’Europe ?
On a coutume de surnommer la reine Victoria “la grand-mère de l’Europe”.
De son côté, Jeanne de Ferrette peut effectivement prétendre à ce titre… même si notre comtesse sundgauvienne demeure beaucoup moins connue.
De sa descendance naîtront des empereurs du Saint-Empire romain germanique, des rois d’Espagne, des ducs des Pays-Bas et de Belgique, des rois d’Italie, des rois de France, des archiducs d’Autriche puis empereurs d’Autriche-Hongrie, l’Aiglon (fils de Napoléon Bonaparte). Bref, que du beau monde !
Pour en savoir plus sur le Sundgau autrichien
Sites de référence
- Découverte du Sundgau
- La cité historique de Ferrette et ses châteaux
- Le site de l’Office de Tourisme du Sundgau
Je vous conseille Le Sundgau, bastion Habsbourg de Jacques Vigneron (1996).
Le livre est préfacé par un lointain descendant d’Albert II et de Jeanne de Ferrette : Otto de Habsbourg. Je ne l’ai pas retrouvé sur internet (édition épuisée) mais si l’envie vous dit d’en savoir plus, voici le lien amazon.
Une épingle pour Pinterest
En savez-vous plus sur Albert II de Habsbourg et Jeanne de Ferrette ? Des dates-clés de leur vie, des anecdotes ? Si oui, dites-moi tout dans les commentaires 🙂
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