Une semaine sur terre
Journal du confinement II
Pendant toute la durée de cette période exceptionnelle, une petite chronique de trois jours en temps de guerre, bien au chaud chez moi. Deuxième partie.
Photo by JC Gellidon on UnsplashJeudi 19 mars
Hey mais en fait ça passe super vite !! Sans rire, ma matinée d’hier a filé à une vitesse incroyable… Même pas eu le temps de soupirer d’ennui ou de me donner l’illusion que la journée était trop longue… Ce n’est pas vraiment comme ça que j’avais envisagé les choses, je m’attendais au moins à passer quelques heures à me morfondre sur mon canapé en attendant qu’on m’envoie des mails, mais même pas !! Ah ok, super le confinement, je n’ai jamais passé autant de temps au téléphone et en visioconférence (ce qui implique d’être lavé et de sentir bon, bien évidemment)…
Plus sérieusement, je crois que cette nuit, j’ai traduit dans mes rêves une angoisse que j’ai développée hier. Sur le temps du midi, j’ai dû sortir pour faire une petite course, avec ma petite attestation de déplacement dérogatoire, et je n’ai pas croisé un chat dans ma ville ; c’est assez déstabilisant, même si la première réaction que l’on a, c’est l’amusement. Cela peut vite se retourner et se transformer en autre chose, d’un peu plus anxiogène. Et je pense qu’inconsciemment, ce qu’a essayé de me dire mon rêve, c’est que dans cette ville de huit mille habitants, tout le monde avait déserté et que si mon coco tu voulais compter sur quelqu’un dans les environs, ce n’était même pas la peine ; YOU — ARE — ALONE !! Tu comprends ça (avec l’accent québécois) ??!!
Dans mon rêve, j’étais dans la 309 que m’avait donnée mon grand-père (il y a bien longtemps qu’elle est partie à la casse), stationné sur une vaste étendue de sable, sans rien autour. Pas vraiment le désert, mais pas vraiment dans l’enceinte d’une ville non plus. Je suis sorti de la voiture avec mon appareil photo et j’en ai fait le tour avant de me faire interpeller par un quidam qui me faisait des grands signes, qui voulaient plus ou moins dire de regarder de l’autre côté. Horreur !!! La mer était en train de monter à une vitesse fulgurante à tel point que j’avais déjà les pieds dans l’eau… Je suis resté là, planté comme une asperge, à me poser la question de savoir si je devais fuir avec la voiture dans laquelle il me paraissait compliqué de monter — et quand bien même, arriverais-je à rouler sans m’ensabler ? — ou si je devais prendre les jambes à mon cou. Ce qui est certain, c’est que le quidam a bien vite disparu — le lâche !! Il y a toujours un lâche dans un rêve… — et que je suis resté là sans savoir quoi faire, dans une temporalité qui m’a semblé comme une éternité. Même quand je me suis réveillé, j’étais encore dans cet espèce d’entre-deux non résolu qui met incroyablement mal à l’aise. Alors après, je peux venir fanfaronner, mais là pour le coup, je sens que j’ai touché un truc du doigt. Une petite névrose qui, je l’espère, va fermer sa gueule…
Mais où sont-ils tous ? Photo © VirtualWolfJe me demande si cette période ne va pas être pour moi l’occasion de remettre en cause certaines choses, certaines choses de mon quotidien. Et si tout cela n’était pas vraiment réel ? Et si au bout du tunnel du confinement il y avait… une vie sans travail… Ah ? On me dit dans l’oreillette que c’est le télé-confinement c’est maintenant…
Fin de journée. Et là, c’est le drame… Le truc qui manque… La cartouche de Soda Stream… Pas le choix, je dois aller à Cora. Petite attestation manuscrite, clefs de bagnole, sac de course et c’est parti. M’est avis que certains doivent se dire que ça ne doit être pas être si compliqué que ça de sortir sans se faire repérer… Il y a beaucoup plus de monde qu’hier dans les rues et sur la route. Après avoir attendu à peine dix minutes, j’entre dans le supermarché et je me rends compte que je n’aurais pas l’occasion de faire la queue vu le monde à l’intérieur. C’est comme un instant de liberté, la possibilité de croiser des vraies personnes qui bougent dans la vraie vie, des vrais hommes et des vraies femmes, une jolie fille qui me regarde et qui file, droit devant, menton et poitrine fière, elle aussi est vraie, j’en mettrais ma main à couper… En réalité, je m’attarde, je flâne, je fais des pas de deux, des pas chassés, des crocs-en-jambe, des demi-tours en plein milieu de l’allée principale. Un vrai débile qui a passé déjà quatre jours en détention.
