Unique de son genre, l’ancien port de Hoi An se différencie de toutes les autres villes asiatiques par un beau trio architecture/plage/campagne. Victime de son succès, ce patrimoine de l’Unesco est assiégé par la surfréquentation. C’est un cas d’école pour parler du changement climatique qui laisse des cicatrices durables sur la population locale
Depuis la reconnaissance par l’Unesco en 1999, Hoi An ne cesse de figurer dans les magazines prestigieux. En 2019, la cité fut à la cinquième place parmi les top 10 villes en Asie selon le magazine Travel&Leisure Il suffit de faire de la recherche sur Google pour se rendre compte de sa popularité. En revanche, le revers de la médaille est aussi à la hauteur de son succès. La hausse sans précédent du nombre de touristes a profondément défiguré son écosystème déjà fragile. Dans l’espoir de neutraliser les impacts négatifs, cet article vous explique en détail les enjeux qui entourent la ville
Défi de la croissance fulgurante du tourisme
Lors de nos vacances en famille à Hoi An en 1996, c’était un faubourg paisible. Le terme « tourisme » n’existait pas dans le vocabulaire des habitants qui pratiquaient essentiellement de l’agriculture. Trois ans plus tard, l’étiquette Unesco fut fièrement affichée à l’entrée du centre historique. Avec un coup de pouce promotionnel, la ville a attiré quelque 160,000 visiteurs. Et puis, en 2019, l’ancien Faifo a dépassé la barre de 5 millions de visiteurs ! Le gouvernement a constamment souligné ce miracle comme un exploit économique.
Une hausse inquiétante
Selon l’infographie, on peut facilement remarquer que le boom touristique de Hoi An est essentiellement lié à deux facteurs :
- Accessibilité géographique grâce à l’explosion des vols charters internationaux et des vols low cost domestiques vers l’aéroport de Danang. Hoi An est située seulement à 30km par rapport à Danang.
- Augmentation de la capacité hôtelière avec des projets de construction qui poussent comme les champignons. Ce mouvement est stimulé par les dirigeants politiques, notamment suite à la montée au pouvoir du Premier ministre Nguyen Xuan Phuc.
Dans la compétition féroce contre la voisine thaïlandaise, le pays se vante d’un tourisme qui augmente de manière exponentielle. Toutefois, le déséquilibre hallucinant entre la population locale et le volume de touristes est en train de détruire l’âme de Hoi An. En effet, pour une population de 150,000 habitants, la cité ne tient pas le coup face à 5 millions d’envahisseurs.
Cette armée de touristes est composée de plusieurs nationalités. Les Vietnamiens représentent 25%. Pour le reste, on constate une grosse partie des Chinois et Sud-Coréens. Ce phénomène date des années 2015-2016. Dans la course aux chiffres, l’État a favorisé exprès l’augmentation des vols directs depuis les deux pays. En plus, les Sud-Coréens sont exemptés de visa, ce qui facilite leur accès au Vietnam. Par contre, l’État n’a pas anticipé les effets pervers que cela génère. L’arrivée massive des Asiatiques marque la fuite des Occidentaux, à l’instar de Nha Trang. Les autorités locales n’ont pas précisé les statistiques, mais reconnaissent un déclin graduel des marchés occidentaux. Traditionnellement, les touristes occidentaux rapportent plus de recettes que leurs homologues asiatiques. Le remplacement des Occidentaux par les Asiatiques n’entraîne pas nécessairement des bienfaits escomptés. Le gouvernement local a reconnu une chute libre du taux d’occupation des hôtels dès 2018, mais n’a trouvé aucun moyen pour renverser la tendance.
La guerre des Nations
À l’instar de Dubrovnik, le centre historique de Hoi An est très compact. L’ensemble des bâtiments représente une minuscule superficie d’un kilomètre carré. Les ruelles ne sont pas conçues pour absorber le raz de marée humain. Concrètement, le pic intervient entre 15h et 21h avec environ 15,000 visiteurs. Le pire est au soir, puisque Hoi An est marketée comme « ville des lanternes ». Les gens viennent profiter du cadre Hor du temps avec des lampions illuminés partout.
Même si toute la zone est piétonne, la congestion humaine est récurrente. Nous avons fait des tests sur place pour mesurer le temps de visite. Pour parcourir une distance de 200m, il faut compter 10 minutes ! C’est encore plus vrai quand on s’approche du pont Japonais, l’icône de Hoi An.
