Les fins d’années finissent toutes par se ressembler un peu. D’autres sont un peu plus violentes, d’autres plus douces, mais elles ont toutes la même caractéristique de ressembler à une pause entre deux morceaux de vies, comme une transition dans laquelle énormément de choses se jouent. Et c’est précisément là qu’il faut se montrer vigilant, dans les recoins, dans les détails, afin que les choses ne dérapent pas. Il fait si gris et si sombre dehors, si humide, qu’il faut encore pendant la journée, les matins surtout, laisser quelques lumières allumées pour pouvoir ne pas sombrer dans la plus profonde des mélancolies. Les ombres et les fantômes peuvent facilement s’insinuer entre les portes mal fermées, dans les courants d’air les plus imperceptibles. Il suffit simplement d’être attentif, de garder ses sens en éveil.
Giovanni Francesco Anerio : Dio ti salvi, Maria (Rome, 1617)
Sacred music for the poor (Santa Maria in Vallicella, Rome, c.1600)
Concerto Romano, Alessandro Quarta
Alors voilà. La lumière est allumée en permanence, comme un feu entretenu avec patience, les yeux restent ouverts, je regarde par la fenêtre, je guette que le ciel soit toujours là, que rien ne bouge, que rien ne me déstabilise… être certain que tout soit encore bien en place. An unfortunate sequence of glitches… Le vent a tout emporté, la pluie s’est remise à tomber et les quelques feuilles mortes qu’il restait sur le sol ont été emportées je ne sais où, mais ce qui se passe dehors n’est pas mon affaire. Ce qui se passe dedans ne l’est pas tellement plus, à vrai dire. Mon affaire est ce qui se situe à la lisière, dans les espaces de confinements, dans les écarts, les fissures. Tout le reste n’est que du patinage… ou du tourisme (ce n’est pas moi qui le dis…).
Michelangelo Merisi dit Le Caravage - La Madone de Lorette (ou Madone des Pèlerins), c.1603-06 - Huile sur toile, 260 x 160 cm, Rome, Basilique Saint-Augustin
Ce tableau du Caravage renferme un secret. Ce n’est en rien une scène biblique mais une scène profane qui parle de l’humilité des pauvres. D’ailleurs, l’enfant que tient la Vierge n’est pas véritablement un enfant ; beaucoup trop grand pour être encore porté, il est également suffisamment lourd pour ne pas être porté avec autant de légèreté. Ce qui en ressort, une fois de plus, c’est que la peinture n’a jamais cherché à reproduire la réalité. Ce n’est pas de ça dont il est question.
J’aime ces belles journées lumineuses où la clarté froide et tranchante du soleil baigne une nature encore dégoulinante d’humidité, des journées où l’air sent le bois brûlé et les feuilles en décomposition. J’ai comme l’impression de n’avoir pas avancé d’un pouce encore cette année, mais je sais que ce n’est qu’une étrange farce, une pantalonnade qui fait qu’on se voile à soi-même ses propres réalisations. Il s’est bien joué des choses, qu’on ne voit pas forcément ; encore une fois, ce n’est que dans les écarts qu’on aperçoit la réalité des choses, dans les distorsions.
Encore une année que je laisse derrière moi. Je n’en garde plus rien. Tout ce qui s’est passé cette année n’aura plus lieu l’année prochaine, je fais table rase, j’efface tout et il n’en restera rien, c’est mieux ainsi et pour tout le monde. Il neigeait tout autour et j’ai regardé les gens tomber. Quant à la nostalgie, elle ne fait que faire ressortir les plus belles choses de la vie ; les mauvais souvenirs font rarement partie de ce que l’on aime se remémorer. Cette nouvelle année qui s’ouvre sera belle parce qu’elle sera difficile — ce qui demeure trop facile n’est finalement qu’accessoire —, elle sera pleine d’images et de couleurs, de musique, de magie, de mots sortis de nulle part, d’incartades dans les univers lumineux. Il est plus que temps de faire du ménage.
Photo d’en-tête © Joey Pilgrim