L'attrait de l'étranger
Contrairement à ma sœur, pour qui cela a toujours été une évidence qu'un jour elle habiterait en Écosse (et qui a saisi la première opportunité qui s'est présentée à elle), ça n'a jamais fait partie de mes projets de faire ma vie (ou au moins une partie d'elle) à l'étranger. En fait, l'idée ne m'avait même jamais traversé l'esprit. Ce n'était pas une question de difficulté ou de non-intérêt, simplement, en grandissant, cela ne m'est jamais apparu comme une possibilité pour moi.
À la fin de mon premier cycle d'études, j'ai postulé pour plusieurs licences professionnelles et l'un des critères qui devait orienter mon choix était la possibilité d'effectuer un semestre à l'étranger. Pour l'expérience, autant professionnelle que personnelle. L'idée me disait bien mais encore une fois, c'était avant tout sous l'angle du bénéfice que je pourrais en retirer en même temps que le côté "vacances étendues". Finalement, je n'ai pas poursuivi mes études car j'ai eu l'opportunité de travailler tout de suite après l'obtention de mon diplôme et ce semestre à l'étranger est resté lettre morte.
Je l'ai déjà expliqué dans mon article sur les raisons qui m'ont poussé à vouloir déménager, mais je ne me suis jamais sentie chez moi pendant mes années à Chambéry. Au fil des années, cela s'est transformé en mal-être, un mal-être grandissant qui m'a fait prendre conscience petit à petit qu'il fallait que je parte si je voulais aller mieux. Au début, alors que c'était encore une idée avec laquelle je jouais sans conséquence, j'ai pensé déménager sur Lyon pour pouvoir bénéficier d'une vie culturelle plus étoffée, ce qui était l'une des choses qui me manquait le plus. Mais pour tout un tas de raisons (la principale étant que je ne me voyais tout simplement pas vivre là-bas non plus), cela n'a jamais abouti.
Et puis, cette opportunité manquée de semestre à l'étranger s'est faite de plus en plus pesante. Entre-temps, j'avais commencé à voyager en solo en Europe et surtout, ma sœur était installée en Écosse depuis plusieurs années. L'idée a donc fait son petit bonhomme de chemin : pourquoi ne pas quitter la France à mon tour ? Quitte à déménager, autant le faire vraiment, non ? De toute façon, quand j'y réfléchissais, aucune ville de France ne m'attirait vraiment. Je n'ai pas de désamour pour mon pays mais après avoir passé plusieurs années dans une ville où je ne me suis pas sentie bien dès l'instant où j'y ai posé le pied, il était primordial pour moi de déménager quelque part où j'avais envie d'être.
J'ai d'abord pensé à Londres, pour le côté pratique : mais encore une fois, si j'appréciais la ville en touriste, je n'arrivais pas à m'y projeter. Alors, j'ai pensé "PVT Hong Kong". Carrément. J'ai toujours été fascinée par cette ville (merci Wong Kar-Wai) et c'est sans aucun doute le voyage de mes rêves. Mais encore une fois, je n'ai jamais osé sauter le pas car je sentais bien que c'était trop grand, trop loin, trop d'un seul coup et que ça ne correspondait à la direction que je souhaitais faire prendre ma vie. Quelle que soit la ville où je m'imaginais déménager, il y avait toujours quelque chose qui me retenait. Ce n'était jamais "la bonne".
Les années ont passé, j'étais toujours bloquée dans ma ville, plus malheureuse de jour en jour. Et puis à l'été 2015, le malaise s'est mué en urgence : il fallait que je m'en aille, ça devenait une question de survie. Et en quelques semaines, en quelques jours, des années de cogitation se sont transformées en une évidence : ce serait Vienne.
Le déclic
Rien ne me prédestinait à déménager à Vienne. Je n'avais jamais eu d'attirance particulière pour la ville ou l'Autriche en général. Je n'y avais même jamais mis les pieds avant le début de l'année 2015. Certes, Gustav Klimt faisait partie depuis longtemps de mes artistes favoris mais sans non plus lui vouer une fascination particulière. Comme pour beaucoup, la ville ne me faisait pas naître d'images particulières en tête à son évocation, si ce n'est peut-être les habituels clichés : Sissi, les chocolats viennois, le concert du Nouvel An et la valse (je pars de loin !).
Jusqu'à...
J'adore raconter cette anecdote car c'est l'un des rares moments de ma vie (si ce n'est le seul en fait) jusqu'à présent où j'ai eu l'impression que quelque chose de plus grand que moi était en train de se produire. Par un soir de novembre 2014, je m'ennuie, je dépéris à l'idée de passer encore un week-end dans ma ville si détestée alors j'erre sur Internet pour trouver où je pourrais bien partir quelques jours. N'importe où tant que c'est ailleurs. Par la magie de la sérendipité du net, je tombe sur le site des Carrières de Lumières qui proposent cette année-là un spectacle sur Gustav Klimt et la Sécession viennoise. Sur le moment, je me dis que c'est un prétexte comme un autre : ni une, ni deux, en quelques heures je réserve une chambre d'hôtel pour le week-end suivant et je m'organise deux jours en Provence. Quelques jours plus tard, j'assiste au spectacle des Carrières et je ressors complètement subjuguée, avec une seule idée en tête : il faut que j'aille à Vienne.