Le surtourisme de Hoi An nous rappelle des sièges militaires au Moyen Âge. Avant de prendre l’assaut, on installe les machines de guerre jusqu’à la porte de la cité. À l’époque médiévale, c’était des casernes, trébuchets, beffrois et béliers. Aujourd’hui, les casernes sont les hôtels. Les beffrois sont les autocars. Les trébuchets sont les parcs de stationnement. Et les béliers sont les guides-accompagnateurs qui portent les étendards de leur tour opérateur. Enfin, les fantassins sont les touristes armés de caméra et d’appareil photo. Face à la coalition multinationale des touristes trop puissante, la vieille ville de Hoi An capitule. Elle possède à peine 4 guichets de billetterie pour défendre l’accès.
Puisque c’est une ligue de plusieurs armées d’origine diverse, elles ne s’entendent pas toujours. Chaque armée veut s’emparer des meilleures parts du gâteau. Du coup, le clash culturel devient parfois une forme de discrimination méprisante. La presse internationale n’en parle point, mais le conflit entre les touristes est assez fréquent, notamment entre la communauté vietnamienne et les étrangers. Voici quelques exemples saillants :
- En 2017, The Deck House a chassé des Vietnamiens pour laisser place aux Occidentaux. La raison : les Vietnamiens bruyants dérangent la tranquillité de leurs « chouchous blancs »
- En 2019, Cyclo’s Road Café a suscité une levée de boucliers. Sous prétexte de servir exclusivement les « Blancs », l’établissement a refusé directs des Vietnamiens.
Vous remarquerez que sur Tripadvisor, ces adresses ont un super score noté essentiellement par les clients occidentaux. Par contre, dès qu’on bascule vers la version vietnamienne, le résultat est à l’opposé. Le terme « racisme » est assez fréquent dans les commentaires.
Ce qui nous rend tristes, c’est que cette attitude discriminatoire pro-occidentale anti-Viet n’est pas rare. Les deux cas cités ici ont atteint un niveau flagrant pour que la presse locale en parle. Au cours de notre carrière en tant qu’agence réceptive, nous avons constaté plein d’autres cas similaires qui concernent resorts, restaurants, bars, café, etc.
Changement climatique et inondation imprévisible
L’aménagement urbaniste est un casse-tête pour Hoi An qui est un cas assez spécifique. Située à cheval entre la côte et la campagne, la cité possède trois caractéristiques recherchées par les touristes : vieilles pierres, charme bucolique et farniente à la plage. C’est une recette qui plaît à n’importe quelle nationalité. Cependant, c’est aussi l’origine des problèmes environnementaux que la ville connaît depuis une dizaine d’années.
Sous l’égide d’UNESCO, le centre historique est protégé. Cela implique l’interdiction de faire des constructions qui déforment des édifices classés. Ainsi, c’est interdit d’y installer un resort ou hôtel. Du coup, comment fait-on pour accueillir le volume des touristes en forte croissance? Les investisseurs malins vont construire les hôtels aux alentours de la vieille ville. C’est la première phase de développement hôtelier. Au fil du temps, les constructions s’étalent sur la côte et à la campagne, en fonction du goût des touristes.
Résultat : en 1999, il y a eu 17 hébergements. En 2019, on a recensé 704 (selon Département du Tourisme et du Sport de la Province Quang Nam). L’État ne tient pas compte des constructions « en cachette » qui devraient être légion dans la campagne alentour.
Les constructions intensives démontrent une urbanisation mal contrôlée qui dénature complètement le paysage de Hoi An. Ce qui est dangereux, c’est que la bétonisation excessive se passe vers le littoral qui protège Hoi An depuis des siècles. Les resorts poussent comme les champignons à l’embouchure du fleuve Thu Bon, ce qui modifie profondément les courants. C’est pourquoi Hoi An enregistre des anomalies climatiques depuis une dizaine d’années. À l’image de Venise, Hoi An doit faire face à une disparition définitive, au fond de l’océan un jour.
Érosion des plages Cua Dai et An Bang
L’urbanisation du littoral est un vieux sujet de Hoi An, qui date des années 2000 déjà. La première vague de touristes occidentaux aime faire se faire bronzer à la plage. Pour répondre à cette demande, une poignée de resorts furent installés à la plage Cua Dai.
