Bali sous un mauvais jour
Ubud stories #12
24 février 2014 : La campagne et les rizières de Bali
Quatrième jour sur l’île des Dieux. J’ai passé une mauvaise nuit, j’aurais dû me méfier. Une sciatique lancinante m’a empêché de dormir une bonne partie de la nuit et je n’ai réussi à faire passer la douleur qu’à coup de paracétamol. Au réveil, sur le muret devant la chambre, juste à côté de la petite maison des esprits en pierre volcanique, une offrande a été déposée par des mains délicates, accompagnée d’un bâtonnet d’encens qui diffuse dans l’air saturé d’humidité une douce fragrance entêtante.
Aujourd’hui encore, j’ai commandé un taxi pour la journée, pour un programme ambitieux puisque cette fois-ci, je compte me rendre jusqu’au nord de l’île. Bali est une grande île où l’on peut rouler longtemps sur des petites routes de campagne avant d’atteindre sa destination. Mais je suis confiant et me dit qu’une bonne virée me fera sortir un peu du centre de l’île. Même si l’on imagine que Bali est une île aux plages paradisiaques, ce n’est pas forcément le cas et je vais m’en rendre compte aujourd’hui.
Lorsque le chauffeur de taxi arrive avec son van pourri, je me dis instantanément que c’est un margoulin et qu’il doit y avoir une erreur. Une type habillé tout en noir, portant catogan et à la bouille qui me fait plus penser à un Maori qu’à un Indonésien, accompagne l’autre, qu’on croirait sorti d’un mauvais polar. Soit disant que c’est son cousin et qu’il est en formation. Je pense plutôt à quelque chose comme un retrait de permis…
Il faut toujours une journée plus pourrie que les autres dans un voyage. Eh bien ce fut celle-ci. Le programme de la journée consistait en une excursion comprenant plusieurs étapes dont la plage de sable noir de Lovina (au final sans intérêt autre que le sable noir), le palais royal de Mengwi (que je n’ai jamais vu), les sources chaudes sacrées de Banjar (que j’ai failli ne pas voir parce que le chauffeur ne savait pas où c’était), les plantations de café de Munduk (que je n’ai pas vues non plus parce que le chauffeur ne savait vraiment pas où c’était), le temple Ulun-Danu, sur le lac Beratan à Bedugul (où finalement ce ne sont que les locaux qui viennent et qui n’a pas vraiment d’intérêt et dont le paysage était plongé dans un brouillard à couper au couteau), les chutes d’eau de Gitgit (pas fait non plus parce que j’ai senti le plan mafia arriver gros comme une maison, soit disant qu’il fallait un guide pour descendre alors que ce n’est pas vrai) et enfin les rizières en terrasse de Pucang (que je n’ai vu que de loin, depuis la terrasse d’un hôtel désaffecté, en partie, parce qu’il fallait vraiment rentrer à l’hôtel — c’est surtout que le chauffeur ne devait pas savoir par où y entrer).
Donc résultat des courses : journée pourrie, pressé que ça se termine, mais si ce chauffeur qui s’appelle Ketut (comme la moitié de l’île parce que les hommes portent un prénom en fonction de leur rang de naissance dans la famille) a cru pouvoir m’emmener dans ses plans à la con, il s’est planté et a donc certainement passé une journée pire que la mienne parce que son manque à gagner en commissions a dû se réduire à peau de chagrin.
OK, tout le monde veut sa part du gâteau, tout le monde veut gagner de l’argent, mais si tout le monde ne prend pas conscience que le monde n’est pas divisé en ceux qui soutirent et ceux qui crachent sans discernement, il va falloir remettre un peu d’ordre dans tout ça. Je ne me suis pas gêné pour dire à la réceptionniste de l’hôtel que la journée avait été nulle et sans intérêt ; elle m’a dit qu’ils ne feraient plus appel à cet urluberlu.
J’ai tout de même vu de beaux endroits, des jolies rizières dans le soleil éclatant, des routes défoncées, des ponts au-dessus de gouffres verts, des temples majestueux, des mosquées vertes, j’ai même vu un enterrement musulman et un cimetière chrétien, un chien debout derrière son maître sur un scooter, des gens sourire, beaucoup de gens sourire, des sales gueules de truands, des petites averses, des grosses pluies, du brouillard tellement épais qu’on n’y voyait pas à dix mètres dans les petites routes de montagne, des singes qui se tapaient dessus pour un ramboutan, tout un tas de petites choses qui ont fait que la journée n’était pas si ratée que ça, mais quand-même, pas aussi bien que je l’aurais voulu.
Bref, ce n’est qu’un accident et ce ne sera certainement pas la dernière fois que je me fais avoir en voyage, mais je commence à connaître les combines de ces petites mafias. Heureusement, j’ai bien fini cette journée en allant voir un superbe spectacle de danse Legong par la troupe Sadha Budaya, en plein cœur du palais royal d’Ubud. Une très jolie prestation avec des danseurs dont les attitudes me font penser à du théâtre kabuki mâtiné de danses khmères.
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Moment récolté le 24 février 2014. Écrit le 13 juin 2020. ← Avant : Ubud stories #11 : Gunung Kawi