Considérée comme alternative à Sapa déchue, la région de Ha Giang connaît une notoriété notable auprès des voyagistes français. Au cœur de cette région sauvage, se niche une perle de la culture H’mong : la coopérative de tissage Lung Tam. L’histoire de Lung Tam s’appuie sur le parcours entrepreneurial de Van Thi Mai, présidente de la coopérative. Il faut remonter à la fin des années 1990 pour connaître sa genèse. Vang Thi Mai nous raconte cette période avec une forte émotion, comme si c’était hier. La région de Ha Giang partage la frontière avec la Chine. Victime de la politique de l’enfant unique, l’Empire du Milieu subit un déficit de femmes. Du coup, les Chinois sont contraints d’aller kidnapper des femmes au Vietnam. Les premières cibles sont les Vietnamiennes issues des ethnies minoritaires dont les H’mongs. Les destins sont variés : mariage forcé, esclavage sexuel, etc. Certaines ont réussi à s’échapper et retourner au pays. Celles-ci se sont retrouvées traumatisées et marginalisées par la société. Cette triste réalité a poussé Vang Thi Mai à monter un projet dans l’optique de les aider. Elle a démissionné du poste d’infirmière pour se consacrer 100% au projet. La coopérative Lung Tam fut créée en 2001. Le centre a permis à plusieurs victimes du trafic humain d’avoir une profession et des revenus pour leur famille et pour elles-mêmes.
Le projet fut bien accueilli par les autorités locales, car c’est une noble cause en faveur des classes défavorisées. Toutefois, faute de moyens, la coopération avait beaucoup de difficulté quant au développement de son modèle. Force est de constater que la communauté n’a pas trouvé de débouchés à cause de la monotonie des produits. Les collaboratrices de Vang Thi Mai ne savaient fabriquer d’autres choses à part des costumes traditionnels. Tout a changé en 2006. Grâce à un projet financé par l’ONG suisse Caritas, Vang Thi Mai a bénéficié de l’expertise d’une équipe de marketing pour se faire connaître.
On lui a appris les notions de l’étude de marché et de la recherche des fonds. En 2008, elle est partie en France pour participer à une foire internationale de l’artisanat. C’était une année charnière pour son projet qui a véritablement décollé. Ce souvenir plein d’émotion est fièrement exposé dans une photo au sein de sa présente coopérative. Ce jour-là, en habit traditionnel, Vang Thi Mai a livré l’une des meilleures prestations de sa vie pour mettre en avant les techniques ancestrales des H’mong. Son énergie hors pair a attiré l’attention de nombreuses institutions. Lors de son retour au pays, la coopérative a commencé à recevoir des commandes de l’Europe et des États-Unis. L’année suivante, l’ONG française Batik International est venue en aide pour mettre en place une formation technique plus disciplinée. La coopérative est officiellement entrée dans une phase plus stable. Le projet de Vang Thi Mai fait partie désormais d’un réseau international du commerce équitable.
À partir de 2010, la vocation de Vang Thi Mai est plus variée. En plus du soutien en faveur de l’émancipation des femmes H’mong, ses missions consistent à préserver l’identité H’mong via le textile. Face à la modernité et l’agressivité commerciale de la Chine, la tradition artisanale des hmong se perd d’une manière inquiétante. Les jeunes filles maîtrisent de moins en moins bien l’art de la broderie et de la couture. Parmi celles qui les pratiquent, elles ont plus tendance à sauter des étapes par facilité. Elles préfèrent acheter la matière première au prix imbattable pour remplacer du lin et de la teinture d’indigo. Elles interviennent seulement dans l’ajout des motifs traditionnels hmongs. C’est le même défi que nous constatons dans la plupart des régions frontalières dont Sapa et Bac Ha. « L’essence de la culture hmong s’estompe au Vietnam», confie Vang Thi Mai, avec amertume. En tant que gardienne des traditions, elle doit mobiliser la transmission du savoir-faire aux plus jeunes, notamment celles qui sont encore à l’adolescence. Au sein de la coopérative, les écolières Hmongs ont une chance d’amorcer l’apprentissage dès l’âge de 10 ans.