Vendredi 20 mars
Quelle drôle de matinée… J’ai été réveillé par les chats qui ont fait les cons dans le salon à une heure pas possible. En tentant de faire un triple salto arrière dans mon lit, j’ai réussi à me coincer quelque chose dans le bas du dos, certainement le sacrum. Du coup, j’ai une idée un peu plus précise de ce à quoi pourrait ressembler l’enfer… Le confinement mais avec le dos en vrac.
Lorsque j’ai réussi à me lever, j’ai constaté le champ de bataille : les tapis étaient roulés en boule au pied de l’escalier, un ver de terre a été tranché vif par le plus jeune de mes chats, à qui j’ai déjà expliqué que, 1, non c’était une légende, couper un ver de terre en deux, ça ne fait pas deux vers de terre, 2, ça ne sert à rien de chasser des vers de terre puisque personne n’en mange, 3, c’est pareil avec les souris, surtout quand elles n’ont plus de tête et 4, quand le temps est sec, chasser des feuilles mortes n’avait pas plus d’intérêt… J’ai aussi retrouvé un bout de brioche éventré sur le sol de la cuisine et des traces de pattes sur la vitre de la cuisine, trempées dans l’eau d’arrosage des plantes qu’il venait de renverser en voulant chasser une abeille qui n’avait rien à faire là. Une fois qu’il a pu constater que j’avais tout remis en ordre, il est remonté tranquillement se coucher pour ne se réveiller qu’en fin de journée…
En fin de matinée, je me suis enfin décidé à aller au siège récupérer des documents. Ce serait dommage de ne pas profiter de ces temps d’activité réduite en les laissant croupir seuls dans mon armoire.
C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte qu’il me fallait un justificatif de déplacement professionnel, document que je pouvais très bien signer moi-même mais qu’il fallait que je puisse également tamponner, et pour cela, il fallait que je puisse aller sur mon lieu de travail. Comme dirait Arno, “tu vois l’bazar ?”. Ouais, c’est exactement ça. Le bazar. Va faire comprendre au flic qui m’a contrôlé qu’en tant que directeur adjoint de mon association, je suis tout à fait en mesure de me faire mon propre document. Et que justement, je vais chercher le tampon. Et là… “Je comprends monsieur, mais qui va tamponner votre document ?” Alors déjà, je ne vois pas en quoi ça le regarde, mais je lui répète que c’est moi. “Vous allez tamponner votre propre document ?”. Ouais, que je lui redis. Bon.
- Et vous travaillez où ?
- Juste ici (je me suis fait contrôler sur le rond-point qui donne accès au campus).
- Ici ?
- Oui.
- Bon. Il faut bien que vous ayiez votre attestation et votre justificatif avec vous et que vous en fassiez pour tous vos collègues.
- Euh… OK (Dans ce genre de situation, il vaut mieux éviter d’être contrariant).
- Allez circulez !
Je ne sais pas si je l’ai échappé belle, mais c’est la première chose que j’ai faite en arrivant au bureau. C’est vachement bien le bureau sans personne et surtout sans cette lumière criarde qui bousille les yeux…
Mais où sont-ils tous ?Pas de musique aujourd’hui, je suis ronchon, dégoûté d’avoir le dos en compote, d’avoir aussi mal. Je me sens bon à rien. La journée terminée, la semaine terminée, je me demande à quoi va ressembler ce premier week-end confiné. Parce que cette fois-ci, il n’y aura pas de télétravail, de visioconférences, pas de fichiers Excel, pas de mails. Il n’y aura pas de courses, pas de sorties, il n’y aura rien.
Grand saut dans l’inconnu. Stupeur et confinement.
Samedi 21 mars
Un café.
Une tempête.
Un café.
Que dire de cette première journée de confinement en week-end ? Bon ben pas grand-chose. C’est un jour de week-end comme d’habitude, pendant lequel j’ai fait le ménage, j’ai bouquiné, et c’est tout. Donc, bilan des opérations, c’est pareil que d’habitude. Sauf que je n’ai pas travaillé, contrairement à ces cinq derniers jours. Et si je compte bien, il reste un jour comme ça. Avant les cinq prochains jours de travail, ou de télé-confinement. Tout va bien. Je sais encore compter, ma santé mentale est au beau fixe, contrairement à mon fils, qui a rangé sa chambre…
C’est le printemps depuis hier. Par contre, depuis ce matin, c’est le retour de l’hiver avec un sale vent froid.
Allez, tout va bien se passer.
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