Boreaalinen vyöhyke
Zone boréale
Le boréal est entré dans ma vie par plusieurs angles différents. Le premier aura été la découverte de l’auteur danois Jørn Riel, aujourd’hui âgé de 88 ans et qui a écrit la série des racontars arctiques qui ont émaillé mes nuits d’étudiants de beaux souvenirs et d’histoires humaines fascinantes, que je n’ai toujours pas fini de lire, me les réservant comme de précieux trésors, des cadeaux qu’on ne déballe pas tous à la fois. L’homme vit aujourd’hui en Malaisie, pour décongeler, dit-il. Et puis par cette porte ouverte sont entrés les très beaux textes de Jean Malaurie (97 ans), Ultima Thulé, Les derniers rois de Thulé, des oeuvres magistrales qui m’ont aussi ouvert les portes de ceux de Paul-Émile Victor, puis bien d’autres encore après. Le dernier en date est un polar, écrit par Sonja Delzongle, un thriller très dur, qui m’a donné des cauchemars et qui porte le simple nom de Boréal, et que j’ai acheté à cause de la belle couverture aux teintes vert pastel et de la photo d’un ours sur la banquise. Petite parenthèse.
Photo d’en-tête Wim Pauwels on Unsplash
Le moins qu’on puisse dire, c’est que le boréal va mal. Il est loin de nous, loin des yeux, loin du cœur, mais ce n’est pas pour autant qu’il ne dit rien de notre monde qui va mal.
Un des symptômes de ce mal, c’est le Zachariæ Isstrøm. C’est un immense glacier groënlandais de 91 780 km2, dont la vitesse d’écoulement a plus que doublé ces cinq dernières années. Sa fonte, ainsi que celle d’un autre glacier, le Nioghalvfjerdsfjorden, qui se trouve sur le même sous-continent glacé, n’aurait qu’une incidence mineure sur l’avenir de l’humanité : l’élévation du niveau de la mer de plus d’un mètre… Une paille, avec les conséquences qu’on imagine. Lire l’article sur Le monde.
Photo by Eric Welch on Unsplash
Dans le livre de Sonja Delzongle, sans vouloir dévoiler l’intrigue, il est question d’une gigantesque faille qui se creuse dans l’inlandsis du Groënland. La réalité dépasse alors la fiction puisqu’on vient de découvrir (avant l’écriture du bouquin) le canyon terrestre le plus profond du monde, non pas au Groënland mais sous la glace de l’Antartique, très exactement sous le glacier Denman. Avec une profondeur de 3500 mètres sous le niveau de la mer, il dépasse la profondeur du canyon de Colca au Pérou.
Ce même relief abriterait également celui du point le plus bas de la surface terrestre non recouvert d’eau (bien qu’il soit recouvert par de la glace) – Géo.
En Islande, pays des glaces, pays des glaciers, on vient de rendre hommage au premier glacier disparu du pays. Une plaque commémorative posée en août 2019 fait état de la disparition du glacier, en forme de lettre au futur (Bréf til framtíðarinnar), prévenant que d’ici 200 ans, tous les glaciers du pays auront disparu. L’Okjökull n’est plus désormais qu’une petite calotte recouvrant le volcan Ok et déclaré mort par le glaciologue Oddur Sigurðsson. Les photos satellites qu’on peut trouver sur le web sont édifiantes ; entre 1986 et 2019, le glacier a tout simplement disparu…
Certains ont cru que le Groenland était leur terrain de jeu personnel et qu’ils pouvaient s’y installer en faisant fi de tout. Ainsi les États-Unis ont colonisé le nord-ouest de cette terre glacée pour construire la plus grande base militaire entièrement creusée dans la glace, Camp Century. Installée entre 1959 et 1967, le but de cette ville souterraine était de pouvoir stocker près de 600 ogives nucléaires au plus près des côtes de l’URSS. Si l’existence de la base ainsi que du projet n’ont été révélés qu’en 1997, on sait à présent que l’installation est victime du réchauffement des zones glaciaires et qu’elle risque d’être mise à nu si la glace continue de fondre. Ce ne serait pas si grave si n’y étaient pas stockés 200 000 litres de fuel et plus encore d’eaux usées et c’est sans compter les fuites liées à l’abandon du réacteur nucléaire qui approvisionnait la base en électricité. La ville souterraine étant enfouie sous plus de trente mètres de glaces, on imagine parfaitement le risque de pollution qu’entrainerait la dispersion de liquides hautement toxiques dans le sous-sol… Mais qu’on se rassure, les Américains ne se sentent absolument pas concernés par les erreurs de leurs ainés et ne comptent pas investir le moindre dollar dans la dépollution du site.
