Une semaine sur terre
Journal du confinement I
Pendant toute la durée de cette période exceptionnelle, une petite chronique de trois jours en temps de guerre, bien au chaud chez moi.
Photo by Kenny Luo on Unsplash
Lundi 16 mars
Voilà. Nous y sommes. Le Président de la République est en train de me dire que je suis consigné chez moi, que je n’ai le droit de sortir que pour aller faire mes courses.
Tout a commencé jeudi soir lorsqu’il nous avait déjà dit qu’on n’allait plus trop pouvoir sortir, mais vu que nous n’avons pas été sages et qu’on s’est fait gaulés à boire des bières au bord de la Seine sur les bords du canal Saint-Martin, ben voilà, on est punis. On doit rester dans notre chambre, privés de sortie.
Bon, en même temps, je m’en fous, je ne sors généralement que pour aller au travail ou pour aller faire mes courses. Du coup, depuis ce matin, je n’ai plus le droit d’aller au travail. Juste le droit d’aller faire mes courses.
J’avoue, ce matin, je me suis levé à l’heure à laquelle je commence d’ordinaire, j’ai assisté à ma première réunion téléphonique à 9h00 pour organiser tout ce bordel, en attendant les consignes du comité de direction. Et puis j’ai bu trop de café.
J’avais quand-même pris le temps de prendre ma douche en quatrième vitesse (pas encore de restriction sur l’eau) et j’ai passé ma matinée pendu au téléphone, alternant crampes et douleurs. Heureusement, j’avais préparé à manger la veille, ce qui m’a évité de devoir préparer quoi que ce soit ; j’ai même pris le temps de passer l’aspirateur sur ma pause déjeuner. Bref, une journée atypique.
C’est lorsque je suis sorti que tout s’est gâté. J’ai essayé mon supermarché habituel et là, vision d’horreur ; on faisait rentrer les gens au compte-goutte et les prétendants attendaient leur tour en faisant le pied de grue dans une file d’attente allant d’une entrée à l’autre… Je me suis arrêté sur le parking, bouche bée ; je n’avais jamais vu ça.
Un deuxième supermarché, j’ai pu entrer, et il y avait environ quinze personnes qui attendaient à chaque caisse. Une horreur, des bousculades… Je connais des porcs qui ont plus de manières que la plupart des connards que j’ai rencontré ce soir. Je n’avais jamais vu une telle agitation, même une veille de réveillon de Noël. Que le strict nécessaire, même pas un paquet de farine. Je me suis mis à imaginer tous ces gens en train de faire des crêpes au même moment en s’enroulant dans des kilomètres de papier toilette. Ou peut-être sont-ils en train de faire leur pain… Mais ça ne tient pas, les boulangeries sont ouvertes…
Je rentre chez moi épuisé, tendu d’avoir passé autant de temps debout à attendre en caisse que tout ce petit monde se mette en ordre de marche et veuille bien me laisser passer. Comme si quelque chose de poisseux traînait dans l’air, je jette mes vêtements au feu (dans le panier de linge sale) et saute sous la douche. Mon élixir pour ce soir, ce sera un verre de prosecco avec une soupe de poisson, croûtons à l’ail, sauce rouille et emmental râpé.
Demain sera un autre jour, le premier d’une longue série de jours calfeutrés chez soi. Pas la peine de vous embêter à nous présenter la météo, qu’il pleuve ou qu’il vente, peu me chaut…
Mardi 17 mars
Je me suis autorisé une dernière incursion en dehors de chez moi, histoire d’être certain de pourvoir baffrer pendant quelques jours ; fromages, vins, légumes (pour la bonne conscience), viandes à griller, d’autres à cuisiner en sauces et quelques miches de pain frais. Ce n’est pas parce que je suis enfermé chez moi que je vais me laisser abattre… au contraire, c’est le bon moment pour prendre soin de son estomac.
J’ai quand-même été obligé de faire la queue pour entrer dans un supermarché ; je suis allé loin de chez moi, dans la campagne, là où les gens ne se tapent pas dessus pour un paquet de spaghettis. Résultat, je n’ai presque plus d’essence. Bon, OK, ce n’est pas comme si j’en avais vraiment besoin.
Je me suis concentré sur quelques fichiers que j’avais en souffrance et qui restaient en panne. Avec le temps à disposition, ça permet de rester concentré plus facilement et de faire les choses comme il faut. Et chose importante, j’ai quand-même réussi à bien me marrer avec les collègues, par mail et par Teams. C’est important de se marrer. Va falloir maintenir ça. Sous peine de ne pas tenir longtemps.
Mon fils me pose la question : «Et il se passe quoi si on est surpris dans la rue en train de faire rien ?». Une collègue me dit : «Je me sens quand même séquestrée avec 2 produits issus de mon utérus.» Avec une autre : «Je crois que la moindre information, aussi inintéressante soit-elle, va finir par nous paraître comme une révélation mystique.»
Je pense que les journées de travail vont être longues, il va falloir être créatif… Je termine celle-ci avec le concert binaural de Molécule, diffusé sur FIP. La suite demain.
Ma journée se termine tout doucement au jardin, à déraciner les pâquerettes qui ont déjà commencé à coloniser tout doucement, dans la terre meuble et la douceur d’une soirée de fin d’hiver. Ce soir, c’est la Saint Patrick et personne ne fêtera la fête nationale irlandaise dans les rues de Paris. Pas de voitures, pas d’avions, un calme digne de la campagne, même pas de bruit de fond. On va être bien.
Mercredi 18 mars
Je suis réveillé par le sifflement de la balayeuse et des souffleurs qui nettoient toujours la rue à des heures indécentes. J’aurais aimé pouvoir dire qu’il y a des gens qui dorment, mais ce n’est pas vraiment ce qui est censé arriver… Et puis il fait un soleil resplendissant, un temps à ne pas avoir envie d’aller travailler… Ce n’est pas le cas non plus… Oh et puis merde, on ne peut même plus faire de blagues !
Par curiosité, je regarde le prix des billets d’avion si toutefois je voulais partir dans deux jours. Les prix sont cassés. Je pourrais aller à Phnom Penh avec Thaï Airways pour moins de 600 euros ! Même les prix pour cet été sont sacrifiés… c’est le moment…
Bon allez, il est 8h00, je me mets au boulot, premiers mails, dont un qui ne me fait pas plaisir et que je traite en priorité.
Possible fin du confinement…
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Les fenêtres grandes ouvertes pour aérer, je n’entends rien qui vient du dehors, pas de bruits de moteurs… Rien d’autre que le roucoulement des pigeons ramiers et les mésanges qui viennent picorer dans la mangeoire.
La vertu de tout ceci, c’est que les eaux de Venise semblent retrouver leur transparence qu’elles n’ont pas dû connaître depuis des décennie, à tel point que des bancs de poisson
A lire sur le site de Géo.fr.
Peut-être qu’un jour on pourra à nouveau sortir de chez soi mais j’avoue que j’aime bien cette situation. Pour le moment.
J’ai passé ma journée avec Laurent Garnier et c’était très bien comme ça. Ce soir, je me fais un laab moo, du porc haché épicé à la menthe et aux oignons. Allez hop, fin de transmission.