Le Vietnam réserve toujours de belles surprises pour les voyageurs en quête de vraie authenticité. Au-delà de l’itinéraire classique, il existe des régions préservées dont la porte s’ouvre uniquement à ceux qui font les efforts d’immersion. La région de Hai Hau est longtemps restée confidentielle, retranchée derrière ses haies d’arèque. Peut-être la plus discrète du Nord Vietnam, ce territoire enclavé est riche par son brassage culturel unique et son paysage singulier. Du fait de son absence totale dans les guides touristiques, peu d’étrangers s’aventurent ici.
Berceau du catholicisme vietnamien
Surnommée « la terre des cathédrales », la région Hai Hau abrite un nombre impressionnant d’églises catholiques. Dans certaines communes, les chrétiens sont majoritaires, ce qui est étonnant dans un pays marqué par le bouddhisme. Son origine remonte à l’époque des missionnaires en Asie au cours du 17-18e siècle.
Chassés de la Chine et du Japon, les prêtres ont débarqué sur la côte du Nord Vietnam dont la région Hai Hau. Affaibli par la guerre des seigneurs, le pouvoir royal n’a pas prêté l’attention à l’incursion du christianisme. Cette négligeance a large favorisé la naissance des premières communautés catholiques. Ainsi, la région est devenue le bastion du catholicisme qui serait soutenu par la colonisation française.
De nos jours, l’héritage catholique demeure très vivace dans le paysage bucolique de cette région. Plus de 300 édifices jalonnent des sentiers de campagne. Au milieu des rizières à perte de vue, se dressent fièrement des églises de tous les styles : néo-gothique, néo-baroque, néo-rennaissance, etc.
Les influences portugaises et espagnoles sont encore très tangibles dans l’apparence domicicaine des paroisses. Parfois, on se croireait en Colombie ou à Cuba.
Il était une fois les marécages
Via un chemin parsemé de canaux, de transferts en ferry, le voyage nous emmène au cœur d’une terre fertile qui donne le prestigieux riz gạo tám. A l’embouchure du Fleuve Rouge, c’est son emplacement géographique qui donne le nom Hai Hau. En effet, en vietnamien, Hải Hậu signifie « Finistère fluvial », car on est à cheval entre la mer et les confins du Delta du Fleuve Rouge.
Jadis, c’était un vaste territoire marécageux. Au cours du 18-19e siècle, à la demande des rois Nguyen, des centaines de familles sont venues s’installer pour défricher des terres. Engagés par la cour royale, les bourgeois étaient les premiers établis et accompagnés d’une armée de paysans, mercenaires, et prisoniers. Du fait de sa nature sauvage et mystérieuse, Hai Hau était considérée comme le « Far West » pour les Vietnamiens de l’époque.
La pression démographique a obligé la cour royale d’augmenter la production de riz. Des agriculteurs furent envoyés pour transformer l’immense marécage en rizières irriguées. Pour ce faire, un système de digues et de canaux sophistiqués fut mis en place. D’une part, c’est pour alimenter des parcelles de rizières. D’autre part, c’est pour faciliter le déplacement des barques armées en cas d’attaque des pirates venant de la mer. Les ennemis indésirables se perdraient facilement dans une labyrinthe de tranchées aquatiques. Aujourd’hui, des habitants s’en servent pour alterner des saisons agricoles, entre le riz et l’élevage de crevettes.
Il a fallu presque un siècle pour apprivoiser les eaux salées et rendre les terres plus arables. Les salines de Hai Ly sont témoin de cette période historique. Une cinquantaine de familles continuent à fabriquer du sel de mer, selon les méthodes ancestrales.
Modèle communautaire des habitants
Au quotidien, les habitants de Hai Hau ont une organisation sociale qui leur est propre. Aucune autre région vietnamienne ne peut se comparer à Hai Hau au niveau du nombre de sanctuaires familiaux. Elles sont vraiment pléthoriques ! Il y en a à presque tous les 500m. Nous avons la chance de rencontrer Mr.Van qui fera visiter sa chapelle familiale.
Datant du 19e siècle, les premiers immigrants devaient faire face à l’hostilité des marais et de la mer. Il y a une véritable solidarité entre eux, quelle que soit leur foi. Que l’on soit chrétien, bouddhiste ou athée, toutes les religions vivent en parfaite harmonie. Pour s’entraider, la communauté a créé une ligue de hameaux appartenant à de différents clans. Chaque clan gérait son territoire dont les membres se fédéraient autour d’un sanctuaire familial. Apparenté au culte des ancêtres, c’est un endroit de réunion cérémoniale et de prière. Au milieu de la salle, se place toujours un autel pour rendre hommage aux vaillants ancêtres d’autrefois.
