La beauté et les fleurs de pêcher – poème chinois

Voilà quelques années que je n'ai pas traduit de poème chinois... Voici la traduction d'un poème printanier, tout en délicatesse, de Cui Hu (崔护, prononcer Tsoué Rou), écrit sous la dynastie des Tang.

Vers l'an 800, un jeune lettré monte à la capitale, Chang'an, "ville de la paix éternelle", actuelle Xi'an, pour passer les examens impériaux.

Un jour qu'il passe par un faubourg au Sud de la ville, Cui Hu a soudain soif; il entre dans une cour pour demander de l'eau. Sous un pêcher en fleurs, une belle jeune fille puise de l'eau pour lui. Mais, incertain de sa propre situation, visiteur de passage, il s'en va.

Un an plus tard, ayant échoué à l'examen, il repasse dans ce village. Mais la jeune fille n'est plus là, et seul le pêcher est en fleurs. Cui Hu compose un poème sur le mur:

En voici une traduction mot à mot (j'indique le pinyin, puis la prononciation en français):

题都城南庄
tí dūchéng nánzhuāng
tri dou-tcheung nan-djouang
Inscription sur le mur - capitale - village au Sud

去年今日此门中
qùnián jīnrì cǐ mén zhōng
tchu-niên tin-j ts-mên-tchong
L'an dernier - ce jour - par cette porte

人面桃花相映红
rénmiàn táohuā xiāngyìng hóng
jen-miên trao-roua siang-ying rong
Visage de femme - fleurs de pêcher - se refléter mutuellement - rouge

人面不知何处去
rén miàn bùzhī héchù qù
jen-miên bou-dj reu-tchrou tchu
Visage de femme - ignorer - où - partir

桃花依旧笑春风
táohuā yījiù xiào chūnfēng
trao-roua yi-tio siao tchouên-fong
Fleurs de pêcher - comme avant - rire - vent de printemps

Mise en phrase, cela donne quelque chose comme:

Poème écrit au Sud de la capitale

L'an dernier, ce jour, dans cette embrasure,
Son visage et les fleurs de pêcher se reflétaient, rouges
Son visage, je ne sais où il est parti
Les fleurs de pêcher rient toujours dans la brise de printemps

La comparaison du visage et des fleurs de pêcher a inspiré pas mal de générations de poètes chinois, qui rivalisent avec les films hollywoodiens les plus subtils. Dans une version, la jeune fille voit le poème sur le mur quelques jours plus tard et en meurt; son père en veut beaucoup à Cui Hu, mais l'amour de celui-ci la ramène magiquement à la vie. Dans une autre, la jeune fille attend Cui Hu jour après jour, mais lorsque celui-ci revient un an plus tard elle est déjà morte de chagrin; touchée par la peine de Cui Hu, une fée ressuscite la jeune fille.

J'ai aussi trouvé une parodie du XVIe siècle, par Feng Menglong ( lien ici, la dernière histoire). Dans cette version, Cui Hu force son serviteur à boire des litres d'eau pendant qu'il drague la jolie fille; lorsqu'il revient un an plus tard, la belle est morte de maladie (jusque là rien de nouveau). Très ému, Cui Hu écrit son poème sur le mur; moins ému, le serviteur ajoute son écot:

L'an dernier, ce jour, par cette porte,
Son visage et les fleurs de pêcher se reflétaient, rouges
Son visage, je ne sais où il est parti
Tant mieux, ça m'évite de reboire des litres d'eau

Il en reste au moins une recette de bonheur amoureux: faire trois fois le tour d'un bouquet de fleurs de pêcher dans le sens des aiguilles d'une montre. Il paraît que le sens est important.

D'autres traductions de poèmes chinois: le Singe qui pleure sous la lune, la Nostalgie du nouvel an, les Conseils du vieux pêcheur chinois, le Sentiment de l'assassin avant sa mort, un poème de Mao jeune, ou Comment traduire l'adieu.

La beauté et les fleurs de pêcher – poème chinois