Concevez toujours une chose en la considérant dans un contexte plus large. Une chaise dans une pièce, une pièce dans une maison, une maison dans un quartier, un quartier dans une ville. - Eliel Saarinen
La transition vers Helsinki est des plus agréables. Ici l'hiver tire doucement sa révérence si bien que je range définitivement mon surpantalon et mes bottes de neige au fond de mon sac.
Dehors une brise légère fait frissonner les robes à motif des helsinkiennes, fières ambassadrices de cette élégance minimaliste typique à la Scandinavie. La gare aussi brille par son minimalisme. Ses murs taillés dans le granite rose, quasi sans ornements reflètent l'austérité soviétique, tandis que ses toitures ornées de cuivre vert et sa Tour de l'Horloge apportent un peu de panache au bâtiment. Autour de l'entrée principale, quatre colosses à mâchoire carrée portant chacun un globe de verre surveillent les allées et venues des passagers et de leurs accompagnants.
Vie de quartier
A cette heure de la journée, le quartier de Kluuvi est en pleine effervescence. Devant la gare, touristes et locaux se massent en foules à l'entrée des grands magasins et des restaurants, leur cacophonie à peine couverte par les sons de la circulation et le tintement du tramway.
Je remonte l'avenue Kaisaniemenkatu à la recherche de mon point de chute. Après quelques galères avec Couchsurfing ces derniers jours, j'ai préféré opter pour l'auberge de jeunesse. Cette dernière a le mérite de permettre au voyageur solitaire de rencontrer un grand nombre de nouvelles têtes en très peu de temps. Personnellement, j'ai toujours eu un attrait pour celles qu'on sent un peu plus improvisées: celles dont la déco ne paye pas de mine et qui usent de créativité et de " système D " pour optimiser leurs espaces, les " nids à backpackers fauchés " comme je les appelle, car on y fait souvent d'intéressantes rencontres.
La Sweetdreams Guesthouse est coincée entre deux immeubles décrépis dans le quartier de Sörnäinen. C'est assez étrange car en poussant la porte j'ai l'impression de rentrer chez quelqu'un. Des dizaines de paires de chaussures sont garées le long de l'entrée au dessous d'un porte-manteau clairement arrivé à sa pleine capacité. Devant moi un petit salon où s'entassent des livres et des jeux de société pêle-mêle. Les dortoirs au fond donnent tous sur la grande cuisine au centre de laquelle se trouve une longue table à manger. Je parie que le soir ce spot fourmille de voyageurs. Parfait ! Je vais pouvoir activer le " mode rencontre ".
Le cœur ouvert à l'inconnu
Le " mode rencontre " c'est ni plus ni moins que de se pointer la bouche en cœur et de se rapprocher à portée de sourire d'une personne/ d'un groupe qu'on ne connaît pas spécialement en essayant de sonder leur capital sympathie. En cas de feeling le courant peut passer assez vite, il s'agit alors simplement de briser la glace en balançant la première chose qui vous passe par la tête. Enfin... pas toujours la première. Ni la deuxième d'ailleurs... Disons que deux-trois secondes de réflexion doivent en principe aider à pondre quelque chose de suffisamment banal histoire d'éviter de passer pour un siphonné du casque et de malgré tout intéressant pour que la personne en face de vous ait envie de vous répondre.
Je crois que le moment est opportun pour vous confier que j'ai toujours été plutôt mauvais à ce petit jeu là. Mais heureusement pour moi, la personne en face ne m'en a jamais tenu rigueur.
" Hey mate, I'm Jesse. I just got here, is it your first time in Helsinki aswell? "
Le type en face de moi s'arrête de trifouiller son casier et se retourne. Il est grand et sec. Peau pâle, cheveux blonds, il me fixe un instant de ses petits yeux bleus.
" Oh hey! Yes first time in Helsinki. I'm Kyle by the way. Where are you from? "
Kyle est un Gallois fort sympathique, il est chef dans la vie de tous les jours pour un grand hotel. En vacances, il n'a néanmoins pas perdu son goût pour la gastronomie et me propose d'aller tester une des bonnes tables du quartier qu'il avait repéré. Honnêtement comment refuser ?
