Envie de découvrir des régions naturelles insolites en Alsace ? Et sortir des clichés “vignoble, géranium et colombages” ? J’ai justement un endroit à vous faire découvrir. Pour cela, rendons-nous tout au sud de l’Alsace, près de la frontière suisse. Eperons et falaises calcaires, grottes et résurgences de rivières souterraines, crêtes couvertes de forêts, vallées couvertes de prairies qu’entourent de petits villages, châteaux en ruine… Voici le Jura alsacien, hors des sentiers battus !
“Le Jura alsacien, ça n’existe pas !”
Je me souviens un jour avoir publié une photo sur Instagram avec pour description :
“Voici une jolie vue du Jura alsacien près de Ferrette”.
Quelqu’un n’a pas tardé à poster un commentaire du genre :
“Le Jura alsacien ? Faudrait revoir votre géographie. Le Jura ne passe pas par l’Alsace !”
A bon entendeur, salut !
Sauf que…
Le Jura alsacien, je le connais bien. Car pendant la décennie 1990, j’ai habité dans le Sundgau (le territoire auquel appartient la montagne).
Et nous l’avons souvent parcouru, notamment à pied, à la découverte de châteaux en ruine et de grottes légendaires…
Eh oui, le Jura “passe” bien par l’Alsace.
Bien sûr, l’altitude moyenne de cette partie du massif (pas plus de 831 m) ne tient pas la comparaison avec les Monts Jura culminant au Crêt de la Neige à 1723 m.
Mais on y retrouve plusieurs caractéristiques jurassiens dont la fameuse roche calcaire !
Le Jura alsacien, qu’est-ce que c’est ?
Le Jura alsacien est une région naturelle située à l’extrémité sud de l’Alsace.
Au sud, le territoire est bordé sur toute sa longueur par la frontière avec la Suisse.
Il s’agit d’une région de petites montagnes et d’étendue limitée appartenant au pays du Sundgau. Et, comme nous allons le voir, le Jura alsacien présente un paysage unique le distinguant nettement des collines du Sundgau et de la plaine d’Alsace.
En venant d’Altkirch, c’est à l’approche de Ferrette que l’on découvre les premiers plis calcaires jurassiens que l’on appelle : le Jura alsacien ou le Jura sundgauvien.
Un paysage au cachet unique
Le Jura alsacien se caractérise par deux séries de chaînons allongés qui sont orientés dans le sens ouest-est :
- l’anticlinal de Ferrette et du Landskron au nord.
- l’anticlinal du Glaserberg au sud.
Entre les deux se trouve une large et profonde vallée. C’est ici que l’Ill, la rivière alsacienne par excellence, prend sa source.
Le Jura alsacien est formé de reliefs calcaires, contrairement au vieux massif voisin des Vosges aux roches non calcaires (granités, grés, schistes, etc).
La roche calcaire blanche-grisée lui confère une identité naturelle et visuelle propre.
Sans surprise, on y retrouve des phénomènes de dissolution de la roche et, par voie de conséquence, d’engloutissement des eaux. Ainsi, c’est dans le Jura alsacien que l’on trouve les seuls phénomènes karstiques en Alsace. Vous vous en apercevrez pendant vos balades dans les montagnes : grottes, gouffres, pertes et résurgences de rivières souterraines, reliefs ruiniformes qui ressemblent à des châteaux en ruine.
Les plus célèbres formations karstiques sont la grotte des nains à Ferrette et les abris sous roche du Mannfelsen à Oberlarg. Dans cette dernière grotte, des fouilles menées de 1971 à 1981 ont permis de découvrir un abondant outillage de silex préhistoriques, ainsi que d’importants vestiges de faune fossile.
Les sommets du Jura alsacien
Le Jura alsacien n’est pas une montagne très élevée. Il culmine à 831 m d’altitude au Raemeisberg. Les autres sommets élevés sont le Glaserberg (811 m), le Horni (785 m) et le Morimont (747 m).
Les crêtes sont couvertes de forêts (et n’offrent que très peu de vues découvertes sur les alentours). Quant aux prairies, elles occupent principalement les combes.
Contrastant avec la plaine d’Alsace, les précipitations y sont abondantes et en font une région humide (la pluviosité annuelle dépasse 1000 mm et l’enneigement peut atteindre 30 à 40 jours par an).
Ceci donne au Jura alsacien un climat résolument montagnard.
L’espace naturel du Jura alsacien
Faune et flore se sont adaptées au climat montagnard de la région.
