Le titre ne fait pas rêver, c'est vrai. Pourtant, c'est un peu le jeu quand on planifie un voyage : on ne sait jamais quel temps on va avoir. Et c'est d'autant plus problématique quand on choisit une destination nature, où les activités les plus intéressantes sont en plein air et où c'est même d'ailleurs le principal attrait. C'est ce qui s'est passé avec mon séjour dans le Salzkammergut, cette région magnifique à l'est de Salzbourg réputée pour ses paysages de montagnes, ses lacs aux eaux cristallines, et ses points de vue à couper le souffle. Sauf que voilà : j'ai eu trois jours de pluie/grisaille sur quatre. Adieu les randonnées, adieu les panoramas à 2 000 mètres d'altitude, adieu les baignades. Adieu le séjour ? Certes, ça n'a pas été le road trip le plus merveilleux de toute ma vie, mais j'ai essayé de trouver des occupations tout aussi intéressantes. Et peut-être qu'ainsi cela vous donnera des idées si vous aussi vous héritez d'une météo capricieuse durant votre séjour ?
Cet article s'annonce plutôt long car j'ai décidé de regrouper mon séjour dans un seul billet. Comme ça, vous aurez tout sous les yeux : le circuit, les visites, où j'ai dormi, où j'ai mangé, des conseils... Histoire de changer, il sera écrit aussi de manière beaucoup plus personnelle et racontera mes choix, mes mésaventures. Ce ne sera pas un article 100 % informatif comme j'ai l'habitude de faire, soyez prévenu.
Pour ce deuxième séjour, je suis passée par le loueur Thrifty, qui possède des bureaux dans le centre de Vienne, dans le 11e arrondissement : cette fois, c'était bien plus pratique par rapport à mon appartement. J'ai payé plus cher (87 € pour quatre jours) mais j'ai eu la surprise d'être surclassée et d'obtenir une voiture avec un GPS : vraiment pratique ! Je n'ai eu aucun problème à la restitution et zéro mauvaise surprise sur mon compte. Bref, je recommande : contrairement aux agences à la gare Hauptbahnhof, les plages horaires de restitution sont bien plus étendues.
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Ce préambule infos pratiquse étant terminé, entrons dans le vif du sujet.
Jour 2 : Mines de sel d'Altausse - Hallstatt - Centre Klimt à l'Attersee - Sankt Wolfgang
Jour 3 : Sankt Wolfgang - Bad Ischl - Traunkirchen - Points de vue sur le Traunsee - Altmünster
Jour 4 : Schloss Ort
Mon premier arrêt est le monastère d'Admont. Il fait partie des lieux que j'ai ajoutés à mon planning à la dernière minute : à cause des disponibilités des hôtels, je me retrouve en effet à faire le circuit à l'inverse de ce que j'avais prévu au mois de juillet et il se trouve que je peux inclure cette visite. Bien évidemment, je n'ai pas revérifié les autres infos en amont, me disant simplement que je ferai le programme à l'envers. Cela va s'avérer une mauvaise idée. Conseil : les horaires d'ouverture sont une vraie plaie en Autriche, entre les horaires peu étendus, les jours de fermeture et les changements de saisons. Renseignez-vous bien en amont.Le monastère d'Admont est connu pour sa bibliothèque baroque, l'une des plus grandes d'Autriche et la plus grande monastique au monde. J'en ai déjà vu des superbes (celle de la Hofburg à Vienne ou celle de l'abbaye de Melk) mais celle-ci les surpasse en beauté et en taille. Je suis d'abord frappée par sa luminosité : les fenêtres sont occultées mais pourtant, la blancheur des rayonnages et les teintes pastel des fresques du plafond irradient. On se croirait dans un cocon ouaté, une impression de douceur se dégage de cette salle aux dimensions pourtant conséquentes. D'habitude, les décors baroques se caractérisent par une débauche d'or et une surcharge de motifs, mais là je suis avant tout frappée par l'extrême légèreté de l'ensemble. Pour un peu, j'aurais l'impression de me retrouver sur un nuage, au milieu des dieux et chérubins de certains dessins animés. Je reste de longues minutes à admirer les détails, je m'amuse à essayer de deviner les allégories au plafond (c'est moins difficile que ce à quoi je m'attendais). J'arrive même à ne pas trop m'énerver des groupes qui font du bruit ou des enfants qui courent partout. Une vraie aura zen.
Mais le monastère d'Admont ce n'est pas que son impressionnante bibliothèque : on y trouve aussi plusieurs musées (beaux arts, d'art moderne et d'histoire naturelle (avec de nombreux animaux empaillés et des insectes épinglés)) ainsi que de nombreuses expositions temporaires, dont une qui expose une petite portion des milliers de volumes que compte la bibliothèque. Le prix d'entrée pour l'ensemble est quand même de 11 €, plus 5 € si vous souhaitez prendre des photos. Il n'y a malheureusement pas de billet uniquement pour la bibliothèque : à vous de juger si ce montant en vaut la peine. Moi je n'ai pas eu un seul regret.