Pour en savoir plus, voir cette vidéo sur Camp Century sur Dailymotion.
Pour se rassurer sur les intentions des êtres humains au regard des terres glacées, laissez-moi vous faire découvrir ces cairns que construisent les peuples inuit et yupik le long de la ceinture allant de l’Alaska au Groenland. Le mot inukshuk (au pluriel inuksuit) définit une forme qui aurait la capacité d’agir comme un être humain. La construction de pierre qui porte aujourd’hui ce nom est plutôt considérée par les Inuits comme inunnguaq (pluriel : inunnguait) ; ce qui ressemble à un être humain, et le terme Inuksugalait désigne le lieu « où il y a beaucoup d’inuksuit ». Mais que sont ces empilements ?
Leur forme clairement anthropomorphe a résolument une fonction liée à la chasse. Si on peut facilement imaginer que c’est une sorte de totem, il n’en est rien. L’inukshut sert en réalité d’épouvantail à l’attention des caribous pour les attirer dans des culs de sac ; les chasseurs sont généralement cachés derrière les hommes de pierre et attendent les animaux qui se font piéger. Les inuksuit pouvait également servir de cache à nourriture, de borne de territoire ou de panneau directionnel, le bras le plus long indiquant la direction du village le plus proche.
Aujourd’hui, l’inukshuk fait office de symbole pour une nation qui cherche ses repères, autant que son autonomie, puisque c’est la forme stylisée qu’on trouve sur le drapeau du territoire fédéral canadien du Nunavut, mais aussi du Nunatsiavut, l’association des Inuits du Labrador.
Voici la légende de la création du premier inukshuk :
Il y a très longtemps, un petit garçon aimé de ses parents, choyé, protégé, par son père qui était un grand chasseur, et sa mère si douce… Il se retrouva pourtant très aigri à la naissance de sa petite sœur, car elle devînt l’objet de toute l’attention de ses parents, et le petit garçon, triste, énervé et plein de rancœur, décida de partir, seul.
Sur le chemin, il rencontra un chaman. Mais ce dernier n’était pas un “angakok” (chaman en langue inuit) bon pour les humains. Il enseigna donc au garçon perdu, l’art du chamanisme pour se venger des Hommes. Les années passèrent et le petit garçon grandit, et avec lui la haine qu’il portait désormais aux Hommes. Il apprit à maîtriser la magie du grand chaman, et réveilla le grand vent du Nord, qui souffla en tempête et souleva un terrible blizzard… Il voulait ainsi faire disparaître toutes les habitations et les villages des Hommes. Mais face à cet ouragan blanc qui mordait sa famille, qui l’avait tant aimé, il fût pris de remords.
Monté au sommet de la plus haute colline, il ouvrit grand les bras pour lutter contre vent glacial du Nord. Le combat dura toute la nuit. Et au petit matin, la tempête avait cessée… mais le jeune garçon lui, avait été changé en pierre. C’est ainsi qu’apparût le tout premier Inukshuk.
Il est temps de refermer la page boréale de ce blog, dans un hiver qui ressemble à un printemps et qui n’annonce rien de bon pour les mois prochains, pour la terre, pour le jardin. Je nourris un rêve secret, celui de rejoindre un jour les terres glacées des régions arctiques, bien au-delà du cercle polaire et au-dessus encore des glaciers de l’Islande. Il y a trois lieux qui m’enchantent et qui sont pour moi comme des nirvanas où j’aimerais un jour poser le pied.
Les îles Lofoten, un archipel au nord de la Norvège et au large de Bodø, où les falaises tombent à pic dans une mer noire, où subsistent encore quelques villages de pêcheurs et où les noms des îles se finissent tous en –øya (Austvågøya, Gimsøya, etc.).
J’aimerais aussi vivre quelques semaines à Tromsø, encore plus au nord de la Norvège, la ville de plus de cinquante mille habitants la plus septentrionale du monde. Plus de 6000 étudiants y étudient la glaciologie et la climatologie arctique, et selon les périodes de l’année, dans l’obscurité de la nuit polaire… Enchâssée dans un dédale de fjords aux eaux profondes et de montagnes enneigées, la ville est un refuge, loin des côtes de la haute mer et des vents impétueux.
J’aimerais connaître le pays sâme finlandais (Sápmi), plus connu sous le nom de Laponie, plus à l’est que Tromsø, pour y admirer les aurores boréales et y voir, dit-on, le blanc le plus blanc du monde. Il n’y a rien qui me ferait plus plaisir au monde que faire la connaissance de ce peuple encore un peu préservé, dont on dit que les jeunes filles ont les yeux clairs et les cheveux de la couleur de la neige.
Photo ci-dessous © Erika Larsen