C'est un automatisme : à chaque nouvelle destination, mon réflexe est de chercher la présence de bâtiments art nouveau et d'organiser un petit circuit. Au-delà de nourrir ma passion, cela me permet souvent d'arpenter des quartiers moins connus où l'on n'a d'habitude pas l'occasion d'aller. Pour Salzbourg, j'ai bien cru que j'allais faire chou blanc. Dès le premier résultat de recherche, le constat est clair : le développement du mouvement s'est fait très rare dans la ville de Mozart, ce qui s'explique par notamment par un climat conservateur au tournant du XXe siècle. Heureusement, on y trouve quelques représentants, même s'il faut savoir où les trouver. C'est parti pour une nouvelle balade art nouveau !
AUTOUR DE LA GARE
Villa Geppert (Stauffenstraße 8A)
Arrivant par voie ferroviaire, je commence mon exploration dans les alentours de la gare. La première maison sur ma liste, la
Villa Geppert, illustre bien le genre d'art nouveau que l'on trouve dans la région : un style résolument rural, où quelques éléments de décors se fondent dans des bâtiments sinon très typiques. Il faut chercher les éléments
Judgenstil, qui ici se résument surtout aux vitraux et à l'inscription au-dessus de la porte, à l'arrondi également caractéristique. Pas trop ma tasse de thé mais cela a au moins le mérite de me faire découvrir de nouvelles déclinaisons et influences.
Markus-Sittikus-Straße 3
Mon deuxième arrêt est l'
Hôtel Villa Carlton. Je reste un peu dubitative devant le bâtiment même si en arrivant à proximité, je le repère de suite et comprends que c'est celui-ci que je suis venue voir. Il y a quelques frises, les ferronneries des balcons sont un peu ouvragées mais tout cela reste assez léger, et même la structure globale fait plus penser à un petit manoir qu'à une véritable résidence art nouveau. Sur le chemin, on passe également devant l'
Hôtel Crowne Plaza, autrefois un bel exemple d'architecture art nouveau avec notamment son intérieur conçu par
Josef Hoffmann... mais dont il ne reste rien (on peut apercevoir une photo
sur ce document, page 7). L'extérieur en tout cas ne relève pas du tout du courant.
Gabelsbergerstraße 18
Heureusement, la suite relève un peu cette introduction pour le moment assez maigre. Dans un quartier résidentiel, entre la gare et la colline du Kapuzinerberg, je tombe sur un bel îlot d'immeubles dont les éléments art nouveau sont, cette fois, indéniables, notamment ce premier à la façade jaune avec ses décors au-dessus des fenêtres, aux deux premiers niveaux principalement, et ses balcons. Cela reste assez discret mais c'est encourageant !
Gabelsbergerstraße 23
Quasiment en face, un autre bâtiment, cette fois à la façade immaculée (par facile pour prendre en détail les photos avec le soleil qui l'éclaire de plein fouet) sur laquelle on remarquera particulièrement la frise au dernier étage, de nouveau des moulures au-dessus des fenêtres et ensuite quelques éléments verticaux. La porte est également très jolie, avec sa couleur bleue qui tranche sur le reste du bâtiment. Encore une fois, l'ensemble est très discret, comme si l'architecte avait ajouté quelques petites touches art nouveau sur un immeuble somme toute beaucoup plus classique. On le verra rapidement par la suite mais c'est globalement le cas de tous les bâtiments de la ville.
Sterneckstraße 3
À l'angle de la rue, autre bâtiment, autre couleur, mais même principe : une frise, des moulures... Pas facile de bien apprécier les éléments, car ils sont souvent disposés dans les derniers étages. L'abondance des câbles n'aide pas non plus pour les photos !
Stelzhamerstraße 11
On termine l'îlot avec un autre bâtiment dans les tons de jaune : cette fois les motifs sont un peu moins floraux et plus abstraits, les lignes verticales sont plus marquées. Mais tout ceci est encore très timide !