Située à l’embouchure du fleuve Thu Bon, cette bande de terre de 7km sert normalement à protéger la cité contre l’invasion de la mer. Les signes d’érosion côtière avaient été avertis au début des années 1990, ce qui confirme la fragilité du sol. On se demande pourquoi les autorités locales ont quand même donné le feu vert aux projets de resort. En 2004, l’École de la Technologie de Quang Nam a signalé la menace de l’érosion. L’organisme a fortement déconseillé toute construction sur la plage de Cua Dai. Et pourtant, les promoteurs s’en fichaient. Alors que l’érosion souterraine s’accélère, les resorts poussent au même niveau.
C’est vraiment à partir de 2010 que le phénomène naturel fut relayé massivement par les médias. Le niveau de la mer est « bizarrement » élevé et inonde assez régulièrement les quartiers d’habitation. Il faut que le danger mortel soit vraiment manifeste pour que les autorités locales s’attaquent au problème.
À force de défier la Nature, les resorts ramassent maintenant les conséquences coûteuses. Depuis quelques années, l’invasion de la mer est de plus en plus agressive. D’ici 2023, ses vagues dévoreront des resorts les uns après les autres. En octobre 2020, la mer commence à pénétrer dans des fondations de Palm Garden Resort.
Même si le pouvoir public blâme le changement climatique comme cause du problème, on ne peut nier la « participation active » des resorts. Malgré le risque environnemental prévisible, les gens sont aveuglés par le développement court-termiste. Et maintenant, ce sont surtout les contribuables locaux qui ramassent des conséquences. Entre 2009 et 2016, la ville de Hoi An a dû verser 3.5 millions USD pour réparer la plage Cua Dai.
L’érosion côtière a un effet domino. Suite à la destruction de la plage Cua Dai, les courants souterrains ont tendance à « voyager » vers le nord et touchent la plage An Bang voisine. Chose étonnante : les investisseurs n’ont rien appris de la leçon Cua Dai. Ils continuent à construire des restaurants et hôtels qui fragilisent le sol d’An Bang. La disparition potentielle de la plage Cua Dai a soudainement boosté la notoriété de la plage An Bang qui était naguère un endroit « hors des sentiers battus ».
Il est fort probable que la plage An Bang serait la prochaine victime de l’érosion côtière. Depuis 2016, la bétonisation littorale dans le secteur passe à une vitesse supérieure. Les complexes hôteliers sont encore plus ostentatoires que les homologues à Cua Dai. Cette fois-ci, une bonne partie des constructions est drivée par la spéculation immobilière. La conséquence se fait sentir direct : l’orage Vamco en novembre 2020 a ravagé tout le secteur. C’est un phénomène inouï pour la population locale qui devra prendre l’habitude dans les prochaines années.
Destruction d’un écosystème fluvial de Cam Thanh
La destruction de la nature par le tourisme concerne non seulement la côte, mais aussi l’arrière-pays, notamment les mangroves de Cam Thanh. Vieux de 200 ans, ce « poumon vert » de Hoi An sert de la deuxième ligne de protection contre la mer. Située en pleine embouchure du fleuve Thu Bon, cette forêt de cocotiers cumule plusieurs fonctions. D’une part, la densité des arbres maintient l’harmonie entre les eaux salées de la mer et l’eau douce pour l’agriculture. D’autre part, ses méandres modèrent les inondations cycliques à Hoi An
Face au tourisme de masse, cet équilibre fragile est en train de disparaître. Le destin de Cam Thanh est légèrement différent de celui des plages. Voué à la pisciculture, le site était totalement inconnu sur la carte touristique de Hoi An. En 2005, un entrepreneur local a lancé une idée « éco-tour », invitant des visiteurs étrangers de s’immerger dans le paysage rural. L’excursion comprend une visite à Cam Thanh en bateau rond traditionnel. Le concept fut un franc succès. Initialement adopté par les Occidentaux, le tour fut progressivement orienté vers les marchés asiatiques. Et c’est le début du dérapage…
Selon notre analyse, l’année 2015 marque le début de la déforestation de Cam Thanh. Pour les raisons inconnues, les Sud-Coréens sont particulièrement friands du paysage exotique des cocotiers inondés. Une fois arrivés à l’aéroport de Danang, ils sont des milliers à se ruer vers Cam Thanh pour faire une promenade en barque.