Aujourd’hui, Vang Thi Mai est fière de nous présenter sa coopérative, forte de 180 femmes H’mong (2019). Le profil des femmes est plus diversifié par rapport à 2001. Hormis des victimes du trafic humain, il y a aussi des femmes divorcées, des filles célibataires, des orphelines et des veuves. L’une des plus grandes satisfactions de Vang Thi Mai est la reconnaissance du statut de ces femmes par leurs pairs. Plusieurs victimes des abus sexuels ont pu trouver un mari du coin. Avec détermination, Vang Thi Mai a réussi à faire changer les préjugés
Le revenu de la coopérative est réparti équitablement pour l’ensemble des membres. Concrètement, une fois qu’un article est vendu, toutes les femmes impliquées dans sa production reçoivent une rémunération à parts égales. Selon Van Thi Mai, elles peuvent gagner entre 100 USD et 150 USD par mois. C’est un montant remarquable, en sachant que le salaire mensuel moyen au Vietnam est autour de 250 USD. Par rapport aux travaux dans les champs, l’apport du tissage est bénéfique.
Quand vous vous rendez sur place, une femme H’mong de la coopérative vous fera une visite guidée de l’atelier. Cela commence par l’origine historique du tissage traditionnel. Depuis des siècles, le lin est intimement lié au destin des H’mongs. Chassées de la Chine, ces anciennes tribus nomades se sont installées au cœur des montagnes rocheuses de Ha Giang. Dès lors que les H’mongs ont adopté une vie sédentaire, ils se sont mis à défricher des terres très arides de Ha Giang. Face à une nature hostile, ils ont inventé un système agricole alterné, entre maïs, manioc, et lin. D’origine sauvage, le lin et le chanvre furent domestiqués pour devenir la matière première : le lin pour le textile et le chanvre pour la teinture indigo
Les femmes H’mongs ont pu conserver l’ensemble des trois techniques distinctes : tissage, teinture à l’indigo et dessin à la cire. Le lin suit toutes les étapes de leur vie. Ça sert de couches pour les nourrissons. Dès leur jeune âge, les filles H’mongs sont entraînées aux techniques de tissage et broderie. A l’âge adulte, elles ont droit à une parcelle de terre pour y cultiver du lin et du chanvre. Avec tout ça comme « capital », elles prennent du temps pour confectionner des vêtements qui serviront plus tard de dote de mariage. Lors des funérailles, ce tissu accompagne les défunts à la rencontre des ancêtres dans le monde de l’au-delà. Selon leur croyance, seuls les habits en chanvre permettent de retrouver les ancêtres dans le monde des morts.
Le processus traditionnel se décline en 41 étapes, depuis la récolte du lin, en passant par le filage, la teinture, le tissage, le vernissage, la broderie, la couture, etc. Grâce à l’aide des ONG, la coopérative a mis en place des séquences pédagogiques, permettant de comprendre succinctement les procédés. Voici une courte vidéo explicative.
Compte tenu du travail entièrement à la main, le prix est bien évidemment beaucoup plus cher que les produits industriels « Made in China ». Pour vous donner une idée, un mètre du lin coûte autour de 8 USD. Un carré de 50cm avec du batik coûte facilement 20 USD.
Après presque 20 ans de travail de relâche, Vang Thi Mai a contribué à la notoriété du savoir-faire ancestral. Quitte à greffer ce magnifique patrimoine immatériel au paysage touristique de la région de Ha Giang. Pour y parvenir, il y a encore un long chemin à faire. Vang Thi Mai a déjà dressé un plan stratégique en 2017 afin de marier le tourisme communautaire avec le commerce équitable. Toutefois, le résultat n’est pas encore au rendez-vous. Pour l’instant, trop de touristes viennent juste pour faire une simple visite d’une heure puis s’en vont. Ils ne prennent pas le temps de s’immerger complètement dans la culture des H’mongs. La seule volonté de Vang Thi Mai ne suffit pas. Il faut mobiliser l’implication de plusieurs acteurs publics et privés pour former une force collective. C’est justement pour cela que l’équipe de TTB TRAVEL s’y est rendue en été 2019 pour dresser un nouveau bilan de la situation.