Depuis que le tourisme se développe, le marché flottant Cai Rang est parmi les fleurons du Sud Vietnam. Que vous soyez en mode routard ou en voyage organisé, c’est un site inévitable. Feuilletez le catalogue de n’importe quelle agence de voyages, regardez n’importe quel récit raconté par les blogueurs. Vous remarquerez que le marché flottant Cai Rang y est figuré pour la plupart du temps. On déplore souvent que le marché est devenu touristique. Mais avez-vous déjà cherché à comprendre pourquoi? Et bien, cet article sert à répondre à une question : comment un marché vieux d’un siècle est en déclin à tel point de servir les touristes pour survivre?
Marché flottant Cai Rang est victime de la modernité
La société vietnamienne s’oriente résolument vers le futur. Cela implique la modernisation des infrastructures et le changement de mentalité. Hélas! Le marché flottant Cai Rang est frappée de plein fouet par cette évolution. Au début des années 1990, il fallait 8 heures pour parcourir le chemin entre Ho Chi Minh Ville et Can Tho pour ensuite prendre un bateau et s’approcher de Cai Rang. Depuis la mise en place des autoroutes, ça prend seulement 4 heures. Une société moderne veut dire une population qui veut plus de confort.
Les gens veulent passer du bateau aux mobilettes puis aux voitures, ils veulent des frigos, des Iphones. Les jeunes ne veulent pas reprendre les affaires trop physiques de leurs parents et filent vers les villes pour trouver le meilleur job. C’est tout à fait un besoin légitime. A quoi bon se déplacer en bateau alors? Donc on le laisse tomber, c’est tout! Ceux qui ont du moyen, ils vont tous dans les villes et deviennent citadins. Seuls les pauvres restent coincés dans les arroyos du Mékong. Voilà une triste réalité du marché flottant Cai Rang. Concrètement, il y avait 551 bateaux en 2005. En 2016, on en a 244.
Les autorités locales ont bien conscience du déclin inexorable du marché flottant Cai Rang mais sont incapables de trouver une solution efficace pour le préserver. Le marché reste toujours là mais le mode de fonctionnement a beaucoup changé à cause des autoroutes. Les grossistes de fruits et légumes s’échangent de moins en moins sur l’eau. Il suffit d’accoster des ports puis décharger directement les marchandises sur les gros camions puis elles seront acheminées par l’autoroute. Les transactions commerciales sur l’eau ont ainsi diminué de façon significative.
Pour survivre, les vendeurs recourent aux touristes qui sont des millions à se ruer vers Cai Rang pour photographier les scènes hautes en couleur et négocier les ramboutans ou pastèques à la pièce. Vous avez compris : si les gens restent dans le marché pour vous vendre une cannette de coca ou la noix de coco, c’est parce qu’ils n’ont pas de choix. Ils sont condamnés à cette vie au fil de l’eau. Leur destination de rêve est les villes. On est prêt à quitter le marché, ce qui mettra fin à ce qu’on appelle l’authenticité du site. La perte de l’authenticité si recherchée par les touristes équivaut à l’évolution de vie matérielle pour les locaux. Le maintien de l’équilibre des deux facteurs est difficile.
Un patrimoine culturel en voie de disparition
En ce qui concerne le tourisme, je tiens à préciser que le marché flottant Cai Rang reflète un mode de vie, un patrimoine intangible forgé par les Vietnamiens. Ce n’est pas un monument historique. Ainsi, contrairement à la vieille pierre qu’on peut maintenir, un patrimoine intangible évolue voire disparait en fonction du changement des humains qui l’ont construit. Le marché de Cai Rang fut établi par les Français il y a un siècle sous la colonisation. Le but était pour favoriser le commerce fluvial dans une zone difficile d’accès. Voilà la raison d’être de ce site qui est mise en épreuve face à la dure modernité.
Lors de mon dernier passage en juin 2017, l’ambiance était moins charmante qu’avant. Il y a moins de bateaux, la variété des marchandises est très limitée à part des fruits et légumes. Puis plus problématique encore, c’est le manque d’hygiène : il n’y a même pas une toilette publique dans le coin et les habitants jettent directement des déchets dans la rivière depuis leurs bateaux. Ce n’est pas la faute à eux. Au niveau des problèmes environnementaux, je les ai déjà évoqués dans mes articles percer le secret derrière le tourisme de masse dans la Baie d’Halong ou le kayak à Hoi An pour une bonne cause. La faute est aux autorités locales qui sont incapables de mener une campagne de sensibilisation.
Moi-même je suis très déçu par l’état actuel du marché flottant Cai Rang. Ça fait un bon moment que je recommande mes prestataires sur place de diversifier les activités, en vain. Le circuit proposé est monotone : on loue un barque pour visiter le marché à l’aube, puis on visite une ancienne maison du XIXème siècle, puis on enchaîne un village d’artisanat en écoutant la musique locale. Tout ça en 6 heures. Point final! On mise tout sur le marché pour convaincre les touristes de passer une nuit dans la ville de Can Tho. Mais que faire si le marché disparait ou devient un site banal qui fait fuir les voyageurs? Personne n’a une réponse à ce sujet. Depuis tout le temps, je ne cesse de prôner ce patrimoine culturel. Mais il est peut-être temps que je ferme ma gueule et trouver des alternatives pour les voyageurs. Voilà pourquoi j’ai dû effectuer un repérage dans le Delta du Mékong en juin 2017.
Faut-il encore visiter le marché flottant Cai Rang? La réponse est oui, pour le mouvement animé des barques marchandes et l’échange avec les vendeurs locaux. Pour l’instant, c’est encore un endroit authentique à voir mais je ne suis pas certain que ce niveau d’authenticité se maintiendra dans les années à venir. Mais n’oubliez pas, il n’y a pas que le marché flottant Cai Rang dans le Delta du Mékong. Et la vie des habitants ne se résume pas dans la transaction commerciale ici. Cai Rang n’est qu’une vitrine qui vous ouvre la porte pour entrer dans l’univers des canaux. Sachez que 90% des secrets restent cachés dans les îlots, derrière les cocotiers. Je vous recommande de passer plus de temps dans le Delta et faire un séjour d’immersion chez l’habitant pour mieux comprendre le mode de vie typique de la région.