Un titre en français, pour un billet tapé en France sur la route de Calais, avant de reprendre le tunnel vers l’Angleterre. Parce que ça y est depuis ce matin, on a une maison en France. On a signé chez le notaire. On a les clés. Je n’en ai pas trop parlé avant parce que jusqu’à la dernière seconde j’étais fermement persuadée que quelque chose allait rater. Ce n’est pas juste que je suis un chouïa pessimiste et stressée naturellement, mais parce que je suis habituée au système anglais où effectivement un achat immobilier peut s’écrouler à la dernière seconde.
Enfin bref, on a acheté une maison en France, voilà on est prêt à quitter brexitland. J’ai encore du mal à y croire. Cette maison est à nous, dans le pays dont nous avons le passeport, et pas à une banque en plus. Personne ne pourra nous mettre dehors. C’est dire comme ces 18 derniers mois ont été épuisants nerveusement pour que j’en sois à tenir ce genre de raisonnement. Il faut dire aussi que depuis le premier janvier en Brexitland, le ministère de l’intérieur oblige les banques à vérifier les comptes des étrangers, officiellement pour débusquer les immigrés clandestins (c’est sûr, ils doivent avoir des comptes en banque garnis, vu qu’ils n’ont généralement même pas de quoi bouffer). On gèle directement leurs avoirs sans sommation, à charge pour eux de faire appel auprès du home office et de prouver qu’il y a eu erreur. Tout ça sans avoir accès à un seul centime pour payer un avocat bien sûr. Comme d’après le ministère lui-même il devrait y avoir 10% d’erreur, soit 10% de gens se retrouvant à la rue sans pouvoir utiliser leur propre argent, ça met en confiance. Et c’est tous les mois. Bref, ça m’a rendu légèrement parano, et doublé ma joie de posséder vraiment une maison ailleurs.
Enfin une maison…d’après l’agent immobilier, c’est plutôt un projet plein de potentiel. Soit dans le langage courant, une ruine. J’exagère, il y a des murs et un toit. Et ils tiennent. Les fenêtres flambant neuves font un peu bizarre au milieu. Il y a même le chauffage et l’eau courante. Bon par contre, niveau électricité, c’est d’époque. Ce n’est pas dangereux, les diagnostics sont formels, mais laborieux. Enfin, ça éclaire…ce n’est pas qu’il fasse tout redécorer, il faut tout restaurer. La cuisine est un bonheur…Je préfère encore manger trois fois par jour au Macdo plutôt que d’essayer de mettre un orteil là dedans, c’est dire, et ne me faites pas parler de la salle de bains, je vais pleurer. Vous allez me dire, qu’est-ce qui nous a pris, d’acheter un tel taudis? Ben justement, ce n’est pas un taudis. L’agent immobilier a raison (ça me surprend moi même d’écrire ça), il y a un potentiel énorme. Une fois qu’on aura arraché les 25 000 couches de papiers peints (y compris au plafond), fait passer un électricien, refait la cuisine et la salle de bains, ça sera très sympathique. Ça l’est déjà d’ailleurs à sa façon vieillotte et poussièreuse. C’est attachant. On a acheté à un couple charmant bien plus fragile et vermoulu que la maison. Ils y vivaient depuis leur mariage, il y a 70 ans. Rien que ça, ça m’a enthousiasmé.
Il y a eu une histoire, une âme dans cette maison. Visiblement, un précédent propriétaire, médecin, maire du village (on ne se refait pas, on a encore choisi un bled paumé) et original patenté avait fait construire un bassin dans le jardin pour son petit requin domestique. Si. D’où le titre, et les cris de joie de Marichéri et moi quand on a appris la chose. Le bassin est toujours là, il a servi de piscine aux enfants qui se sont succédés dans la maison par la suite. Il paraît même que le propriétaire du petit requin a enterré son trésor dans le jardin pendant la deuxième guerre mondiale devant l’avancée des troupes allemandes avant de prendre la fuite. Le trésor n’a jamais été retrouvé et attendrait toujours sagement dans le jardin, ou peut être la cave… deuxième salve de cris de joie. Il y a un grenier, avec une ancienne cuve pour l’eau de pluie, un dédale de salles mystérieuses à la cave, des cheminées de partout, des moulures aux plafonds, l’ancien bureau du médecin original qui se prenait pour un méchant de James Bond par anticipation, des carreaux de ciment d’origine, et un boulot monstre pour remettre tout ça en état mais bon…on a adoré.
Alors voilà on ne fuit pas bêtement brexitland, on a un projet, des choses à faire, à prévoir, à attendre, de nouvelles envies (au hasard, une cuisine…). Notre départ imminent n’est plus un échec, un renoncement, c’est le début d’une nouvelle aventure. Parce que je sens que la maison du petit requin n’a pas fini de nous occuper!