Alors que la Grande Bretagne s’apprête à célébrer le centenaire du droit de vote des femmes, la ministre de l’intérieur Amber Rudd a annoncé qu’elle était pour le pardon des suffragettes, c’est à dire pour que les condamnations pour violences ou désordres publiques que les suffragettes ont reçues il y a plus d’un siècle soient effacées. Ça va leur faire bien plaisir, tiens. Si il y a une suffragette zombie ou fantôme dans l’assistance, je suis sûre qu’elle appréciera. Je sais bien que c’est pour le symbole, mais si vraiment Amber Rudd voulait rendre hommage aux suffragettes, elle pourrait déjà s’attaquer aux discriminations que son ministère fait sciemment subir aux femmes au foyer européennes. C’est un exemple au hasard bien sûr, parmi le monceau de discriminations en tout genre touchant tout un tas de gens que le home office met en place à la vitesse d’un cheval au galop. La comparaison n’est pas dûe au hasard, puisqu’en 1913 une suffragette, Emily Wilding Davidson, se suicide pour protester en se jetant sous le cheval du roi à l’Epsom Derby. Enfin bref, ça me donne l’occasion de revenir sur un détail de la lutte pour le droit de vote des femmes que j’adore.
Pour résister aux violences policières qui étaient un chouïa disproportionnés, scandaleuses débridées quand même, les suffragettes ont eu l’idée géniale d’apprendre le jiu-jitsu. En 1910, il fallait y penser! Les policiers avaient la main et la matraque plutôt lourdes et les suffragettes en ont eu marre de se faire taper dessus au sens propre (au figuré, c’était visiblement réservé aux députés, hommes donc, qui refusaient depuis 1867 de terminer concrètement un seul débat sur le droit de vote des femmes). Lors d’une manifestation le 18 novembre 1910, 300 suffragettes affrontent des policiers, une centaine est blessée (et arrêtée, il n’y a pas de raison de se gêner à les soigner, une suffragette à terre est beaucoup plus facile à attraper que une qui courre), et deux sont mortes. Sans compter que des passants frustrés sexuels imbéciles se sont joints aux forces de l’ordre pour leur taper dessus aussi. Et policiers comme civils n’avaient pas que la main lourde, ils l’avaient aussi baladeuse. On nage en plein glauque, un instant, je vais m’aérer.
Bref, les suffragettes ont décidé d’arrêter de se laisser faire et de servir de défouloir à tous les policiers enragés et les passants obsédés, et ont commencé à suivre les cours de jiu jistu qu’Edith Garrud (et son mari William. Comme quoi, il y avait aussi des hommes féministes en 1910) leur proposait à l’instigation de Sylvia Pankhurst, leur chef de file. La presse a d’ailleurs inventé le terme suffrajitsu à l’époque. Non seulement on n’avait pas franchement l’habitude de voir une femme se rebeller physiquement contre un homme, sourtout un policier, mais encore moins lui flanquer une pâtée! Les caricaturistes ont beaucoup aimé, et au lieu de se moquer de suffragettes, pour changer un peu, ils ont tourné en ridicule les policiers.
La fille de Sylvia, Emmeline a encouragé toutes les suffragettes à apprendre le jiu-jitsu, pour se défendre contre les violences policières, mais pas que. Comme sa mère était sous le coup d’un mandat d’arrêt, elle se déplaçait de réunion publique en réunion publique protégée par une trentaine de gardes du corps, toutes entraînées au jiu-jitsu et prêtes à en découdre. Elles empêchaient les forces de l’ordre d’approcher et donc d’arrêter Sylvia! Elles étaient prêtes à partir sur un simple appel, n’importe quand et n’importe où pour protéger Sylvia Pankhurst. Elles cachaient matraques et autres objets contondants dans leur robe, faisaient preuve d’une combativité certaine qui leur a valu le surnom d’amazones dans la presse et et n’hésitaient pas à user de tous les stratagèmes possibles. La BBC rapporte que pour la « bataille de Glasgow » (si,si, carrément une bataille) en 1914, la police essayait d’arrêter Sylvia en plein meeting . Ses gardes du corps avaient tout prévu, elles avaient caché des barbelés dans les fleurs autour de la scène, les policiers se sont empétrés dessus en voulant charger. S’en ait suivi un pugilat acharné entre 30 suffragettes et 50 policiers. Toujours en 1914, les amazones protégent cette fois Emmeline Pankhurst, qui fait un discours depuis un balcon londonien. A nouveau, on a assiste à une bataille rangée entre féministes et policiers qui finissent par arrêter une Emmeline camouflée sous un voile et inconsciente à force de coups. Ben oui, sauf que ce n’est pas elle mais une de ses gardes du corps dévouées qui a pris sa place pendant qu’elle s’échappait, Ahaha!
Les suffrajitsu étaient prêtes à tout, y compris la violence, pour obtenir le droit de vote. Mais elles ont arrêté leur mouvement au début de la guerre pour se mettre au service du pays apparament. Et du coup, quand les hommes politiques se rendent compte en 1918 que pour être élu, il faut un électorat et qu’il a bêtement été décimé dans les tranchées, elles obtiennent enfin le droit de voter. Je ne sais pas si c’est grâce au jiu-jitsu, mais ça a peut-être aidé un peu!