A L'OMBRE DE LA KAPUZINERBERG
Franz-Josef-Straße 30
On se rapproche un peu plus de la Kapuzinerberg pour ce nouvel îlot situé dans le quartier Andräviertel. Ce premier bâtiment est en réalité bleu pâle et non gris, mais l'ombre de la colline rendait les couleurs toutes bizarres dans mon appareil... Outre le balcon, on remarquera surtout la frise juste sous le toit.
Vierthalerstraße 4 - 6 - 8
Dans une rue tout proche, plusieurs bâtiments en enfilade possèdent quelques éléments art nouveau. Au numéro 4, on remarque les fenêtres de différents styles à chaque étage, surmontées de moulures ; la porte possède également un joli travail en fer et est encadrée d'un mélange de motifs floraux et lignes verticales.
Au numéro 6, à côté, les décorations des fenêtres sont beaucoup plus modernes mais il y a une frise juste sous le toit beaucoup plus classique.
Enfin, au numéro 8, on arrive au plus bel exemple (jusqu'à présent) : les éléments décoratifs sont bien plus présents, alternant motifs floraux et géométriques, frises et éléments verticaux et surtout, les moulures encadrant la porte principale attirent tout de suite l’œil. Le bâtiment, enfin, est surmonté d'une espèce de demi-coupole.
Wolf-Dietrich-Straße 6
Le bâtiment suivant, qui fait l'angle, possède quelques frises mais on remarquera surtout les encadrements de portes, et notamment de celle à l'angle avec sa petite avancée et ses motifs de coquilles.
Wolf-Dietrich-Straße 13 - 15
On tourne à angle droit dans la rue et on tombe rapidement sur deux bâtiments côte à côte aux couleurs diamétralement opposées (le premier est, en vrai, plus bleu que gris, encore une fois) mais aux motifs qui se répondent. On doit le numéro 13 à l'architecte Jakob Ceconi. Encore une fois, rien de très spectaculaire, quelques frises et un dernier niveau plus travaillé, mais l'influence d'Otto Wagner est bien présente : que ce soit les têtes de lion rappelant celles de la Maison aux Majoliques ou bien les motifs ronds que l'on retrouve notamment sur l'immeuble du Köstlergasse 3 à Vienne (
la preuve en images).
Haydnstraße 5
On arrive enfin à la pièce de résistance, le plus beau bâtiment art nouveau de la ville sans aucun doute, et celui qui mérite absolument le coup d’œil. C'est le seul à correspondre à une définition beaucoup plus traditionnelle de l'art nouveau, me faisant d'ailleurs beaucoup penser à
ce que j'ai pu croiser à Trieste, notamment dû aux statues encadrant la porte principale. Cet immeuble fut également conçu par Jakob Ceconi, en 1901. Il est particulièrement célèbre car son propriétaire, le peintre et écrivain autrichien Adolph Johannes Fischer, y rencontra James Joyce. Mais il n'y a pas que l'extérieur, particulièrement foisonnant, qui mérite qu'on s'y attarde.
Si vous avez l'occasion de vous faufiler à l'intérieur, ne manquez pas cette opportunité. Le vestibule est également décoré d'éléments art nouveau, dont quatre portraits de femme qui font tout de suite penser au travail d'Alfons Mucha ou encore aux portraits de muse de la Maison aux médaillons de Wagner à Vienne, que l'on doit à Koloman Moser. Au plafond également, on trouve quelques moulures florales très élégantes. La cage d'escalier est également très élégante mais pas particulièrement art nouveau.
LE LONG DE LA SALZACH
Mozartsteg
Rapprochons-nous à présent de la rivière Salzach et de l'un de ses ponts, construit en 1903 (et le plus vieux encore debout à enjamber le cours d'eau) : le
Mozartsteg a des influences art nouveau indéniables. Mais si l'ensemble de la structure est assez simple, avec son armature en fer, on remarque quelques détails qui ne trompent pas, que ce soit les cartouches qui mentionnent le nom aux deux extrémités ou quelques éléments de décors sur les côtés, tout en arabesques (et qui me font un peu penser à une lyre, pas vous ?).
