Les portraits du Fayoum : visages d’un lointain passé intensément présents
Un certain orgueil, hérité des sots préjugés du progressisme – cette conception moderne selon quoi les sociétés, par les avancées de la Science et de la Technique, tendraient vers le mieux et s’éloigneraient de l’archaïsme et des ténèbres de l’ignorance –, nous laisse souvent stupéfaits quand au hasard du Louvre ou de tel autre musée nous rencontrons l’un des portraits du Fayoum. À la distance de deux millénaires, voilà ces visages qui paraissent à tout instant prêts à surgir de leur support, intensément réels. Peut-être l’étonnement a-t-il moins à voir avec un progressisme appliqué à l’art qu’avec la rareté des peintures qui aient survécu aussi miraculeusement à la corrosion des siècles, pour nous parvenir avec une si vive présence. Il s’agit en effet des seuls portraits de l’Antiquité qui soient parvenu jusqu’à nous.
« Au cours des premiers siècles de notre ère », écrit Ernst Gombrich, dans sa classique Histoire de l’art, « l’art romain et l’art hellénistique supplantèrent complètement, jusque dans ses principaux centres, l’art des empires d’Orient. Les Égyptiens continuaient à ensevelir leurs morts transformés en momies, mais ils faisaient peindre leurs portraits par des artistes qui connaissaient tous les artifices de la peinture. Ces portraits, faits sans doute par de modestes artisans et à des prix très bas, nous étonnent encore aujourd’hui par leur vigueur et par leur réalisme. Peu d’œuvres antiques ont autant de fraîcheur et semblent aussi « modernes ». »
Les portraits du Fayoum témoignent donc de l’assimilation à une pratique funéraire ancienne d’une technique nouvelle de représentation, importée par les Romains. Ce que résument Françoise Dunand et Roger Lichtenberg : « Aux époques ptolémaïque et romaine (330 av. J.-C. à 395 apr. J.-C.), la technique de momification n’évolue plus. Tout au plus peut-on noter le soin particulier donné au bandelettage qui forme des dessins géométriques très savants, en utilisant des tissus polychromes et des éléments décoratifs en stuc souvent doré. On utilise toujours les cartonnages et les sarcophages mais, à l’époque romaine, un usage nouveau fait son apparition, celui du portrait peint inséré dans les bandelettes : les « portraits du Fayoum » en sont un exemple. Il s’agit d’une technique importée, proche de la peinture pompéienne, mais dont l’usage, ici, est dans la continuité de la tradition égyptienne du masque funéraire » (« Momies, Égypte », Universalis).
Lors d’un voyage en Égypte, la visite du Musée égyptien du Caire, sur la place Tahrir, permet d’en découvrir quelques-uns, dans la salle 14 du deuxième niveau.
Réalisés sur bois ou sur lin, à cire ou à la détrempe, ils exhibent une palette de teintes relativement peu étendues et uniforme et la qualité des portraits varie. Aucune œuvre sans doute ne rend plus concrète ou sensible la proximité et l’humanité d’hommes et de femmes du commun bien vivants, rendus à l’anonymat par le passage des millénaires. En dépit d’indices de leur situation sociale, ni leur nom ni leur vie ne nous sont accessibles. Du fond des âges, ils demeurent des visages sans existence autre que celle que l’imagination qui seule les pourrait les soustraire à la mort. Étrange sensation d’une empathie pour des êtres dont nous ignorons tout, mais qui vécurent bel et bien.
Pour poursuivre :
« Des siècles après, ces regards sont toujours vivants. Énigmatiques portraits du Fayoum », John Berger, Le Monde diplomatique, janvier 1999.