Je commence à connaître des gens, un peu. Enfin, à être reconnue comme une des mamans de la classe de WizzBoy ou de celle de PrincesseChipie par les autres parents d’élèves. On me dit bonjour, j’en suis toute émue. Je m’intègre, youpidoo. D’ailleurs, on commence à me faire la bise. Et là, je rigole moins. Ça peut paraître tout bête, mais je ne sais plus faire, j’ai peur de me tromper.
En Irlande et en Angleterre, on ne se fait pas la bise. On se dit hello, good morning, hi, morning, voire howwya (pour how are you, mais ce n’est valable qu’à Dublin) mais ça s’arrête là. Et très vite, même entre expats, on perd l’habitude de la bise. Surtout qu’on ne rigole pas avec le personal space en Angleterre, il ne s’agit pas de sauter au cou des gens comme ça. C’est même pire pour moi: comme je suis d’un naturel extrêmement coincé, non seulement je me suis très bien accoutumée à ne pas faire la bise, mais j’ai aussi du mal avec les hugs, les embrassades intempestives et follement envahissantes que les Britanniques distribuent comme des tas de petits continentaux extravertis à la moindre occasion plus ou moins sensible: pour féliciter, consoler, fêter un événement quelconque. Rhaaa, c’est quoi cette agression amicale inattendue? Dans le même ordre d’idée Wizzboy était totalement horrifié que sa nouvelle instit française tente de lui faire la bise matin et soir…non mais ça va pas? C’est quoi cette familiarité? Son air outré a vite refroidi la maîtresse. Il faut dire à la décharge de Wizzboy que les enseignants n’ont pas le droit de toucher les élèves en Angleterre, même le petit de 4 ans qui pleure à chaudes larmes après s’être vautré dans la cours. Pas de câlin pour le consoler, même pas de poignée de main, et il doit se mettre son pansement au genou tout seul en suivant les instructions de l’instit impuissante. Alors, une maîtresse de maternelle qu’il fait un bisou à chacun de ses élèves pour dire bonjour le matin, elle frôlerait la lapidation en place publique pour pédophilie (cela dit, les enseignants anglais ne sont pas des monstres sans cœur et ont assez de bon sens pour ne pas toujours tenir compte de ces règlements pondus par d’affreux paranos qui doivent vraiment avoir les idées mal placées). Tout ça pour dire que ces embrassades ont surpris toute la famille, même si maintenant Wizzboy claque la bise à la maîtresse tous les matins. Ben ouais, ze dis bonzour en la France.
J’ai bien remarqué au début que tous les parents se font la bise en arrivant. Ça m’a agréablement rappelé mes années de lycée, on passait trente ans tous les matins à faire la bise à toute la classe, y compris à ceux qu’on ne pouvait pas voir. Mais comme personne ne me connaissait, ils ne savaient même pas si je parlais français, je ne faisais pas partie de ces effusions matinales. Ils ne me connaissent pas beaucoup plus, mais après deux mois, je fais déjà partie du paysage devant l’école. On discute météo et sorties scolaires avec moi. Les enfants lancent des invitations. On commence à être adopté. On me dit bonjour chaleureusement depuis la rentrée et les premières bises arrivent. Ce geste machinal qui ne l’est plus pour moi me plonge dans des angoisses d’étrangère: c’est combien de bises ici? Une et je vais passer pour une snob? Deux, comme dans le sud ouest? Trois, quatre? A partir de combien je vais harceler ces pauvres gens bien sympathiques? Joue gauche ou joue droite? Il y a des codes? Du coup j’essaie d’observer comment font les autres sans en avoir l’air, je ne veux pas passer pour une grande malade. Je suis en apnée tous les matins à la simple idée qu’on me dise bonjour en me faisant la bise, tellement j’ai peur de commettre un impair. Enfin c’est idiot, je suis empotée aussi. Ça va sûrement revenir, non?
Je dis ça, mais je suis sincèrement touchée par ce petit geste que les gens font sans y penser. Je me ré-intègre. Après les 18 derniers mois à me sentir rejetée en brexitland, le simple fait qu’on me fasse la bise machinalement me fait chaud au cœur. Mais bon sérieusement, c’est deux ou trois dans les hauts de France?