Pour servir cette clientèle, les habitants n’hésitent pas à raser la forêt afin d’installer des restaurants. En outre, les feuilles de cocotier sont exploitées à fond pour fabriquer des souvenirs. En même temps, avec le concept « éco-tour » en vogue, les hôtels « éco-friendly » déclenchent la bétonisation en plein milieu d’une zone interdite.
Impact socioculturel
Le développement touristique trop rapide a causé le déséquilibre social de Hoi An. Dans toutes les brochures, on promeut l’ancien Faifo comme carrefour où se côtoyaient les marchands chinois, vietnamiens et japonais. On vous vend les congrégations chinoises, les anciennes maisons des riches marchands, etc. Mais avez-vous vraiment croisé les habitants de souche de Hoi An ? En fait, personne ne se pose la question. Les touristes sont tellement pressés de photographier d’anciennes demeures qu’ils ne se rendent pas compte de l’absence des propriétaires. Certains blogs prônent une Hoi An authentique dont l’atmosphère est hors du temps. Mais c’est quoi l’authenticité au juste ?
Dilution de l’identité culturelle
Les gens confondent l’authenticité architecturale et celle culturelle. À travers des myriades de commentaires, nous avons pu comprendre que les touristes recherchent une ambiance dégagée des vieilles pierres authentiquement préservées. Par contre, ils ne savent pas que la cité a perdu son âme à cause de la diminution de ses habitants de souche. Autrement dit, les touristes ne voient pas l’authenticité intangible qui s’exprime à travers les us et coutumes des résidents locaux.
N’oublions pas que la vraie culture du centre historique s’est forgée autour des familles d’origine chinoise. Celles-ci étaient propriétaires des 600 maisons qui forment de ce qui est reconnu par l’Unesco. Malheureusement, elles ont quitté la cité les unes après les autres pour s’installer ailleurs. L’âme bourgeoise de Hoi An s’est diluée pour céder la place à une nouvelle catégorie d’habitants plus mercantile et cupide. Comment expliquer ce phénomène ?
Pour inciter des familles de rester dans les anciennes maisons, le comité de gestion du patrimoine a proposé de reverser une partie des recettes de billetterie. Au départ, c’était une formule gagnante. Par contre, elle est devenue insuffisante pour payer les travaux de restauration. Avec l’usure du temps et des inondations récurrentes, la dégradation des maisons requiert un montant qui dépasse largement la capacité financière des familles. Avec l’arrivée accrue des touristes, elles ont trouvé une autre source de revenus plus juteuse : le bail commercial. C’est ainsi que les boutiques de souvenir, des restaurants, des bars s’emparent de la carcasse des maisons. La plupart des commerçants viennent des autres régions vietnamiennes.
Grâce au prix de location élevé, les propriétaires préfèrent s’installer dans une nouvelle résidence plus moderne et confortable. Depuis 2008, l’exode des propriétaires s’accélère. La croissance économique du Vietnam implique la valeur immobilière qui monte en flèche. Un bon nombre de propriétaires ont profité de la situation pour vendre leur héritage ancestral. Peu à peu, l’espace de vie traditionnel est remplacé par l’aménagement commercial. L’autel des ancêtres devient un artefact muséifié et photographié par les visiteurs. La décadence identitaire du centre historique de Hoi An nous serre le cœur…
Il nous reste combien d’habitants de souche de Hoi An ? Malheureusement, le gouvernement n’a pas dévoilé les statistiques. Peut-être ils vivent encore dans les maisons situées au fond des ruelles perdues. Sur les artères principales, c’est certain que les établissements n’appartiennent plus aux natifs de la cité. Les nouveaux propriétaires sont les hommes d’affaires avides. Leur seul but est de tirer profit de la manne touristique et ils s’en fichent de la préservation culturelle. Dans le centre historique de Hoi An, on croise essentiellement des Vietnamiens d’ailleurs. Une fois que la cité de se vide de ses habitants de souche, toutes les traditions de Hoi An se perdent également.
Urbanisation anarchique et folklorisation rurale
Au Vietnam, la conception des produits touristiques est assez spéciale. Les agences ont tendance à ridiculiser leur propre culture vivante pour plaire aux touristes en quête « d’authenticité folklorique ». À Hoi An, l’aménagement du territoire résulte directement de ce paradigme.
