On vit dans une ruche…je ne vois pas d’autre explication possible. Au moment où j’écris, le couloir qui dessert tout le rez de chaussée est en train d’être carrelé. Ça ne lui plaît pas, il résiste depuis 4 jours (ouvrables, il boudait aussi ce week end), à coup de sol qui penche et de murs qui partent en biais. On passe sur les planches soutenus par des piles de briques pour aller d’une pièce à l’autre. Des tas de portes et fenêtres sont ouvertes, sauf celles par lesquelles on pourrait passer. Ça permet à la fois de se geler et de bien profiter du cri mélodieux du carrelage qui crisse de joie à chaque découpe. On y rajoute les coups de maillet pour les mettre à niveau, la scie sauteuse qui comme son nom l’indique, gambade joyeusement sur les plinthes, c’est carrément symphonique. Et poussiéreux.
La poussière s’élève en volutes compactes jusqu’au premier. Elle tombe sur la femme de ménage. Je n’ai pas eu le cœur de lui dire de ne pas venir cette semaine. Elle est très gentille. Elle se bat contre l’envahisseur poussiéreux avec acharnement et inefficacité. C’est carrément Sysiphe, mais avec un aspirateur, lui-même en pleine crise d’asthme vu ses râles d’agonie. La femme de ménage est à fond, surtout que le premier est le seul niveau habitable. Parce que le deuxième est squatté par Marichéri, sa scie, son marteau et son parquet. Il déplace des meubles, qui protestent bruyamment. Il scie des encadrements de portes et des lattes de bois, qui hurlent au scandale. Il s’énerve avec son marteau sur à peu près tout. Je rappelle que Marichéri est très musical, ça s’entend bien, même si malheureusement sa scie sauteuse refuse de s’exprimer en harmonie avec celle du carreleur. C’est pas grave, Penny prend sur elle de faire des vocalises paniquées dans l’escalier (l’acoustique de la cage d’escalier est excellente), pour participer et unifier tout ça.
On passe de la chose de gauche au sol de droite. Le carrelage d’origine était non seulement cassé (ça n’a pas l’air, mais impossible de marcher dessus pieds nus, entre les carreaux qui se soulevaient et ceux qui étaient fendus en deux, sans risquer de se couper une artère), mais la chape était d’époque aussi. C’est à dire qu’on avait une mini couche de plâtre qui ne tenait plus, et une bonne cinquantaine de centimètres de sable en dessous (et donc au dessus des voutes de la cave, je ne sais pas si c’est très clair). Il fallait tout refaire…c’est un long, comme légende de photo non?
Et moi? Je ne peux pas fuir au fond du jardin, comme Capucine. Ce n’est pas que je ne veux pas, c’est que je ne peux pas sortir (le carrelage pas sec, tout ça…). J’ai l’air de ne rien faire, mais je passe ma vie à fournir toute la maison (GeekAdo n’a pas cours aujourd’hui) en cafés, et c’est du boulot! Je soutiens moralement Marichéri. J’admire les découpes de carrelage. Je discute avec la femme de ménage. Je retourne faire des cafés. Et j’attends le moment où les nuages de poussière vont se dissiper pour passer à l’attaque. Parce que c’est bien gentil de s’agiter de partout en faisant croire que je ne fais rien qu’à me prélasser sur mon canapé, mais qui c’est qui va devoir se taper la peinture du couloir et des cages d’escalier après? Et vernir les escaliers? Pendant que la ruche, pardon la maison du petit requin se reposera? Voilà. Y aura-t-il seulement quelqu’un qui pensera à m’approvisionner en cafés?
Bref, les travaux avancent bien. Pendant que ça bourdonne de tous les côtés, je culpabilise dans mon coin. Je pense à mes amis en Brexitland, à ceux qui voudraient partir mais ne peuvent pas, je pense à la chance qu’on a eu. Je me trouve grotesque aussi avec mes petits problèmes de privilégiée…je tourne en rond en essayant de me rendre utile. Je me prends pour Mrs Doyle, dans Father Ted (une série hilarante. Pour les non initiés, j’en ai parlé là) mais au lieu de harceler les gens à coup de cups of tea, c’est avec du café. Allez, vous en prendrez bien une autre, histoire que je serve à quelque chose: go on, go on, go on!