Les forêts
Les forêts locales sont des hêtraies-sapinières.
Certaines de ces forêts sont relativement jeunes et couvrent une surface qui était auparavant occupée par des exploitations agricoles.
Pour comprendre, il faut remonter à la fin du 19e siècle, à une époque où l’Alsace était allemande (1871-1918).
Alors que l’armée allemande investissait les Vosges du Nord autour du camp militaire de Bitche, l’administration forestière (allemande elle aussi) reçut en échange les terrains d’anciennes exploitations agricoles dans le Jura alsacien pour y planter des épicéas. Ainsi, 125 ha (sur les 465 ha obtenus) furent convertis en pessières.
Les roches calcaires abritent des espèces végétales uniques en Alsace :
- le chèvrefeuille des Alpes (Lonicera alpigena),
- le nerprun des Alpes (Rhamnus alpinus),
- l’athamante de Crète (Athamanta cretensis)…
La flore
Les landes et les prairies de la région montagneuse abritent une flore importante et variée :
- différentes variétés d’orchidées dont l’Orchis pâle (Orchis pollens)
- la gentiane printanière (Gentiana verna)
- le nard raide (Nardus stricto)
- l’agrostide capillaire (Agrostis capillaris)
- le genêt ailé (Genista sagittalis)
La faune
Autrefois, les sombres forêts du Jura alsacien hébergeaient le lynx, le cerf élaphe et l’ours ! Le loup, venu des Alpes, y a fait quelques apparitions ces dernières années…
Aujourd’hui, on peut y apercevoir des classiques de nos forêts françaises : le blaireau, le chevreuil, l’écureuil, le loir, la martre, le renard et le sanglier. Sans oublier le chat sauvage aux abords des lisières et dans les clairières.
Le hibou grand-duc a été réintroduit en 1977 avec succès.
Ne manquons pas de mentionner la vipère aspic, la seule population naturelle de vipères en Alsace.
Les paysages du Jura alsacien
Le Jura alsacien se découvre au travers de forêts profondes et de vallées riantes, d’anciennes chapelles perdues dans la nature, des châteaux en ruine de Ferrette, du Morimont et du Landskron, de l’étang de Lucelle caché dans des brumes magiques…
Au fil des saisons, la région montagneuse se pare de couleurs changeantes, pour le plus grand bonheur des amateurs de nature.
Un peu d’histoire…
Ce petit territoire, appartenant au pays du Sundgau, n’a pas toujours été français. En réalité, de 1324 à 1648, il a fait partie des possessions autrichiennes des Habsbourg. Je vous en dis plus…
L’aventure autrichienne du Jura alsacien
Du 12e au 14e siècles, le Jura alsacien était entre les mains des comtes de Ferrette.
En 1324, la fille du comte de Ferrette épousa Albert II de Habsbourg. À partir de cette date, le Jura alsacien partagea la destinée de l’Autriche.
Ce territoire fut englobé dans le Vorderösterreich, l’Autriche antérieure qui s’étendait de Belfort au col de l’Arlberg. Sa capitale (ou siège de la Régence autrichienne) se trouvait alors à Ensisheim, au nord de Mulhouse.
Le 24 octobre 1648, à l’issue de la guerre de Trente Ans, les Habsbourg perdirent leurs territoires en Alsace au profit du roi de France, Louis XIV. Les Traités de Westphalie modifièrent considérablement les frontières de cette région d’Europe, repoussant les limites du Saint-Empire romain germanique sur la rive droite du Rhin.
De cette aventure autrichienne, il ne reste que quelques traces (la guerre de Trente Ans fut dévastatrice pour le pays et de nombreux bâtiments furent détruits pendant le conflit). Dans le Jura alsacien, on peut mentionner les châteaux de Ferrette et de Landskron.
Le lien historique avec le Jura suisse
On l’a vu, le sud de la petite région naturelle est bordée par la frontière suisse.
- A l’est, l’agglomération de Bâle étend son influence jusqu’à Leymen.
- Au sud, la D432 franchit la frontière à Lucelle en direction de Delémont, le chef-lieu du canton du Jura.
- A l’ouest, les premiers contreforts du Jura poursuivent leur lancée vers Porrentruy.
C’est à un kilomètre de la frontière, au château du Morimont, que se joua une partie de l’histoire du canton suisse du Jura.
Le château du Morimont date du 12e siècle et fut détruit en 1635 pendant la guerre de Trente Ans.