Hormis la vieille ville classée par l’Unesco, les gens viennent à Hoi An pour profiter du charme bucolique aux alentours. Afin de retenir des touristes plus longtemps, le concept « d’éco-tour » fut initié vers 2005 par un entrepreneur local. Malgré son immense succès, les puristes du tourisme durable s’interrogent sur sa démarche.
Contrairement à ce que vous pensez, le terme « éco » ne signifie pas « écologique ». Dans un pays où l’approche du tourisme durable reste nouvelle, les opérateurs locaux ne voient pas toutes les subtilités techniques de la théorie. À cause d’une mauvaise compréhension linguistique, pour un Vietnamien, « éco » veut dire simplement « éco-système », ou hệ sinh thái en langue vietnamienne. Du coup, le terme éco-tour est littéralement compris come du lịch sinh thái, ce qui veut dire « moderniser la ruralité en faveur de l’économie touristique ». Cela implique la destruction de la nature et le patrimoine traditionnel pour se libérer de la pauvreté rurale. À partir de là, toute la conception touristique va dans une dérive délirante.
L’éco-tourisme à la vietnamienne se traduit par les activités mettant en avant les scènes rurales à la campagne. Parmi les produits « best-seller », il faut citer : planter des herbes dans le village Tra Que, pédaler à travers des rizières, labourer des champs avec un buffle, faire une promenade en barque à Cam Thanh, pêcher des crevettes et crabes. Bref, être proche de la paysannerie, ça fait du bien.
À première vue, ça a l’air authentique, diriez-vous. En fait, plusieurs activités sont des mises en scène, parfaitement théâtralisées. C’est très difficile pour un touriste ordinaire de distinguer la fausse authenticité et la vraie. L’exemple le plus frappant est la visite des mangroves de Cam Thanh en barque ronde. Depuis 2016, c’est le fief des touristes sud-coréens.
Pour servir cette clientèle, il faut mobiliser une flotte de barques et un bataillon de rameurs qui étaient naguère de vrais pêcheurs. Soudainement, l’arrivée massive des Sud-Coréens rapporte rapidement de l’argent. Le revenu tiré des services associés (restauration, vente de souvenirs, etc.) est tellement facile que les habitants abandonnent volontiers la vie d’avant. Ils ont troqué l’élevage des crevettes contre le partenariat avec des agences qui gèrent le destin de Cam Thanh à leur place. Ils ont détruit leur propre terrain agricole pour mettre en place des restaurants bétonnés.
La dépendance excessive du tourisme est comme l’addiction à la drogue. Voilà pourquoi on parle du déclin d’une culture vivante en faveur de sa propre folklorisation en si peu de temps. Pour plaire à ces clients sympathiques, les rameurs n’hésitent pas à mettre de la musique K-Pop qui crie à tue-tête. Plus le son est puissant, plus les pourboires sont généreux. Voulez-vous une dose de « Gangnam style» pleine campagne? Voici :
A Hoi An, la « capitale » de l’éco-tour se trouve au village de Tra Que où la mise en scène touristique atteint l’art sophistiqué. Apparu il y a 400 ans, le lieu est connu pour ses herbes aromatiques utilisées dans la cuisine locale. Les touristes viennent ici pour découvrir les techniques agricoles et participer à un cours de cuisine. Initialement, l’activité vient d’une bonne volonté de favoriser l’économie locale. Dans la période 2005-2012, c’était une expérience géniale
À partir de 2013, le modèle a rencontré les premiers signes de faiblesse. Les agences ont senti que vendre la paysannerie rapporte gros. Par conséquent, on a bâti un écosystème autour du village pour attirer plus de touristes. Et c’est le début du dérapage. Les investisseurs rachètent plusieurs terrains agricoles pour y construire des hôtels, homestays, bars, cabanes de cours de cuisine. Bref, la parcelle vaut soudainement de l’or. La tentation de devenir riche est trop forte. Les villageois ont fini par vendre leur terrain. Au final, les touristes ne rencontrent pas les vrais agriculteurs. Ils s’impliquent dans la co-création d’expérience folklorique avec des investisseurs, sans le savoir
Contrairement à l’ambiance bucolique d’antan, Tra Que est une mini Disneyland où les maisons villageoises sont remplacées par des résidences de tourisme ultra modernes. La disneylandisation du coin est très subtile et difficile à percevoir à première vue. Les hébergements aux alentours sont quand même tenus par les Vietnamiens. C’est presque impossible pour un étranger de savoir s’il est vraiment chez l’habitant comme indiquent de nombreux « homestays ». Ce phénomène de l’authenticité déguisée est assez répandu au pays, du Nord au Sud.
