Istanbul, Turquie / 41°0’N 28°87’E / 1988
(…) Il en va autrement quand on franchit le pas qui sépare l’Europe de l’Asie – il s’agit en général vraiment d’un simple pas, par exemple quand on passe de la rive européenne du Bosphore à sa rive anatolienne, ou à quelque lieu de la grande Russie – aucune rupture alors, les Balkans sont turcs, l’Espagne est maure, en Syrie s’élèvent des colonnes grecques, et au Turkestan on trouve des monnaies à l’effigie d’Alexandre : tout cela n’est qu’un seul monde, le nôtre.(…).
Extrait de :
Annemarie Schwarzenbach «Entre les continents» in «De monde en monde. Reportages 1934-1942».
Edit. Zoé, Genève, 2012
Annemarie Schwarzenbach écrit ce reportage pour Die Weltwoche, Zürich, en juillet 1941.
Quarante sept ans plus tard, le voyageur suisse trouve, sur la rive anatolienne du Bosphore, l’enseigne de l’une des deux plus grandes chaînes de commerce de détail de son pays, la Migros. Qu’en aurait dit l’observatrice attentive de l’évolution du monde que fut Annemarie Schwarzenbach ? Laissons notre imagination divaguer.
Istanbul / Constantinople, ville célébrée, à l’articulation Orient / Occident.
Son image symbole, la Basilique Sainte-Sophie, Ἁγία Σοφία, Hagía Sophía. D’abord, et pour toujours, un monument byzantin. Les 475 ans d’usage en mosquée, de l’avoir flanquée de minarets, ne sont que peu de choses en regard des mille ans précédents, phare de l’Eglise chrétienne d’Orient. Puis quelques décennies désacralisée en musée ne changent rien à l’histoire. Comme ne changera rien le geste provocateur de l’actuel homme fort d’Ankara, qui se rêve Khalife, d’en refaire une mosquée.
Illustration : Axonométrie de Ste.-Sophie, in : « Auguste Choisy. Histoire de l’architecture.1954 ».
A propos d’architecture orientale et des monuments d’Istanbul, rappelons tout ce que doit l’architecture ottomane à Byzance – avec tout l’immense respect porté à Mimar Sinan.
On trouve, dans les derniers paragraphes de « Aux frontières de l’Europe », de Paolo Rumiz, la phrase suivante : « (…) Sainte-Sophie est la tête de ligne parfaite d’un monde byzantin qui de Constantinople – la deuxième Rome – a gagné Kiev, Moscou et Saint-Pétersbourg, remontant jusqu’à Mourmansk, aux confins de l’océan Arctique.(…) »
« Entre les continents », l’Europe – l’Europe politique – devrait, une bonne fois, se décider sur sa frontière orientale. A vouloir courtiser tout le monde, tenter de pactiser avec de peu convenables dirigeants, elle s’y perd.