Villa Schall (Rudolfskai 50)
On s'éloigne de la ville vers l'est pour découvrir la
Villa Schall, un bâtiment assez moderne dans son aspect extérieur, qui semble composé de plusieurs blocs de tailles différentes juxtaposés (un plan qui n'est pas d'origine), mais où en se rapprochant les éléments art nouveau sautent aux yeux : il y a bien évidemment les décors en fer forgé où l'on retrouve les bourgeons de fleurs, et puis l'entrée, avec le cartouche mentionnant l'année de construction (1900), la porte et son auvent, sans oublier l'étrange sculpture (une sorte de sphinx croisé avec un chien) qui garde l'escalier. Elle fut construite par Karl Pirich, le seul élève d'Otto Wagner originaire de Salzbourg.
Café Bazar (Schwarzstraße 3)
On remonte la Salzach pour revenir vers le vieux centre et, avant de bifurquer dans le réseau de petites ruelles, on admire de l'autre côté de la rivière le
Café Bazar, dans son bâtiment à la croisée de plusieurs influences. Celles art nouveau ne sont pas très claires du premier coup d’œil mais il y a une ambiance générale qui colle plutôt bien au courant. Peut-être l'intérieur est-il plus concluant, mais je n'ai pas eu le temps d'y rentrer pour vérifier. Tout est vraiment dans les détails à Salzbourg !
DANS LE CENTRE HISTORIQUE
Judengasse 3
Il est temps maintenant de pénétrer dans le vieux Salzbourg pour les deux derniers endroits de la liste. Le premier est le superbe portail de l'ancien magasin de meubles
Pfanzelter, abritant désormais un café et qui fut conçu par son propriétaire, Franz Pfanzelter Jr. L'art nouveau ne se trouve pas tant ici dans le décor que la structure et les matériaux.
Ces sortes de couronnes sur la porte à gauche ne seraient-elles pas sans rappeler... le motif que l'on trouve sur les piliers à l'entrée des stations de métro conçues par Otto Wagner ou encore sur la façade de l'église Am Steinhof ?Biber Apotheke (Getreidegasse 4)
On termine avec la pharmacie
Zum goldenen Biber (Au castor doré) : ici, les éléments art nouveau sont principalement à retrouver aux fenêtres avec ses fleurs médicinales (notamment pavot et digitale) qui semblent gravées directement sur le verre. Il paraît que l'intérieur possède également un décor à ne pas manquer alors ne faites pas l'impasse comme moi !
En conclusion, je dirais que l'art nouveau est bien présent à Salzbourg, malgré mes craintes de départ. Il se fait juste discret au milieu des façades historicistes mais les influences de la Sécession, Otto Wagner en tête, sont bien présentes. L'ensemble est bien moins flamboyant qu'à Vienne, par exemple, mais cette rareté du décor permet d'autant plus l'apprécier et prendre le temps de l'étudier.
Enfin, si vous avez le temps, ne manquez pas de faire un détour au sud de la ville, dans le quartier de Morzg : on y trouve d'autres exemples d'art nouveau, comme le
Erentrudishof, une ferme appartenant à l'abbaye bénédictine Nonnberg, ou encore la maison de campagne de Pfanzelter, avec leurs influences très rurales.
Tous les bâtiments cités :Si vous voulez explorer vous aussi l'art nouveau à Salzbourg, voici les articles où j'ai pioché mes informations (majoritairement en allemand) :- Jugendstil in Salzburg- Jugendstil in der Salzburger Altstadt- Jugendstil und Salzburg?- Die Architektur des Jugendstils in Salzburg- La Belle Epoque