Le contour des champs d’herbes aromatiques est devenu une série de compartiments éco-tour. Chaque agence locale exploite une parcelle où les touristes viennent expérimenter le travail agricole. Accompagné par un paysan, le troupeau de touristes suit religieusement les étapes : mettre les salopettes, arroser des légumes, planter des herbes, fabriquer des crêpes Tam Hữu. Le scénario est parfaitement ficelé pour démontrer que vous vivez vraisemblablement une expérience authentique avec les fermiers.
Visuellement parlant, vous croisez quand même un paysan. Qu’est-ce qui ne va pas? Le problème est que le moment d’échange humain avec le paysan est trop modeste par rapport à la durée totale de l’excursion. Selon notre analyse, la session de meeting avec le paysan dure 45min pour un tour de 5 heures. Pour le reste, les troupeaux de touristes côtoient plutôt des locaux qui ne sont pas issus du village. Ces derniers vous offrent des services annexes : massage à pied, cours de cuisine, puis déjeuner. Bien entendu, tout est inclus dans le tour.
En outre, la rencontre avec le paysan n’est pas totalement naturelle. Elle n’est plus sincère comme ce que nous vivions en 2005. Sa nature a évolué. Elle est chronométrée comme les créneaux de visite d’un musée. Beh oui, parce que le spectacle du paysan est aussi booké à fréquence de 2-3 fois par jour en haute saison. En toute discrétion, le village Tra Que est devenu une usine à gaz de l’éco-tour. Le concept a perdu son âme, mais figure encore comme une star dans les brochures du voyage éco-responsable.
Hoi An et Covid 19
Comme partout ailleurs, le tourisme de Hoi An est frappé de plein fouet par la crise Covid. Pour une ville dont 70% de GDP vient directement de tourisme, c’est une douche froide pour les professionnels dans le secteur. Lors de nos deux repérages en juillet et octobre 2020, on a constaté que le flux était beaucoup moindre. Cependant, cela ne veut pas dire que le tourisme de masse sera mort. Surprise !
Relais du tourisme domestique
La pandémie a fait un grand nettoyage au sein des commerces qui dépendent exclusivement du tourisme. Comme expliqué en haut, la plupart des anciennes maisons dans le centre historique sont vouées au commerce touristique. Vu le prix exorbitant du loyer, beaucoup d’entreprises ont fait faillite, notamment dans le secteur hôtellerie, restauration et café. Les annonces de cession de bail fleurissent partout.
Toutefois, l’intensité du dégât n’est pas homogène entre les entreprises. Il y a un contraste frappant entre ceux qui servaient exclusivement des touristes étrangers et ceux qui s’orientent vers la clientèle locale. Puisque les frontières sont fermées, c’est la deuxième catégorie qui s’en sort le mieux. Certes, c’est plus facile de dire qu’à faire. Depuis 1999, tout le « modèle d’affaire » de Hoi An est conçu pour les Occidentaux. Pivoter le lendemain pour s’adapter au goût des Vietnamiens n’est pas une tâche aisée.
Il y a une chose que l’on ignore souvent : l’émergence de la classe moyenne vietnamienne et le poids du tourisme domestique. On évalue un volume de 50 millions de vacanciers vietnamiens à se déplacer à l’intérieur du pays. Pendant la pandémie, le relais de croissance du tourisme compte largement sur ce segment. C’est pourquoi l’ensemble des compagnies aériennes et hôtels font des promotions agressives pour attirer les compatriotes. Le résultat est plutôt encourageant.
Le flux touristique constaté en octobre 2020 serait 5% du volume habituel. C’est peu, mais moins catastrophique par rapport à ce qu’on a pu voir à Venise. La plupart des visiteurs viennent d’Hanoï et Saigon via des vols domestiques ou de Danang pas loin. La crise est peut-être une occasion pour Hoi An de se structurer pour équilibrer la balance entre le local et l’international.