Devant un tableau généalogique de la famille Tran, Mr.Van nous explique l’orgine de son ancêtre qui remonte à 1821. À force de travailler dur, sa famille devenait propriétaire terrien. Son clan compte 617 descendants parmi lesquels il a été choisi pour prendre soin de la chapelle.
Aujourd’hui, tous les cousins de Mr.Van habitent à proximité de chez lui. Lors des fêtes ou des repas, on n’hésite pas à passer l’invitation à ses voisins. Pour fêter l’arrivée des rares touristes, on rend visite dans un atelier artisanal de l’alcool de riz. C’est ici qu’on découvre rapidement le processus de fabrication de cette liqueur nationale. On s’en procure deux bouteilles pour un dîner copieux de ce soir. C’est aussi cela, le modèle communautaire
Fins sculpteurs au service de l’harmonie religieuse
Dans un pays enraciné par la doctrine bouddhiste, la colonisation française avait besoin d’un contre-poids catholique pour bien régner. Ainsi, la communauté chrétienne de Hau Hai était largement soutenue par l’appareil colonial. La construction massive des cathédrales encourgea l’essor de l’artisanat. Des milliers de charpentiers, ébénistes, menuisiers, sculpteurs furent mobilisés au service du clergé. En même temps, les bourgeois vietnamiens ont aussi profité de leur expertise pour faire fabriquer des meubles décoratifs. Ainsi, le début du 20e siècle marque l’apogée du style indo-chinois qui se perpétue de nos jours.
L’héritage du passé se ressent au village de Hai Minh, spécialisé dans la sculpture sur bois. Né dans les années 1910, le village compte une centaine d’usines familiales. De loin, on peut déjà sentir le parfum boisé omniprésent avec une belle variété : jacquier, acajou, iroko, etc. Avec un savoir-faire transmis de père en fils, elles tournent en plein régime pour sortir des œuvres d’art originales. La technicité de Hai Minh se démarque par la subtilité des motifs ciselés sur la surface des meubles.
On remarque plusieurs armoires et lits dans un style indochinois « vintage» des années 1930. Au Vietnam contemporain, ce style symbolise toujours la réussite sociale, à l’instar des bourgeois d’autre fois.
Descendants des bâtisseurs de cathédrale, les artisans se concentrent désormais sur quelques domaines qui rapportent gros. On peut citer notamment la reconstruction des maisons anciennes ou la fabrication des meubles incrustés de nacre. Les oeuvres sont essentiellement destinées à la clientèle aisée du Vietnam. Le village Hai Minh a encore un bel avenir devant lui, car des jeunes entrepreneurs talentueux assurent la relève.
Le vent de la mer à l’aube
Nous quittons la région de Hai Hau par la côte, là où les missionnaires européens ont débarqué il y a 4 siècles. Ici, la vie commence tôt. Le chant de coq sert de sonnerie de réveil. Alors qu’il fait encore nuit, par équipes de deux ou trois, les pêcheurs partent en mer, les voiles gonflées par le vent.
Durant quelques heures laborieuses, ces guerriers marins traquent des mérous et cigalles de mer. Puis, dès qu’une embarcation arrive sur le rivage, les vendeuses se pressent pour prendre les plus frais. Par la suite, les marchandises seront acheminées aux marchés dans la région.
Une autre partie des bateaux se dirigent vers l’estuaire du Fleuve Rouge pour déposer des poissons plus petits. Dans un port miniscule, on trouve quelques entreprises familiales qui fabriquent de la sauce de poisson, le fameux nước mắm.
La saumure se fabrique avec des anchois frais et du sel de mer. Le mélange est placé dans une grande cuve. Celle-ci est fermée et laissée en plein soleil pendant plusieurs mois. L’artisan retire régulièrement le couvercle afin d’oxygéner la mixture et d’accéler la fermentation.
En fonction du temps de fermentation et du type de poisson, on obtient des sauces plus ou moins grande qualité. Une sauce réussie se reconnaît à sa couleur ambrée et claire. Elle conservera toujours un léger parfum de poisson caractéristique. Additionné d’eau, de jus de citron, de piment, il donne le nước chấm, la sauce vietnamienne par excellence.