En mars dernier je suis retournée à Barcelone, cinq années après mon tout premier voyage là-bas. Comme j'avais déjà bien visité la ville, j'en ai profité pour partager mon séjour en deux et faire un saut à Saragosse, ville que pour le coup je ne connaissais pas du tout et que je découvrais avec des yeux complètement neufs. Comme d'habitude, l'un de mes premiers réflexes a été de chercher si l'on trouvait des bâtiments art nouveau sur place et la réponse fut : oui ! Le
modernismo espagnol a aussi fait des petits à Saragosse et, même s'il est beaucoup moins flamboyant que celui de Barcelone, on trouve de très jolis exemples que je vais vous montrer ci-dessous. En fin d'article, l'habituelle carte vous aidera à mieux vous repérer dans la ville si vous voulez aller voir ça de vos propres yeux !
Cette fois je n'ai pas cherché à rentrer dans les différents immeubles comme cela m'arrive parfois, pour voir si les décors modernistes se retrouvent aussi à l'intérieur ; mais apparemment les éléments art nouveau se concentrent majoritairement sur les façades, donc pas de regrets !Le paseo de Sagasta
C'est
LE passage obligé si vous cherchez à découvrir ce à quoi ressemblent les bâtiments art nouveau à Saragosse : le long du Paseo de Sagasta, une belle avenue bordée de riches immeubles particuliers (interrompus çà et là par des édifices beaucoup plus modernes qui jurent un peu, à mon goût), on trouve en effet
une concentration assez exceptionnelle d'exemple d'architecture moderniste, et notamment du côté impair. Au milieu de l'avenue on trouve une allée piétonne très pratique qui permet de bien profiter des deux côtés de l'artère.
On commence avec le n° 11 avec la
Casa Juncosa, du nom de son propriétaire. Elle fut réalisée par l'architecte
José de Yarza Echenique (avec des influences de l'architecte catalan Lluis Domenech i Montaner) et se remarque tout de suite par l'abondance des
détails floraux partout sur sa façade : sur les colonnades, les encadrements de fenêtres ou même la finition au niveau du toit (qui fait un peu penser à des créneaux, une
inspiration médiévale que l'on trouve d'ailleurs aussi au niveau de la porte, en bois plein et non en fer comme souvent dans d'autres bâtiments de ce style) sans oublier le travail du fer forgé au niveau des balcons et sur la partie centrale de l'immeuble, avec cet agencement en encorbellement, mais sans vitre. L'intérieur possède également des éléments modernistes. Le bâtiment a été déclaré
monument national en 1983. L'ensemble, quoique très chargé, reste harmonieux mais n'est pas très représentatif du reste du modernisme saragossain.
La différence avec le n° 13, la
Casa Retuerta, est assez flagrante : on passe à quelque chose de beaucoup plus sobre dans les décors avec encore des
touches florales ici et là, très élégantes. Les fenêtres et portes du premier niveau sont encadrées de chambranles arrondis qui se terminent par
une sorte d'arabesque qui me fait un peu penser au travail de Victor Horta à Bruxelles. Admirez la singularité à chaque niveau, où les chambranles des fenêtres sont de formes différentes à chaque fois. Sans oublier la frise qui couronne le bâtiment, qui ressemble à de la dentelle. Je n'ai pas de photo à l'appui mais l'une des particularités de cet immeuble c'est
sa position en angle avec à cet endroit une saillie d'une grande sobriété, sans décor, mais où encore une fois la beauté se trouve dans les détails (la forme des fenêtres de chacun des quatre niveaux diffère légèrement). Le bâtiment a été construit en 1904 par l'architecte Juan Francisco Gómez Pulido et est également classé monument national depuis 1983 (on passera sur l'état du rez-de-chaussée avec ces graffitis, ça me fend le cœur).
En face de ces deux immeubles, au n° 40, on en trouve un bâtiment au style très différent, avec sa brique apparente qui se remarque tout de suite (je ne sais pas vous mais je trouve que ça donne comme un petit côté oriental à l'immeuble). Les
touches modernistes sont plus discrètes et ce sont surtout les deux
oriels, ces fenêtres en baie, qui y font penser. On trouve aussi quelques décors en mosaïques qui encadrent certaines fenêtres. Le bâtiment fut construit au début des années 1910. Le dernier étage, en retrait, n'est pas d'origine (d'ailleurs ça se remarque tout de suite) mais a été ajouté dans les années 1980 : dommage, il alourdit la façade.