Nous sortons sous une pluie fine alors que la nuit commence tout juste à tomber. Je ne l'avais que vaguement réalisé jusque là, mais le réseau de câbles suspendus au-dessus de nos têtes tractant les trams successifs le long de l'avenue dénivelée d'prête au quartier des airs Lisboètes. De chaque côté de l'avenue se dressent des barres d'immeubles aux couleurs passées, reflet encore une fois d'une architecture plus fonctionnelle qu'esthétique. Passé la bouche de metro, nous nous engouffrons dans un dédale de rues perpendiculaires. A la nuit tombée, ces rues pourtant si ordinaires de jour semblent comme transformées. Ici des bars aux enseignes à néons racoleuses, là une succession de sex shops et de boutiques de " massage " recréent un semblant de Red Light District finlandais. Des supérettes 24/24 ponctuent chaque coin de rue. Les nombreux fast-foods aux devantures identiques font la part belle aux quelques boutiques dont les vitrines sont agrémentées de la même pancarte jaune fluo indiquant une nouvelle promo à ne pas manquer.
Après un copieux repas nous rentrons à l'hostel dont la salle à manger grouille à présent de voyageurs. J'en profite pour faire connaissance avec les autres pensionnaires.
Dans la famille " voyageurs " je voudrais...
Fabio, un Italien approchant la quarantaine, a la dolce vita dans le sang. Après plusieurs années passées à barouder entre l' Asie et l' Afrique, il s'est installé à Helsinki il y a quelques annéespour suivre sa copine. Le problème, comme il me l'explique, est que la seule femme à qui il arrive à être fidèle c'est... " la prossima ". Sans surprises son aventure n'a pas duré. Pour l'instant il se débrouille en créchant à l'hostel tout en donnant des cours de yoga et en bossant dans les cuisines d'un resto italien (forcément !) du centre-ville.
Alors que je l'abandonne à son découpage de légumes, je tombe sur quatre sympathiques étudiants. Leur côté très extraverti me facilite les choses et au bout de quelques minutes on se charrie déjà comme le font les bons amis. Ryan et Raph sont deux français, typés méditerranéens, peau basanée, cheveux de jais, frisés et la tchatche qui va avec ! Ils ne sont pas à Helsinki que par pur plaisir puisqu'ils ont pour mission d'interviewer chaque jour un certain nombre de passants sur différents sujets sociétaux, culturels... en vue de monter un docu au format " micro trottoir ". Il faut les voir débouler chaque matin avec leur matos amateur et leur moue de bouts en train !
A côté d'eux, la petite brune au sourire timide c'est Christine. Comme son nom ne l'indique pas elle est allemande. Ce sont ses études en journalisme qui l'amènent à Helsinki, en ce moment elle boucle un sujet sur les maisons de retraites en Finlande. " Pas le sujet le plus passionnant " elle me confie, mais elle me montre aussi quelques uns de ses précédents reportages en Europe et c'est plutôt impressionnant ! Trois têtes plus hautes, à côté d'elle, c'est Tarmo. Allemand lui aussi comme son nom l'indique. Grand costaud à la tête blonde, il ressemble beaucoup à un de mes vieux potes, raison peut être pour laquelle on s'entend si bien. Comme moi il n'est pas là pour le boulot mais plutôt pour profiter au maximum de ce que ce nouveau terrain de jeu finlandais a à offrir !
A ce stade, j'aurais pu aussi vous parler d'Ace, le dandy finlandais recouvert de tatouages toujours affublé de sa canne et de son costume trois pièces, celui-là même qui un jour s'en prendra violemment à Fabio, me faisant penser que j'avais atterri au beau milieu d'une scène de l' Orange Mécanique. Ou j'aurais pu vous parler de Greg, cet américain légèrement allumé du casque qui, un soir après s'être servi un peu trop de vodkas dans sa Kuksa*, nous fit des révélations sulfureuses sur sa sexualité alors que nous venions à peine de le rencontrer. Mais je préfère me concentrer sur les quelques rencontres qui d'une certaine manière ont changé le cours de ce voyage. Sur cette liste de noms, il y en a un écrit un peu plus gros que les autres. Un certain " Christian ", que je me dois de vous présenter au prochain chapitre...
*Kuksa: Mug traditionnel lapon, taillé dans une seule pièce de bois.