Résilience des habitants face à la crise
La baisse de revenu n’est pas la fin du monde. Les habitants doivent vivre leur vie, avec les touristes ou non. Sans tourisme, l’économie doit tourner quand même, au moins pour les services essentiels comme la bouffe.
Tandis que la ville est désertée par les touristes, le marché local fonctionne comme d’habitude. Crise ou pas, il faut subvenir au besoin essentiel. Il faut une crise profonde comme la Covid pour se rendre compte des tissues entrepreneuriales locales. A part le minuscule centre historique classé par l’Unesco, Hoi An est une ville où les Vietnamiens travaillent. Ce sont des échoppes, artisans qui existent depuis des générations.
La résilience des petits commerces locaux peut s’expliquer par deux facteurs. Premièrement, les commerçants sont les habitants de souche. Leur attachement à la ville est comme une racine immuable, permettant de traverser n’importe quelle tempête. Deuxièmement, l’esprit de petit commerce s’est forgé autour du système D à la vietnamienne. Puisque la racine est forte, les entrepreneurs comptent sur l’entraide de la communauté locale.
Que peut-on faire pour un tourisme plus bienveillant à Hoi An?
Face au surtourisme de Hoi An, on sait que plusieurs voyageurs sont déçus à cause du manque cruel de l’authenticité. Certains extrémistes disent carrément de bouder Hoi An. Mais est-ce que c’est une réflexion maline? Pas sur ! Pour répondre aux touristes qui se plaignent, nous leur demandons souvent de nous montrer un meilleur exemple d’un port maritime aussi bien préservé en Asie. Nous avons visité Bruges, Venise, Dubrovnik, Gdansk, Malaque, Hong Kong. Certes, ce sont des villes magnifiques. Mais pour réunir trois composantes vieille pierre + plage + rizières, Hoi An est incomparable.
L’unicité de Hoi An explique pourquoi c’est impossible de trouver un équivalent ailleurs pour zapper. Il faut savoir que le Vietnam possède très peu de vestiges historiques intacts à cause des guerres successives. Hoi An est la seule exception du modèle d’une cité entièrement préservée. Vous n’êtes pas en Italie où on peut switcher Venise pour Rome, Florence ou Naples. Au Vietnam, si on enlève Hoi An dans votre liste, il ne vous reste rien à part des ruines isolées et délabrées.
En fait, la bonne question qu’il faut se poser, c’est comment découvrir Hoi An autrement, malgré sa surfréquentation. L’authenticité n’est pas à la portée des touristes consuméristes. Elle est accessible à ceux qui savent déjouer le piège du conformisme. Le moteur du tourisme de masse reste dans la standardisation médiatisée. Formatés par de différentes sources, les gens suivent à la lettre des « musts » si bien rédigés sur Internet. Or, chacun est différent. Qui peut vous garantir que copier le « must » des autres est bon pour vous? Alors, voyager à contre-courant est peut-être une bonne astuce! En outre, pour voyager responsable, il faut également prendre conscience des effets néfastes du tourisme de masse.
Voici quelques recommandations
- Visez la visite tôt au matin: la saisonnalité de Hoi An s’atténue avec l’émergence des visiteurs asiatiques. L’affluence se situe entre 14h et 21h. Donc, pourquoi pas déambuler à Hoi An dans la matinée avant 10h?
- Connectez-vous avec des locaux: ce n’est pas dans les restaurants écrits en anglais que vous allez croiser de vrais Vietnamiens. Les vrais locaux fréquentent leurs propres adresses qui sont souvent à l’écart des axes fréquentés. On peut en trouver même dans le centre historique. N’oubliez pas : la meilleure connexion en voyage n’est pas celle du Wifi
- Réfléchissez deux fois avant de booker des hébergements dans les zones à risque: notamment vers les plages de Cua Dai, An Bang et à l’intérieur des mangroves de Cam Thanh.
- Soyez tolérant vis-à-vis des « homestays »: c’est juste une mauvaise compréhension de la part des Vietnamiens. Ce n’est pas le logement chez l’habitant tel qu’on imagine. C’est simplement un hébergement tenu par un Vietnamien.
La pandémie freine temporairement l’ardeur du tourisme de masse. En revanche, nous avons la conviction que le fléau reviendra une fois que la tempête passe. A notre échelle modeste, nous essayons d’anticiper le risque en faisant embarquer les voyageurs et partenaires internationaux dans le combat.