On repart du côté impair avec un peu plus loin un nouvel ensemble de trois bâtiments modernistes, encore une fois aux styles vraiment très différents.
On commence avec le n° 17, construite en 1903 par l'architecte
Félix Navarro Pérez, à qui l'on doit également le marché central de la ville, présenté un peu plus bas. La façade est de conception
plus classique, très symétrique : les éléments floraux se font plus rares et le rendu
moins organique que les précédents exemples. On trouve au centre de
jolis décors, que ce soit les éléments en fer forgé ou bien au niveau du toit avec le trio d'éléments avec la date de construction de l'immeuble.
Juste à côté, au n° 19, la
Casa Corsini repart dans un décor beaucoup
plus en courbe : on a de nouveau un bâtiment en angle avec
un oriel beaucoup plus classique par rapport au n° 13 (fer forgé, grandes surfaces vitrées : j'adore le détail tout en haut au niveau du toit avec les petites fleurs qui se dressent et finissent élégamment ces deux éléments plus massifs). La coïncidence n'est pas fortuite car l'architecte est le même, Juan Francisco Gómez Pulido, et ce bâtiment a été construit à la même période que la Casa Retuerta. Ici aussi, le travail au niveau des fenêtres est absolument remarquable, avec un
décor différent à chaque niveau.
On poursuit juste à côté avec le n° 21, qui frappe tout de suite par la couleur utilisée pour le fer forgé, avec un
vert pastel très joli. L'ensemble est beaucoup plus classique (les grosses colonnes, l'habillage en guirlande des fenêtres...) mais on note
quelques éléments modernistes, que ce soit le
travail du fer forgé sur les balcons et la porte principale ou au niveau des deux oriels, à l'angle et sur le côté, qui apporte
une touche moderne à l'ensemble : ce courant n'a jamais mieux porté son nom !
Autre exemple de bâtiment mélangeant les styles, au n° 37, avec des éléments très classiques (les guirlandes, les médaillons au dernier étage, le balcon du premier étage en pierre massive) et d'autres résolument modernistes (encore une fois, le travail du fer forgé, les oriels, même le travail sur les fenêtres qui offrent un décor différent à chaque niveau : c'est toujours un peu la même chose !).
Le site de l'office de tourisme de Saragosse parle d'une influence de la Sécession viennoise, honnêtement moi je la cherche encore mais peut-être verrez-vous effectivement des similitudes !
On termine cette balade sur le paseo de Sagasta avec le n° 76, la
Casa Palao, du nom du sculpteur saragossain Carlos Palao qui a commandité cette maison. Elle frappe tout de suite, que ce soit par sa palette chromatique (du vert, du marron...) que par sa position très particulière, en angle, très étroite, et sur un terrain en pente... que de contraintes pour l'architecte Miguel Ángel Navarro Pérez, qui construisit cette maison en 1912 (la première commission remonta d'ailleurs en 1905 avec un autre architecte) : c'est l'un des
derniers exemples d'architecture modernistes à Saragosse et cela se sent dans les éléments de décor, assez sobre, et qui préfigurent les courants à venir. On est dans quelque chose de beaucoup plus géométrique, le décor est vraiment minime (arrondi léger aux fenêtres, aux balcons, fer forgé presque inexistant), les éléments floraux très rares (sur les colonnes, dans des cartouches au premier étage) et on a au contraire des détails plus géométriques (les vagues, les lignes horizontales au dernier étage). Mais malgré tout, l'immeuble possède
beaucoup d'élégance !