Et acte. Il ne me faudra pas beaucoup de temps pour réserver mon premier séjour viennois en février 2015. Pourtant, tout ou presque s'est ligué contre moi pour que je déteste ce voyage : j'apprends que mon vol est annulé au moment où je m'apprête à partir de chez moi pour attraper la navette qui doit m'emmener à l'aéroport de Genève. J'appelle en panique la compagnie, on me rassure qu'on me mettra sur un autre vol. Soulagement. J'arrive plus tard que prévu le jour même mais j'arrive. Puis, je tombe malade, une grippe comme jamais je n'en ai eu de ma vie (encore jusqu'à aujourd'hui ai-je rarement été aussi malade que cette fois-là, avec arrêt de travail à mon retour pendant une semaine) : les deux derniers jours, j'erre dans la ville, je lutte pour tenir debout et mon planning, je manque tourner de l’œil plusieurs fois durant ma visite de Schönbrunn. L'enfer, vraiment, et je pèse mes mots.
Et pourtant, aucun voyage jusqu'à aujourd'hui ne m'a autant chamboulée. Dès mes premiers pas, une impression m'assaille : j'ai l'impression d'avoir toujours vécu ici. D'y être chez moi. C'est inexplicable mais tout me semble familier, naturel. J'y trouve instantanément mes repères, me crée déjà des habitudes. Malgré les galères, malgré ma grippe carabinée, je reviens absolument enchantée, comme si j'avais fait le voyage de ma vie. Est-ce la maladie qui m'a fait délirer à ce point ? Mes souvenirs sont-ils déformés par la fièvre ? Je sens, je sais que mon histoire avec cette ville n'est pas terminée mais je ne sais pas encore très bien quelle forme elle prendra.
Quelques mois plus tard, quand je prends la décision de quitter l'environnement toxique où évolue désormais ma vie (un état de stress et de fatigue constant qui m'a clouée dans mon canapé pendant des semaines ce fameux été et qui a été le point de départ), il ne me faut pas bien longtemps pour me rendre à l'évidence. Ce sera Vienne. Je ne sais plus comment j'en suis venue à envisager cette possibilité mais dès que l'idée se forme, je sais que c'est "la bonne". Enfin.
J'ai néanmoins bien conscience de tout jouer sur un coup de poker. Je ne parle pas la langue ou très mal (je me revois le jour de mon dernier cours d'allemand à la fac me dire enfin, soulagée "plus jamais" ; maintenant j'en ris jaune), la question du travail se pose. Mais ma décision est prise : je me laisse un an pour préparer mon expatriation, remettre le pied à l'étrier concernant l'allemand, régler cette histoire de boulot, me renseigner sur les démarches. Je retourne deux fois à Vienne pour confirmer mon choix et chacun de ces voyages renforce mon projet : à l'instant t, je ne me vois faire ma vie nulle part ailleurs. Pour l'indécise que je suis, c'est une décision majeure et pendant de longs mois j'ai de gros moments de doute sur ma capacité à vraiment sauter le pas. J'ai peur de faire marche arrière le moment venu. Peur d'avoir rêvé trop grand. Peur d'être rattrapée par la réalité. Peur de ne pas en être capable, tout simplement. Mais je laisse filer les mois, un an c'est long et rapide à la fois, je me dis que j'ai le temps, le temps de voir venir, de me préparer...
Et l'année passe. L'été 2016 arrive, j'ai la chance de pouvoir garder mon travail (un souci en moins), je trouve un appartement après des dizaines de demandes infructueuses (alors que je n'y croyais plus, à un mois de partir, alors que j'étais prête à tout annuler si je faisais chou blanc) et un matin d'août, je monte dans la voiture chargée à bloc avec mes parents, direction l'Autriche. Finalement, je n'ai pas reculé.
Le coup de foudre
Il y a des choses qui ne s'expliquent pas : pourquoi ai-je l'impression d'avoir déjà vécu ici ? Pourquoi tout m'y semble évident ? Pourquoi a-t-il fallu à peine quelques heures pour m'y sentir chez moi ? Je n'ai pas les réponses à toutes ces questions. Je n'ai que des pistes qui me font adorer cette ville un peu plus chaque jour qui passe.
La fausse nonchalance des Viennois et leur côté tranquille qui arrive à calmer la fille hypernerveuse que je suis. Son côté grandiose, qui m'allume des étoiles dans les yeux à chaque fois que je mets le nez dehors. Sa qualité de vie incomparable. Ses cafés où j'adore passer des heures et me gaver d'Apfelstrudel. La propreté de ses rues. Ses restaurants si peu chers qui me permettent de supporter de ne m'être toujours pas faite à l'épreuve des courses au supermarché. Les innombrables expositions sur Klimt dont je ne me lasse pas, même si parfois leur qualité est discutable. La nature à portée de tram. Ses Heuriger au milieu des vignes l'été. Ses recoins cachés qui recèlent de trésors. Ses bâtiments art nouveau superbes. Sa grande richesse culturelle.
Mais surtout, chaque matin, je savoure le bonheur de me réveiller dans une ville où je me sens bien, où je fourmille de projets, où chaque week-end devient une aventure. Je ne voyage plus pour fuir mais pour aller à la découverte d'autres endroits et quand je rentre chez moi, c'est toujours avec le sourire aux lèvres, heureuse de retrouver mon quotidien et ma ville bien-aimée, et cette hâte de me glisser à nouveau dans mon quotidien.
Le coup de foudre a été immédiat. Presque un an et demi plus tard, l'émerveillement est toujours présent et la passion intacte. Je ne sais pas de quoi sera fait demain. Pour le moment, quitter cette ville est inenvisageable mais je ne peux pas affirmer que j'y resterai toute ma vie. Cette année, un nouveau défi m'attend, pour m'ancrer encore plus durablement à Vienne. J'espère pouvoir le relever sinon je sens que mon avenir ici risque d'être compliqué. Mais ceci est une autre histoire... expatriée ? Nous verrons !