Le tourisme vietnamien est à terre à cause de la crise Covid-19. Cette tempête sans précédent a fait couler 90% des entreprises de tourisme du pays. Dans ce contexte, un soldat vaillant se bat chaque jour pour sa survie. Il s’appelle TTB Travel. Jeter l’éponge n’est pas une option pour l’entreprise qui opère dans le secteur depuis 25 ans. Au contraire, il faut avancer et vaincre cette maladie mentale, à l’image des 300 Spartiates. Notre fondateur, Van Tam, raconte comment l’agence traverse la crise. Il partage sa vision du tourisme de demain, et surtout son amour inconditionnel pour le métier de voyage.
La résilience forgée avec l’apprentissage du passé
À la tête de l’équipe familiale, Van Tam a déjà vécu des périodes mouvementées de l’histoire du Vietnam dont peu de jeunes se souviennent. De la guerre américaine 1975 à la crise financière 2008, son bagage expérientiel a forgé une culture de résilience unique chez TTB Travel. La crise sanitaire pourrait durer 3 ans, ce qui semble long pour les humains contemporains. Toutefois, il faut rappeler que le peuple vietnamien a vécu 10 ans de guerre américaine (1965-1975) et 11 ans de misère extrême à cause de l’économie planifiée (1975-1986). Van Tam est le témoin vivant de cette période très sombre du pays, car il l’a vécue. Donc, faites le calcul, les 3 ans de Coronavirus n’ont guère de sens par rapport à 21 ans de souffrance.
En tant que soldat, Van Tam a passé deux ans au centre du Vietnam, où les batailles les plus meurtrières ont eu lieu. Il a vu les camarades mourir dans ses bras. Il a vu des centaines d’innocents massacrés dans la jungle. Il a lui-même frôlé la mort à plusieurs reprises à cause de multiples bombardements américains. C’est dans ces instants précis que la vie est plus précieuse que n’importe quelle richesse matérielle.
Ainsi, tant qu’on est en bonne santé, on peut récupérer ce qu’on a perdu en travaillant très dur. Il faut sauver sa peau d’abord. Les affaires suivront après. En partant de ce principe, il a dû réorganiser le fonctionnement de TTB Travel pour se protéger contre le virus.
Flexibilité organisationnelle face à Covid-19
Suite à la deuxième vague de Covid-19 en août dernier, le pays a enregistré 35 décès et mille cas confirmés. Pour faciliter la distanciation sociale, l’agence a mis en place le télétravail dès avril. Le bureau n’est ouvert que pour quelques opérations administratives, y compris la gestion de quelques dossiers de report. L’entretien des locaux est réparti entre les membres de l’équipe familiale.
Pendant l’épidémie, les PME vietnamiennes n’ont aucune aide gouvernementale. Cependant, nous sommes habitués à cette faible gouvernance depuis des décennies. Il faut rappeler que le peuple vietnamien a déjà survécu la misère causée par l’économie planifiée des années 1980. Pour financer l’aventure militaire au Cambodge en 1979, toute la population a dû se serrer la ceinture. Le quotidien des habitants était dicté par les tickets de rationnement.
Cette période clé a appris à l’équipe de TTB Travel deux choses importantes : la débrouillardise et la prévention. Dans un pays où l’économie est dirigée par les caprices politiques, il faut prendre des mesures préventives pour se protéger. L’agence est propriétaire de son bureau depuis des années 1990. Ainsi, nous n’avons pas de loyer à payer. Épargnée de cette dépense considérable, la société la chance de pouvoir payer 50% du salaire des collaborateurs. Même si le montant est modeste, cela leur permet d’avoir une sécurité financière. En outre, la plupart ont pu chercher des revenus complémentaires dans d’autres secteurs moins touchés par la crise. Les uns travaillent dans le commerce du vin, les autres vendent des vêtements en ligne.
Pour leur donner un coup de pouce, notre bureau est à disposition sans frais. Le rez-de-chaussée s’est converti temporairement en espace de stockage pour les marchandises. Du fait de l’emplacement bien situé du bureau, des caisses de vin italien et des cartons de chaussure sont dispatchés plus facilement en centre-ville.