Le parc Labordeta
Une fois arrivé tout en bas du paseo de Sagasta, pourquoi ne pas pousser un peu plus loin pour rejoindre le
parc Labordeta ? Cet immense espace vert au sud de la ville abrite notamment le musée de la céramique et une oasis de verdure très agréable... Enfin j'imagine car malheureusement je n'ai pas trop eu le temps de m'y promener : juste au moment où j'y étais une énorme averse m'a prise par surprise (d'ailleurs on voit bien le sol complètement noyé d'eau sur la photo ci-dessus) : je me suis donc dépêchée d'aller prendre quelques photos du kiosque à musique qui s'y trouve (je vous raconte pas la galère que c'était, les allées étaient noyées d'eau, des rivières d'eau bloquaient les accès, l'enfer : c'est dire mon dévouement ah ah) sans vraiment pouvoir profiter du reste.
Mais qu'importe mes galères de météo, revenons à nos moutons et à ce très joli kiosque à musique construit en
1908 à l'occasion de l'exposition hispano-française : on le doit aux deux frères architectes
Martinez de Ubago Lizarraga. Le kiosque fut déplacé à de nombreuses reprises : érigé sur la Plaza de los Sitios dans le centre-ville, il rejoint le Paseo de la Independencia après l'exposition avant de retrouver son emplacement d'origine dans les années 1920... pour être bougé, de manière définitive, à son emplacement actuel dans les années 1960. Le travail en fer forgé est vraiment
très raffiné, la structure ovoïde en céramique plutôt inattendue. Je regrette qu'il y avait des barricades autour qui m'ont empêchée de m'approcher pour mieux admirer les détails !
À présent retour dans le centre-ville (vous avez d'ailleurs le tram le long de la Paseo de Fernando el Católico qui pourra vous y ramener beaucoup plus rapidement).
Mercado Central
Je n'étais pas certaine de l'inclure dans mon article mais apparemment les halles du marché de Saragosse, qui sont juste à la limite entre la vieille ville et du quartier de San Pablo sont d'architecture moderniste (ou tout du moins avec des éléments modernistes, n'exagérons rien) alors le voilà dans la liste ! Je n'ai malheureusement pas eu l'occasion de découvrir l'intérieur mais c'est vrai qu'il y a quelque chose (de léger) dans son aspect extérieur : peut-être l'
utilisation du fer forgé, à nouveau ? Dans tous les cas c'est un très joli bâtiment (
les portes à chaque extrémité valent le coup d’œil) que l'on doit à l'architecte
Félix Navarro Pérez en
1901.
Calle Manifestacion 16
Dans l'entrelacs des petites rues de la vieille ville de Saragosse, sur l'un des côtés de la plaza del Justicia, se dresse un imposant bâtiment en angle construit en
1902 par l'architecte Julio Bravo Folch, en faisant
l'un des précurseurs de l'architecture moderniste dans la ville. Le premier niveau, très sobre, est en pierre mais les étages supérieurs, où se trouve toute la décoration, sont
un élégant mélange de briques, de pierre (pour les encadrements de fenêtres) et le fer forgé ; en angle, on a de nouveau un oriel très élégant avec de jolis motifs floraux. On trouve
des éléments de décorations inédits, comme les supports des balcons délicatement ouvragés ; et d'autres communs à ce type d'architecture, comme les fenêtres qui ont un décor propre suivant l'étage. Le bâtiment abrite un hôtel, l'hôtel Catalonia El Pilar (mais les chambres ou l'intérieur n'ont aucun décor moderniste).
Calle Prudencio 25
Non loin, un autre bâtiment plutôt imposant qu'il n'est pas facile à photographier ou même à admirer, car situé dans une rue plutôt étroite. On retrouve ici aussi
l'utilisation de la brique, avec des éléments en pierre beaucoup moins présents (principalement sur le bas et notamment au niveau de la
porte avec son encadrement au motif floral très fourni, vraiment magnifique) mais les deux oriels prennent beaucoup plus de place qu'ailleurs (on remarque en dessous les
carreaux de faïence qui me font beaucoup penser à ce qui se fait à Barcelone). Les décors restent très subtils et l'ensemble offre une vraie
impression de légèreté, qui contraste avec le premier niveau beaucoup plus brut, qui semble ainsi ancrer le bâtiment dans le soleil. Il fut construit en
1902 par l'architecte
José de Yarza Echenique, fils de l'architecte Fernando de Yarza à qui l'on doit aussi quelques constructions modernistes (comme on le verra un peu plus bas).