En 1808, ses ruines furent rachetés par Aaron Meyer, un natif du Sundgau installé à Genève. Puis, en juillet 1826, quatre exilés suisses en France se rassemblèrent au château : Xavier Stockmar, Olivier Seuret, Auguste et Louis Quiquerez. Ces fervents défenseurs de la cause jurassienne firent le serment de « délivrer le Jura de l’oligarchie bernoise ».
En effet, un conflit existait (et existe encore !) entre le peuple jurassien et le Canton de Berne. Le serment fut le point de départ de la lutte contre Berne qui mena en 1979 à la création de la République et Canton du Jura. Ainsi, le château du Morimont entra dans l’histoire du 23e canton suisse !
Les sites incontournables du Jura alsacien
Cité médiévale, villages opulents, châteaux en ruine… voici les sites incontournables du Jura alsacien.
La cité historique de Ferrette
La petite capitale du Jura alsacien est Ferrette. Cette cité historique marque l’entrée dans le Jura alsacien dans un site pittoresque. Les habitations s’accrochent au flanc d’un énorme rocher de calcaire blanc, coiffé des ruines des deux châteaux des comtes de Ferrette.
Le centre du bourg a conservé ses coquettes rues tortueuses et quelques places paisibles, dont la place des Comtes.
Pour découvrir Ferrette plus en détail, je vous invite à lire cet article dédié à la cité historique.
La source de l’Ill à Winkel
Il faut se rendre à Winkel, petit village adossé au Glaserberg, pour découvrir la source de l’Ill, la rivière emblématique de l’Alsace.
Depuis 1591, l’endroit précis de la source prend le nom de Illentsprung (origine de l’Ill). Vous le trouverez dans une prairie (un ancien verger).
L’Ill ne traverse pas Ferrette mais contourne la cité historique par Oltingue à l’est.
La rivière, véritable épine dorsale de l’Alsace longue de 216 km, traversera ensuite Altkirch, Mulhouse, l’est de Colmar et de Sélestat et Strasbourg.
Pendant que vous êtes à Winkel, profitez-en pour visiter l’intérieur de l’église Saint-Laurent. Les deux autels latéraux baroques proviennent de l’ancienne abbaye de Lucelle, disparue en 1804.
Le village frontalier de Lucelle
Lucelle est nichée dans l’étroite vallée de la rivière éponyme, à la frontière avec le canton suisse du Jura.
D’après les statistiques de 2017, c’est la moins peuplée des communes du Haut-Rhin avec 36 habitants, les Lucellois. C’est également la commune située la plus au sud de l’Alsace.
La vingtaine de maisons du village a été construite sur les ruines de l’abbaye de Lucelle. L’abbaye cistercienne jouissait d’une grande influence dans la région, comptant jusqu’à sept filiales en Alsace, Franche-Comté, Jura suisse, Bade et Bavière. Elle cessa son activité pendant la Révolution française, avant d’être détruite en 1804.
Le château du Morimont
Le château du Morimont est situé à 522 m d’altitude sur la commune d’Oberlarg, à un kilomètre de la Suisse.
Ce monument historique (depuis 1841) fut mentionné pour la première fois en 1183. Détruit par le terrible tremblement de terre de Bâle en 1356, il fut reconstruit par les Morimont, vassaux des comtes de Ferrette. La dynastie le conserva jusqu’en 1582, année à laquelle il fut vendu aux comtes d’Ortenbourg-Salamanca.
La guerre de Trente Ans lui fut fatal. Occupé en 1632 par les Suédois, il fut complètement détruit par les troupes françaises le 2 avril 1635.
Le Conseil départemental d’Alsace assure la conservation du site et y effectue des travaux de restauration.
La chapelle d’Hippoltskirch et les autruches de Sondersdorf
Entre Sondersdorf et Radersdorf, la chapelle de Hippoltskirch est un monument historique qui date du 18e siècle. Toutefois, la première mention du sanctuaire remonte à 1144. Pendant le moyen-âge, la chapelle devint un lieu de pèlerinage dédié à Saint Hippolyte.
Prenez la D23 en direction de Sondersdorf pour bénéficier d’une jolie vue sur le village adossé à une colline boisée. Dans le village se trouve une ferme unique en son genre : un élevage d’autruches et d’émeus. Créée en 1995 par la famille Zundel, l’activité d’élevage de ces oiseaux coureurs au cou très long se visite sur rendez-vous.Oltingue : son musée et ses sanctuaires
Le village d’Oltingue jouit d’une belle situation au pied d’une colline boisée.
