Une semaine sur terre. Journal du confinement III

Une semaine sur terre

Journal du confinement III

Photo by Lopez Robin on Unsplash

Dimanche 22 mars

Nuit difficile, des  rêves qui n’en finissent pas, des rêves qui pourrissent mes matins et qui jouent avec mes peurs. Je suis un grand trouillard, j’ai des phobies, et je me demande si la plus grande n’est pas celle des profondeurs océaniques.  Comme je le dis à ceux qui me disent que pour un fils de Breton, c’est quand-même pas de bol, je réponds que dans ma famille, personne n’est marin-pêcheur, ni même marin tout court, et nous nageons tous comme des enclumes.

J’ai fait un rêve affreux, dans lequel je quittais le sol et j’avais une vue magnifique, tout en hauteur, comme si j’étais un drone, au-dessus d’un détroit, une lame de roche qui s’enfonçait dans une eau cristalline et calme, sur laquelle était sculptée un visage de vieil homme barbu — un détail. Puis je me suis rapproché au point que je me suis retrouvé à la limite de la surface de l’eau, perché sur une branche qui flottait comme par magie à la verticale. Je me suis dit que si je voulais partir de là, le plus commode était de remonter la côte par la falaise, mais mon rêve ne l’a pas entendu de cette oreille et m’a fait comprendre qu’il fallait que ce soit par le pied de la falaise. J’ai donc sauté de ma branche pour rejoindre le point le plus proche de la muraille de pierre et là, je me suis enfoncé dans l’eau glaciale, à une profondeur tout à fait déraisonnable. L’eau était si transparente que je pouvais voir le fond de la mer. Tout ce que j’adore… Evidemment, je me suis réveillé en sursaut, complètement flippé…

Je hais ce genre de rêves, je hais la mer quand je suis dessus ou dedans, je hais les rêves où il y a à la fois moi et la mer… et je propose qu’on arrête ça tout de suite.

Deuxième jour de week-end confiné. Rien de spécial.

alt Photo © David McAughtry

Samedi 28 mars

La deuxième semaine de confinement a été compliquée pour moi. Je ne sais pas gérer ce genre de situation. Pas le fait d’être chez soi, parce que ça je sais très bien faire et je serais même tenté de dire que je ne sais pas faire grand-chose d’autre, mais travailler chez moi a été très compliqué. Je ne  sais pas pondérer mon temps entre le travail et les temps de pauses, et là, ça m’a foutu une claque, parce que je me suis retrouvé épuisé en quelques jours.

J’ai dû sérieusement lever le pied. Des nausées, des douleurs un peu partout, la tête prise dans un étau et l’envie de me mettre au fond d’un trou. Pas réussi à lire une seule ligne. Alors, quelqu’un que je connais bien m’a dit un jour, quand on est au fond du trou, on ne peut ressortir que par le haut.

Alors voilà, c’est ce que je vais faire. Et puis je me rends compte, que ce qui compte vraiment à l’intérieur d’un espace comme le mien, n’est pas tant le cours des événements, mais les sensations et les impressions qui se construisent à l’intérieur.

Une mauvaise passe. Une étrange et foutue putain de mauvaise passe. Ressortir par le haut. Et puis voilà. Alors ce matin, en me levant, j’ai pris mon bouquin, celui qui traîne depuis des jours et des jours sur ma table de nuit et que je n’arrive pas à lire, non pas parce qu’il ne me passionne pas, mais parce que je n’y arrive pas, et je l’ai avalé d’un trait, un chouette livre de Ragnar Jónasson, avec une vraie belle lumière qui en émane. Et depuis quelques jours, je sais comment on prononce :

Eyjafjallajökull

En attendant qu’il se passe autre chose, en voici quelques lignes.

Pendant ses années d’études, Ari Thór voyait souvent passer des bus affichant le message « Pas en service ». Après la mort de ses parents, il s’était installé chez sa grand-mère et le bus était devenu son moyen de transport habituel. Du vivant de son père et sa mère, il n’avait jamais rien eu à faire par lui-même ; par la suite, il avait tout mis en oeuvre pour être autonome.
Le paradoxe du message l’intriguait. Les bus n’étaient pas en service, et pourtant ils passaient à toute vitesse devant lui. Ils allaient bien quelque part ? Le même genre de sentiment l’habitait depuis quelques mois : il était constamment occupé, mais sans véritable but.

Ragnar Jónasson, Nátt
2011, Editions de la Martinière

alt Mais où sont-ils tous ? Photo by Tory Doughty on Unsplash