Karabikha, oblast de Iaroslav, Russie / 57°30’N 39°45’E / 2017
Ciel gris et bas, premiers frimas. Sortie de Iarosalv, longeant, longtemps, les tuyaux d’une raffinerie de pétrole. Dire que nous sommes si dépendants de ce cauchemardesque univers.
15 kilomètres, Karabikha. Le domaine de Nikolaï Nekrassov, Nikolaï Alekseïevitch Nekrassov (1821-1877).
Grand poète national, fils rebelle, critique, satiriste. Dans les années 1870, « l’idole des jeunes » de son pays. Œuvre majeure, qui a laissé des traces indélébiles dans les têtes des écoliers de toutes les Russies. Anna cite de mémoire :
« Однажды, в студеную зимнюю пору
Я из лесу вышел; был сильный мороз. »
« Un jour que régnait un grand froid d’hiver
Je sortais du bois, le gel était sévère » (…).
(« Le petit moujik »)
Esprit critique, vie de grand bourgeois, vaste domaine. Un jardin à la française, diverses résidences, du poète, de son frère, un corps de réception. Plus loin, derrière un rideau de tilleuls de belle taille, des communs. Puis des espaces de maraîchage, et un bois qui s’étend, au-delà du regard, dans des ondoiements de terrain.
La demeure du poète, visite; glissant, dans les chaussons maison, sur des parquets marquetés. Deux étages, les pièces principales donnant sur les façades. Un noyau de pièces secondaires, d’espaces de services, permettant, aussi, d’alimenter les grands poêles situés aux deux angles intérieurs des pièces, parfaitement intégrés du sol au plafond.
L’ensemble meublé au plus proche de l’époque, placé sous contrôle rigoureux d’une escouade de gardiennes, babouchka revêches, attentives à tout geste inconsidéré des visiteurs. Alors que je me penche vers le détail de la charnière délicatement encastrée d’un pupitre de voyage, l’une d’elles s’apprête à bondir. Je retiens aussitôt mon geste, on a frisé l’incident. D’un autre style, l’accorte guide locale, aspirante bimbo, donne d’heureusement brèves explications. En Russie plus qu’ailleurs, le visiteur peut aisément être englouti dans d’interminables digressions historiques.
Rassemblement de jardiniers, de balayeurs, nombreux, le long de l’allée de gravier. Comme dit Anna, c’est tout le village qui semble avoir un emploi d’état dans ce morceau de patrimoine. Heureuse sauvegarde, témoin du temps ancien, ceux des grands propriétaires, du servage. Relire Guerre et Paix, à l’occasion.