05 Finlande – D’un canapé à l’autre

Publié le 08 janvier 2018 par Jesse Eat World

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How do you know the food is salty? Because you had to taste it right? 
It is the same for everything in life!
- Ali

A pas feutrés, je traverse le dédale de lotissements de Kiiruna. Pas un bruit. La nuit couleur d’encre a absorbé le paysage et coule à présent sur la neige cotonneuse qui s’écrase sous mes bottes.

Une poignée de réverbères éclairent tant bien que mal les façades austères de la banlieue résidentielle de Rovaniemi. Pas un chat. Le noctambulisme a visiblement été banni sous ces latitudes. Alors que je progresse au-devant de ce décors peu engageant je réalise que je n’ai jamais vraiment eu à m’inquiéter de ma sécurité ces derniers temps.

La Finlande est un pays où il fait bon baisser sa garde.

A défaut d’affûter ses sens on finit par les regarder se résorber et on apprend à se laisser aller à une douce sérénité. Ce n’est pas si facile ! Presque ennuyé par tant de tranquillité, je m’efforce de guetter le moindre signe d’activité humaine, le moindre son anormal…

Rien.

Bientôt j’aperçois le cabanon pizzeria.

« A la pizzeria, prend à droite au niveau du deuxième lotissement » précisait Ali dans son dernier texto… avant d’ajouter: « Si tu ne trouves pas, appelle-moi, je te crierai les indications depuis ma fenêtre ! »

Moi: Et puis merde, je l’appelle !

22h05 – Ali et Lars sont attablés autour d’une dizaine de canettes de bière bon marché.

« Want some? »

Lars fait tourner son dernier paquet de Haribo, un trésor qu’il gardait jalousement au fond de son sac.

Je crois qu’on vient de briser la glace…

D’ailleurs Ali m’invite à prendre les commandes de son compte Youtube pour leur donner un aperçu de mon univers musical.

Un allemand, un irakien et un français sont dans une cuisine… On croirait le début d’une de ces bonnes vieilles blagues flirtant avec le politiquement incorrect…

Ali et Lars sont potes depuis plusieurs années déjà.  Ils sont tous les deux de grands habitués du Couchsurfing, une façon de voyager à laquelle il doivent leur amitié. En la matière, Ali détient le record le plus impressionnant: en seulement quelques années il a déjà hébergé plus de 180 voyageurs. Alors qu’on discute de son mode de vie je réalise que sa maison ne désemplit en fait quasiment jamais, il a d’ailleurs déjà prévu plusieurs « rdv » dans les semaines qui suivront mon départ.

Il m’explique dans un fort accent oriental:

« It coming from my culture. Hospitality is very normal in my family. I always having people stay at my place, I not mind, I like people! »

« Then we could call you an anthropologist, constantly learning about humans? »

« It’s funny, it’s little like this yes. You know the most interesting people are not the ones we think. Happiest people I met are the most open-minded ones. You have to try things in life. When you try something, good or bad, you put it behind you as experience. How do you know the food is salty? Because you taste it right? Well it is same with everything in life!

Ali évoque les personnalités loufoques qu’il a hébergé, comme cet artiste new-yorkais haut perché qui organisait régulièrement des vernissages nudistes suivis de soirées d’anthologie – comprendre des orgies romaines quoi…

« Some people awesome, you can feel, full of positiveness, these people I love to host, other people less interesting, rude sometimes. I don’t like it, but all people deserve to sleep under a roof, this is my education. Sometimes I host people without profile information, just because I received good recommendation. »

Ali

Je passe quelques jours avec Ali, ce qui me permet d’en apprendre un peu plus sur cet hôte au grand cœur. Son histoire est assez particulière, car derrière ce grand sourire se cache aussi beaucoup de souffrance et je suis touché lorsqu’il décide de m’en parler:

Né en Irak, Ali évoque avec fierté la cuisine de son pays alors qu’il me prépare un fasolia bayda (plat typique à base haricots et de piment). Lorsqu’il me parle de sa culture, de son art ou de ses compatriotes les mots qu’il choisit se font toujours les ambassadeurs d’un amour inconditionnel pour son pays. Un pays qu’il a dû quitter dans la précipitation pour échapper à la guerre. Cela fait 4 ans, au terme d’un long périple, qu’Ali s’est installé en Finlande. Entre le Désert d’Arabie et la Toundra Lapone il n’y a probablement pas plus grand écart…

A présent l’heure est à l’attente, puisqu’il doit patienter jusqu’à la décision de l’administration finlandaise qui lui remettra ou non des papiers afin d’officialiser son « adoption » par ce nouveau pays*. Cela fait déjà 7 mois, mais comme il le dit si bien:

« For some people it will just take few months, others they have to wait for years… and sometimes never get it. »

En attendant ces papiers qui lui permettraient en outre de voyager à nouveau, Ali voyage par procuration en se faisant l’hôte de dizaines de couchsurfers venus des 4 coins du monde. Son profil sur le site déborde de recommandations chaleureuses, une des raisons qui m’avaient d’ailleurs poussées à le contacter.

J’ai beaucoup d’estime pour la simplicité de la philosophie de vie de cet hôte pas comme les autres qui me rappelle une nouvelle fois combien l’ouverture d’esprit et le positivisme sont les clés d’une vie heureuse.

Si l’on finit par récolter ce que l’on sème, alors autant semer le bien tout autour de nous, chaque fois que l’opportunité se présente !

