Avant, pendant, après
Chaque nuit me fait peur. Je ne sais jamais ce que je vais trouver au petit matin, si je suis toujours en vie, je ne sais jamais si je vais trouver le monde tel qu’il était la veille, si un événement ne serait pas en train de changer radicalement l’ordre du monde établi. La nuit des attentats du Bataclan, les choses ont dégringolé très rapidement et personne ne pouvait imaginer que le monde d’après serait différent, comme au lendemain des attentats du 11 septembre. Alors je me méfie. Je ne suis pas croyant, alors je ne prie aucun dieu, je m’en remets simplement à l’harmonie de l’univers qui, parfois, peut tanguer.
J’ai un peu peur, à vrai dire, de ce que me réserve chaque matin.
J’ai un peu peur, tous les matins, de l’état dans lequel je vais être, de ce que va me réserver ma journée.
Il se trouve que les choses changent rapidement. Un virus est en train de se répandre dans le monde. Si son mode de transmission est connu, il semble insaisissable, résistant à la logique et s’insinuant là où ne l’attend pas. La météo, quant à elle, fait n’importe quoi. Il a fait une matinée radieuse sous un soleil clair. L’après-midi, il est tombé un mélange d’eau et de neige, après des tornades d’eau glaciale. Les routes ont été inondées, les évacuations ne pouvant plus absorber. Une cérémonie des Césars comme une mascarade. Une ministre de la santé qui ment comme elle respire et un hôpital français qui ne fonctionne plus, pour des questions de coût. Mais que se passe-t-il en ce moment ? Sommes-nous réellement entrés dans l’âge de Kali ?
Heureusement, j’ai une valise pleine de remèdes à la peur, pleine de toutes ces choses qui maintiennent en vie. Heureusement, j’ai tout un tas de petits grigris qui prémunissent celui qui en est le propriétaire des affres de la peur.
Ce sont ces chaussettes en laine Burlington sans âge, aux élastiques détendus que j’ai mises pour ne plus avoir froid aux pieds par cette froide journée d’hiver. Ce sont les petites madeleines au citron que je déguste avec les gorgées d’un thé à la bergamote presque tiède. Ce sont les notes prises dans mon carnet que je relis avec détachement comme si ce n’était pas moi qui les avait écrites. Ce sont les mélodies un peu tristes et mystiques d’Arvo Pärt, mais aussi les photos que j’ai prises il y a cinq ans en Indonésie, dans les rues de Yogyakarta, un chauffeur de taxi, un temple hindou, une mosquée, le temps de me laisser imprégner. Ce sont aussi les livres qui s’empilent et que je n’aurais jamais le temps de lire, que je laisserai à mon fils quand l’heure sera venue. C’est aussi l’odeur de ce kretek, sucré et odorant, qui me manque et avec lequel je risque de rechuter…
J’aime les tempêtes, le vent qui fouette les joues et la pluie qui tombe drue, j’aime lorsque la nature n’y tient plus et se déchaîne… Un arbre qui tombe, l’odeur de l’iode sur ma peau, la terre qui fourmille, le ciel qui rougeoie, l’univers comme un accident au beau milieu de nulle part…
Pour se réconforter, la voix suave de la chanteuse islandaise Nanna Bryndís Hilmarsdóttir et le piano d’Ólafur Arnalds. Particles…
Photo by Casey Horner on Unsplash
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