L’église Saint-Martin-des-Champs
A l’ouest du village et perdue dans les champs, l’église Saint-Martin-des-Champs porte bien son nom ! Le vieux sanctuaire date du 14e siècle et abrite des tombes des 7e et 8e siècles, ainsi que des fresques antérieures à 1350 représentant notamment des personnages bibliques.
Le Musée Paysan d’Oltingue
Créé dans les années 1970 par l’abbé Bilger, un amoureux de son terroir, le musée paysan d’Oltingue se situe dans une maison à colombages des 16e et 17e siècles.
Ce musée renferme des collections évoquant les traditions sundgauviennes d’antan : ustensiles, accessoires, mobiliers, équipements, vieux métiers à tisser, four à pain, four en faïence, moules à Kougelhopf…La chapelle Saint Brice
Dans une clairière des environs d’Oltingue se trouve également la chapelle Saint-Brice. Mentionnée dès 1361, elle fut un haut-lieu de pèlerinage et abrite un magnifique autel baroque.
Le château du Landskron
Perché sur une haute colline entre Leymen (France) et Hofstetten-Flüh (Suisse), le château du Landskron est un monument historique construit au 13e siècle.
Cette forteresse des Habsbourg leur permettait de surveiller le Sundgau oriental et notamment le coude du Rhin à Bâle.
Le château devint français en 1648 puis Louis XIV chargea Vauban de le restructurer.
Ce furent les Autrichiens et les Bavarois qui le détruisirent en décembre 1813, au début de la campagne de France. Le donjon fut épargné, nous permettant aujourd’hui de monter à son sommet.
Une jolie vue nous y attend sur les collines du Sundgau déferlant vers le Rhin aux environs de Bâle, encadrées par les Vosges et la Forêt-Noire.
La gare à colombages de Leymen
Si vous passez par Leymen, ne manquez pas la seule gare à colombages que je connaisse en France :
Il s’agit en fait d’une station de la ligne 10 du tramway de Bâle construite en 1910. Un moyen de transport tout à fait pratique pour les nombreux travailleurs frontaliers qui résident dans cette partie du Sundgau !
Une terre de légendes et de croyances
Comme dans le reste du Sundgau, le Jura alsacien abrite de nombreuses églises ou chapelles qui évoquent des croyances ancestrales et peu connues.
Cette terre de tradition catholique est, de par son relatif isolement, connue pour son attirance pour la sorcellerie et le fantastique. De fortes superstitions séculaires se révèlent ici et là, sur les façades des maisons, les calvaires, les sites de villages disparus pendant la guerre de Trente Ans…
Les sombres forêts, l’aspect austère de la montagne et ses formations géologiques faites d’éperons rocheux, de falaises et de grottes sont propices à la création de légendes.Ainsi, la plupart des légendes du Sundgau proviennent du Jura alsacien. Celles-ci sont évoquées dans l’événement de la Forêt enchantée d’Altkirch en décembre.
Celles-ci sont mises en scène à Altkirch pour constituer « la Forêt enchantée ». Il s’agit d’un événement créé par la ville d’Altkirch pendant le temps de Noël.
Où séjourner dans le Sundgau ?
Le Jura alsacien fait partie du Sundgau, un territoire rural assez vaste entre Belfort, Mulhouse et Bâle. Vous trouverez plusieurs idées d’hébergement en cliquant ici. Ou bien, laissez-vous guider en navigant sur la carte ci-dessous :
Découvrez le Jura alsacien
Sites de référence
- Découverte du Sundgau
- La cité historique de Ferrette et ses châteaux
- Le site de l’Office de Tourisme du Sundgau, Sud-Alsace
Le Rendez-Vous #EnFranceAussi
Pour ce rendez-vous de l’événement #EnFranceAussi, le thème choisi par Mitchka du blog Fish and Child est “En pleine nature”. Ce RV interblogueurs, initié par Sylvie du blog Le coin des Voyageurs, a pour objet de (re)-découvrir les beautés de la France.
Découvrez les articles de ma participation à l’événement interblogueurs #EnFranceAussi. Cliquez sur le lien ici pour les lire !
Avez-vous visité le Jura alsacien ? Si oui, qu’est-ce qui vous a plu dans la découverte de ce terroir alsacien ? Laissez un commentaire ci-dessous 🙂
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