Mikko

Tampere se distingue des autres villes finlandaise par son architecture très caractéristique de l’ère industrielle ayant marqué l’histoire de la ville. On l’appelle d’ailleurs parfois la « Manchester du Nord ». Longues cheminées et complexes en briques rouges, statues en fonte, engrenages et mécanismes apparents, constructions brutes et barrages… la ville est un véritable musée à ciel ouvert.

Son histoire tient en grande partie à sa localisation stratégique: les lacs Näsijärvi et Pyhäjärvi qui l’entourent comptent une différence de niveau d’a peu près 20 mètres, ainsi les eaux qui s’écoulent de l’un vers l’autre forment un rapide, le Tammerkoski, dont l’exploitation par l’homme fut en grande partie la source de l’essor industriel de la région pendant plus d’un siècle !

Nouvelle destination, nouveau couchsurfeur: je fais la connaissance de Mikko dans le hall de la gare centrale. Grand gaillard à la peau pâle et aux cheveux blonds, ses yeux fins sont encadrés par l’épaisse monture noire de ses lunettes. Au premier abord je suis un peu déconcerté par sa nonchalance, mais Mikko est une crème !

Non content d’avoir accepté de me loger sans me connaître et malgré le peu d’avis sur mon profil, il me propose aussi de me servir de guide dans cette ville qu’il connaît comme la paume de sa main. Comme il le dit, le Couchsurfing c’est avant tout une plateforme d’échange où la relation monétaire est mise de côté pour faire place à la spontanéité de la rencontre. Lorsque vous réservez un hôtel, les chances que vous vous retrouviez à refaire le monde autour d’une bière avec le concierge ou vos voisins de chambre sont assez minces… En Couchsurfing, ce genre d’activités c’est la base ! En contrepartie avoir recours au Couchsurfing pour se loger demande une certaine intelligence sociale afin de ne pas tomber dans le travers du profiteur dont l’objectif n’est purement que de gruger une nuit.

Après avoir écumé les rues du centre-ville sous un ciel gris opaque, on se pose autour de quelques bières (vous voyez je vous l’avais dit !). Mikko n’est pas un grand bavard et c’est limite un peu déstabilisant d’encaisser les blancs les uns après les autres. J’ai l’impression à chaque fois que je dois relancer immédiatement la discussion sans quoi je serais transformé en licorne sur le champ par les dieux de la conversation. En bon français maniaque des politesses d’usage je me surprend à endosser le rôle de ce Mr. Météo bien connu des voisins et des ascenseurs qui, s’appuyant sur une solide acuité visuelle, est capable de déterminer par exemple qu’aujourd’hui le ciel n’est pas bleu mais « légèrement couvert »…

En fait je réalise que Maarit avait raison lorsqu’elle m’expliquait qu’en Finlande les silences font partie de la conversation et qu’il faut simplement apprendre à les écouter.

Heureusement un sujet, plus que les autres, nous rassemble. Ce sujet c’est la musique. Sous sa timidité apparente, Mikko est en fait un passionné d’art et de musique. Il me parle de son univers surtout fait de heavy metal, de black metal et d’autres types de métal dont je ne soupçonnait pas l’existence, mais ses connaissances musicales vont bien au-delà d’un seul genre. Quand je lui parle de mon univers à moi, plutôt à la croisée entre le rock et la folk et dans lequel Neil Young côtoie par exemple les Foo Fighters ou Sigur Rós, il me demande:

« And have you heard of Shawn James? »

Euh en fait non.

Le type m’a cerné dans le mille, je m’en rends compte dès les premières notes de la soul rocailleuse de Shawn James qui envahissent la pièce. Et alors que Mikko nous sert une vodka de sa réserve personnelle, je découvre ce super son qu’est « Through the Valley ».

Mikko me confie qu’il cherche du travail. Je comprends, quand il finit par m’en parler, pourquoi il répète si souvent les mots « pas cher » ou « promo ». Il est d’ailleurs très calé sur le Tampere pas cher, ce qui m’est bien utile. Malgré son diplôme en sciences de l’ingénieur en poche il m’explique que ce n’est pas si simple de trouver des offres qualifiées et se retrouve à devoir considérer d’autres options. La bonne nouvelle c’est qu’on vient de lui proposer une opportunité pour bosser pour l’un des plus grands saunas publics de la ville et connaissant l’importance des saunas en Finlande, ce n’est pas rien !

La soirée se poursuit dans un resto du centre-ville. Ambiance Far West ! Selles à cheval en guise de tabourets, morceaux de diligences et harnachements pendant du plafond, fers à cheval cloués un peu partout sur les vieilles poutres… tout y est ! Pour peu on retrouvait le grand Sergio Leone en cuisines !

Alors que nous contemplons les deux énormes burgers qui ont été déposés sur la table, Mikko me présente une autre spécificité de sa ville: le piment ! Tampere est une ville épicée qui accueille d’ailleurs chaque année le Chilifest ou Festival du piment où se retrouvent pour chaque édition plusieurs dizaines de milliers de fans ! Ici pas de Tabasco mais de la Poppamies, une marque locale, spécialiste des sauces pimentées dont les étiquettes sont soigneusement designées et précisent un chiffre compris entre 1 et 10. Ce chiffre correspond au degré de piquant. Personnellement je ne m’aventure pas au-delà de la n°4.

C’est sur cette saveur piquante-acidulée, celle des rencontres nouvelles qui élargissent et enrichissent votre univers, que je quitte Tampere le lendemain pour rallier Helsinki, ville-capitale et dernière étape de mon voyage finlandais.

*J’apprendrais avec grande joie quelques mois après mon retour en France qu’Ali a enfin obtenu ses papiers finlandais. Bons voyages mon ami!

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