Si on suit la définition stricte du développement durable, la gestion de la Baie d’Halong est un cas d’étude exemplaire. Victime de son succès, le site ambassadeur du tourisme vietnamien est actuellement un chantier de construction gigantesque. Malheureusement son développement n’est pas en faveur de la population locale.
Victime d’une corruption systématisée
Au Vietnam, quand vient le développement touristique d’une région ou d’une ville, cela va de paire avec l’implication des autorités locales et donc la politique. Et quand on parle de la politique, il y a toujours la corruption qui l’accompagne. Pour un Vietnamien de base, un projet touristique d’envergure signifie le blanchiment d’argent et le détournement de fonds. La gestion de la Baie d’Halong en fait partie.
Dans l’article précédent, j’ai déjà évoqué l’impact du tourisme de masse dans la Baie d’Halong. Dans cet article, je vais creuser un peu plus le rôle de l’État la préservation de ce patrimoine classé par l’Unesco. Pour ceux qui vendent les circuits au Vietnam, on le sait tous, la pollution dans la Baie d’Halong n’a rien de nouveau. Depuis le début des années 2000, on a déjà repéré des sacs plastiques et des canettes flottantes sur la mer. Le mouvement s’accélère à partir de 2008, avec l’apparition de l’île artificielle de Tuan Chau et la délocalisation de la zone d’embarquement des bateaux croisière vers cette dernière. Ce que l’on ne sait pas, c’est ce qui se passe derrière la validation de nombreux projets de construction massive le long de la côte qui dénaturent complètement le paysage naturel. Voilà une faille juridique dont tous les autorités locales et les groupes immobiliers profitent pour s’enrichir. Il est intéressant de noter que les promoteurs principaux sont souvent « copains » des dirigeants politiques à l’échelle nationale. Parmi eux, il faut citer Sun Group, Tuan Chau Group, FLC Group, Tan Hoang Minh Group. Et même l’armée est entrée dans le marché immobilier pour partager le gâteau ! C’est dingue!
Pour comprendre l’ampleur de la pollution, je vous invite à visualer la vidéo en bas, réalisée en flycam par un groupe de journalistes vietnamiens (courageux !). L’exploitation de carrière en question est effectuée par l’armée de mer, sous prétexte de construire « une base militaire »
La Baie d’Halong fait partie des endroits stratégiques où l’on peut gagner beaucoup d’argent grâce au manque de contrôle de l’État. Chaque projet immobilier validé signifie une grosse commission versée aux autorités locales. Cela justifie la mise en place simultanée de tous les chantiers énormes dont parc d’attraction et téléphérique (Sun Group), complexe résidentiel (Vin Group), exploitation de carrière et de ciment (armée), envahissement avancé de l’île de Tuan Chau (Tuan Chau Group), etc. Chacun ajoute une blessure profonde à la Baie d’Halong et aux professionnels comme moi…
Et le tourisme durable dans tout ça?
Depuis 2015, les habitants de la ville d’Halong vivent dans le cauchemar de la pollution. Les collines boisées et les formations karstiques sont réduites à néant, les unes après autres. Ne cherchez pas la cohérence dans l’aménagement touristique de la Baie d’Halong. Il n’y en a point. La valeur immobilière prime sur le reste. Les eaux, les lacs, les rivières, etc, tout est pollué à cause des chantiers. Jamais on n’a vu autant de poussières dans les quartiers résidentiels. Malgré de nombreuses pétitions signées par les habitants, leur voix n’est jamais écoutée. A ce point, je me rappelle d’un entretien avec le sociologue Rodolphe Christin, les habitants de Barcelone, Venise, Amsterdam se sont révoltés contre le tourisme de masse. Dans leur esprit, la nuisance touristique est supérieure à ce qu’elle peut leur apporter économiquement. Nos habitants vietnamiens de la Baie d’Halong font face à un enjeu similaire. Malheureusement, dans un pays où la démocratie reste à désirer, une réaction vive ne se fera guère entendre.
Les projets porteurs de « commission intéressante » seront validés en priorité et on s’en fiche de ce que cela pourra apporter à la Baie d’Halong. Ainsi, la zone est devenue un marché immobilier juteux où on spécule pour gagner de l’argent. Beaucoup de projets de construction changent de propriétaires au bout de quelques mois dès que le prix du sol augmente légèrement. C’est pourquoi les autocars de tourisme traversent souvent un boulevard bordé de chantiers laissés à l’abandon. Des projets phantômes donc.
Dilemme des réceptifs vietnamiens
Tout ce que je vous partage est rarement dévoilé (voire jamais) à l’international. Dans un pays où la censure est quand même très forte, la voix de l’écologiste est vraiment mineure. Il existe des reportages qui abordent la pollution et la corruption mais la quasi totalité des sources sont en langue vietnamienne et un bon nombre d’articles ont été effacés exprès. On peut comprendre la réticence de l’État et des réceptifs vietnamiens quant à la publication de ces informations pas très sexy. La Baie d’Halong est un icône du tourisme vietnamien. Une image dégradée signifie la baisse de fréquentation, la baisse de revenu, le retrait du site de la liste de l’Unesco, le licenciement des autorités locales, etc. La Baie d’Halong est l’élément vendeur de tous les réceptifs vietnamiens faute de quoi un circuit du Vietnam sera moins attirant. Une nuit à bord du bateau luxueux est synonyme de 5-15% du prix de vente global dépendant du type de circuit. Alors pourquoi prendre le risque de l’enlever?
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Le tourisme responsable est très à la mode aujourd’hui. Tous les tour opérateurs parlent haut et fort de leur engagement pour le tourisme durable. Les uns revendiquent une sélection rigoureuse des prestataires, les autres disent avoir une forte implication dans les projets solidaires. Mais au final, la plupart envoient leurs clients vers la Baie d’Halong, un site qui n’est pas si durable que ça. S’ils sont vraiment soucieux de la préservation du site, les villages de pêcheur dans la zone n’auraient pas dû disparaître en 2014. Continuer à envoyer des touristes à bord des bateaux dans la Baie d’Halong, ça veut dire contribuer à renforcer davantage le clivage social de la ville d’Halong et enrichir les promoteurs qui la détruisent. Voilà pourquoi je refuse de proposer la Baie d’Halong depuis 2013, car je ne veux pas être complice des auteurs qui causent sa destruction.