Calle San Jorge 3
À l'angle avec la
calle Refugio, cet immeuble d'angle donc, encore une fois, présente de nombreuses similitudes avec les exemples vus précédemment et notamment celui de la Calle Manifestation (ça tombe bien, c'est le même architecte,
Julio Bravo Folch) : oriel en angle avec des motifs floraux en fer forgé, utilisation de la brique, décor floral discret autour des fenêtres qui change d'étage en étage. L'ensemble est beaucoup plus sobre que l'autre construction de l'architecte mais la filiation est immanquable.
Casino Mercantil
Construit à partir de
1912, le
Casino Mercantil (Coso 29) est à l'exact opposé de la Casa Palao : on assiste ici à une exubérance dans le décor qui en fait certainement l'un des bâtiments modernistes les plus emblématiques de la ville. On le doit à l'architecte
Francisco Albiñana, qui s'est lui aussi inspiré de la Sécession viennoise (alors pas la Sécession côté Otto Wagner on est d'accord mais c'est vrai que ça a quand même un petit côté viennois... ça me fait aussi penser à quelques bâtiments vus à Trieste, même si on ne retrouve pas les statues féminines qui y étaient nombreuses). La structure de la façade est très intéressante, avec ces
deux oriels qui flanquent la partie centrale, dans un style d'ailleurs beaucoup plus sobre qui fait tout de suite attirer l'attention dessus ; chose intéressante, on assiste à l'introduction de
vitraux avec des motifs floraux, choses que l'on n'avait pas ailleurs. Le décor est abondamment floral, avec de grosses guirlandes au bel étage. Les rambardes des balcons sont aussi abondamment décorées. Ça peut paraître too much mais moi j'adore, c'est délicieusement décadent ! À noter que l'intérieur garde aussi quelques éléments modernistes d'époque.
Casa Mollins
Non loin, à l'angle de la
Calle de Alfonso Ier (décidément, je crois n'avoir jamais vu autant de bâtiment d'angle art nouveau qu'à Saragosse !) on trouve la superbe
Casa Mollins que l'on doit à l'architecte
Fernando de Yarza. On retrouve encore l'oriel caractéristique à l'angle mais ce qui est intéressant, c'est de voir la
différence de façade entre le côté donnant sur la calle del Coso (où l'on trouve ainsi des colonnes, pour un aspect beaucoup plus classique) et l'autre côté où elles sont remplacées par de la pierre simplement décorée de motifs floraux. Là aussi on assiste à une profusion de détails et de décors floraux mais l'ensemble paraît peut-être plus homogène et plus digeste que chez sa voisine.
Le toit se termine par une avancée que l'on trouve beaucoup à Vienne et notamment chez Otto Wagner, mais assez peu ici à Saragosse. Le
fer forgé dans les tons de vert finit d'apporter une touche d'originalité à ce bâtiment construit en
1902. À noter que l'intérieur (notamment au niveau de l'entrée) possède aussi des éléments modernistes.
Casa Solans
Pour le dernier exemple d'architecture art nouveau, direction l'autre rive de l'Èbre pour aller admirer la
Casa Solans (Avenida de Cataluña 60), une maison individuelle qui n'a absolument rien à voir avec le reste des exemples d'architecture moderniste présentée dans cet article. Il faut dire que sa
construction est beaucoup plus tardive (1918-1921) mais on trouve quand même des éléments qui font écho à ce style d'architecture, notamment l'abondance de mosaïques. On retrouve l'association brique/pierre mais le fer forgé est quasiment absent de l'ensemble. Elle fut construite par l'architecte
Miguel Angel Navarro pour l'industriel Don José Solans.
Sur la façade donnant sur l'avenue, une mosaïque à droite représente quatre signes du zodiaque.Pour poursuivre votre balade, voici quelques liens qui m'ont servi dans mes recherches :-
le site de l'office de tourisme de Saragosse (en français)- un article sur le blog de l'office de tourisme de Saragosse (en français)
À noter que l'office de tourisme propose des balades modernistes (mais pas en français malheureusement)-
la page Wikipedia Modernismo en Zaragoza (en espagnol)
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