Pour passer cette période en toute tranquillité, notre équipe principale se réduit à 4 personnes, dont Van Tam (fondateur), Quynh Giang (fille aînée), Anh Tuyet (seconde fille), et Van Thai (fils cadet). Tous les quatre ne se rémunèrent pas. Nos heures d’ouverture sont aussi restreintes pour limiter des contaminations potentielles. En toute franchise, l’arrêt total du tourisme n’a pas vraiment d’incidence fatale sur la pérennité de l’agence. Nos économies pendant des années nous permettent de tenir le coup pour deux ou trois ans. La « pause » du business nous donne une opportunité d’exercer les autres passions.
Quynh Giang peut désormais consacrer plus de temps à la danse classique. Anh Tuyet reprend ses routes de photographie. Van Tam se concentre sur la rédaction d’un mémoire de la guerre américaine. Enfin, Van Thai remonte sur scène pour chanter ses chansons de rock préférées.
Recentrage sur le coeur du métier pour mieux préparer la reprise
La leçon douloureuse de l’économie planifiée des années 1980 nous apprend ce qu’est la prudence et surtout la gestion saine de trésorerie. Dans l’incertitude, s’improviser dans un secteur hors de notre compétence serait voué à l’échec. C’est exactement ce qui s’est passé avec nos confrères qui opèrent dans le domain incoming. Au bout de quelques mois sans recettes, plusieurs agences réceptives étaient tellement désespérées qu’elles se sont lancées hâtivement dans la frénésie du tourisme domestique.
Lors des séminaires, notre équipe avait déjà évoqué notre inquiétude par rapport à un éventuel retour de la pandémie. En suivant l’intuition, nous avions senti les symptômes de danger. Hélas! Deux semaines plus tard, la deuxième vague de Covid-19 a anéanti leurs investissements. Les chiffres sur le nombre de faillites ne sont pas publiés avec exactitude. Toutefois, on sait que la majorité des agences y ont laissé des plumes.
Aux antipodes des confrères, nous avons plutôt investi dans la consolidation de notre expertise. Nous n’allons pas baisser les bras. La boussole de notre navigation se place toujours vers l’expérientiel. De cette manière, nous délivrons toujours la même promesse : faire découvrir l’âme profonde du Vietnam à travers de vraies rencontres. Celles-ci sont axées sur l’art de vivre et la transmission de savoir-faire ancestral.
Depuis des années, nous sommes les producteurs d’expériences authentiques et de rencontres humaines. Ainsi, nous profitons de la situation exceptionnelle pour revoir l’ensemble de nos circuits. En attendant une sortie improbable du vaccin, nous avons activement effectué plusieurs déplacements en octobre.
D’une part, nous sommes partis dans les régions difficiles d’accès pour dénicher de nouvelles idées. Avec des partenaires locaux, nous avons fait des tests pour voir si une idée tient la route. Nous leur avons livré des recommandations pour mieux piloter des projets. D’autre part, nous avons rencontré des partenaires fidèles pour savoir où ils en sont dans ce contexte particulier. Nous avons échangé des informations pour réfléchir ensemble sur le prochain plan de match. Ces préparations sont nécessaires pour une reprise éventuelle du tourisme dans l’avenir. On ne sait pas quand, mais ça reviendra. Nous sommes très optimistes par rapport à l’évolution positive du moral des Vietnamiens. Et comme nos amis québécois ont bien dit : « Ça va bien aller ! »
Un tourisme post Covid-19 plus durable
Pour conclure, le confinement nous donne plein d’enseignements sur la forme du tourisme qui devrait tourner vers une voie plus vertueuse. TTB Travel hérite de la paix grâce au sacrifice des générations de soldats et de leurs familles. En parallèle, elle emprunte des ressources du pays pour développer le tourisme. Alors, pour que ce tourisme soit durable, il faut les utiliser à bon escient.
Cela commence par fédérer des entrepreneurs et des jeunes et les impliquer dans une vision commune. Le peuple vietnamien a démontré une solidarité hors pair lors de la résistance contre Covid-19. Nous espérons que cette force sera déployée pour livrer un autre combat : celui contre le tourisme de masse.