Après une bonne heure à admirer le décor baroque de la bibliothèque et à parcourir musées et expositions au pas de course, il est temps de quitter le monastère, direction la deuxième destination de la journée. Cette fois, ce sera randonnée et mon choix s'est porté sur un lieu dont j'ai assez peu entendu parler, en tout cas il n'est même pas référencé dans mon épais Guide Michelin sur l'Autriche : le massif de Tauplitzalm. Un téléphérique y monte, depuis la ville de Tauplitz, mais je ne me ferai pas avoir comme lors de ma sortie dans le Schneeberg : les dernières descentes se font très tôt (vers 16 h) et j'escompte bien qu'il y ait un moyen d'y accéder en voiture, sinon ma randonnée ne va pas faire long feu. Bingo : sur la route surgit le panneau Tauplitzalm Alpenstraße. Docile, je suis les indications... et arrive bien vite à un péage. Je ne l'avais pas du tout anticipé mais ça ne m'étonne guère : les routes de montagne en Autriche sont souvent payantes, en plus de la vignette qui permet d'utiliser les autoroutes. Je m'acquitte des 12 € et à moi le massif.
Plusieurs circuits de randonnées sont présents au sommet et c'est celui de la boucle des six lacs que je choisis : je l'avais déjà repéré sur Bergfex, le site de référence quand on cherche des infos relatives à la montagne. Mais il était alors question d'une durée d'environ 4 h 30, pas les 6 h annoncées sur le panneau à la sortie du parking. Il est alors 13 h 30, je dois partir au plus tard à 18 h 30 pour arriver à l'heure à mon AirBnB. Je ne perds pas plus de temps : on verra bien ce qu'il adviendra, de toute façon je n'ai pas le contrôle des heures.
Je décide de zapper les lacs les plus proches du parking pour prendre la direction du plus lointain, dont les quelques photos que j'avais pu voir sur Internet laissaient présager un paysage magnifique. Si j'ai le temps, je pourrai toujours aller les voir en revenant. Le premier lac, le Großsee, se dévoile rapidement après une courte montée : je sais que j'ai fait le bon choix en venant ici, la vue est juste incroyable avec les montagnes à nu en arrière-plan. J'ai vraiment du mal à me dire que le temps va se gâter, il fait tellement beau. Autour de moi, il y a vraiment tous les publics : des randonneurs super équipés, des familles avec des poussettes... Il faut dire que cette portion s'effectue sur du dur, le chemin dessert plusieurs Hütte (des espèces d'auberges) et chalets privés. Une vraie promenade familiale pour le moment mais je m'en fiche tellement c'est beau. Je ne suis pas là pour la performance mais pour en prendre plein la vue. Alors que je surplombe le Tauplitzsee, j'ai vraiment l'impression d'avoir été parachutée en plein milieu d'une carte postale. Les montagnes, les cloches des vaches qui résonnent en contrebas, ça ne pourrait guère être plus parfait.
Le chemin de bitume finit par s'arrêter et pour poursuivre, place à un chemin en terre. Les poussettes disparaissaient mais pas de difficulté à l'horizon. Je regarde fréquemment l'heure mais je suis dans les temps : cela fait à peine une heure, je suis à mi-chemin du lac le plus éloigné, je n'arrive pas à comprendre comment on peut mettre six heures pour faire la boucle. Une descente un peu casse-gueule plus tard sur des cailloux, le plus beau des six lacs apparaît : le Steirersee. Le décor a changé du tout au tout avec ces arbres à profusion. Je n'ai pas de mot, c'est juste magnifique. Je prends quelques minutes pour profiter autrement que par l'objectif de mon appareil photo.Le Großsee.Le Tauplitzsee.Le Steirersee.
Le dernier lac est de l'autre côté. Un panneau annonce quarante-cinq minutes de trajet : c'est la première fois qu'une durée est indiquée, d'habitude il y a justement vaguement la destination. Je ne me méfie pas : le chemin surplombe le Steirersee et offre une vue imprenable, ça devient un peu plus compliqué que le début du circuit mais rien de dramatique. La voie est large, le sentier sûr. Je déchante au bout de cinq minutes : un passage comme je les déteste. Le chemin passe par un bout de roche qui affleure, il n'y a quasiment aucun appui, rien qu'une surface lisse, désespérément lisse et inclinée, et un précipice de l'autre côté. Ma respiration se bloque, mon cœur s'emballe, je me revois dans les Quiraing, je me revois surtout le long de la Côte bleue, où un passage similaire a bien failli me laisser en échec. Je déteste ces endroits, j'ai un très mauvais équilibre, je dérape pour un rien. C'est trop bête de devoir déjà faire demi-tour. Alors je prends une grande inspiration. Je regarde mes pieds, uniquement mes pieds. J'inspire, j'expire, tant pis pour l'hyperventilation. Un pied, l'autre, doucement, lentement, encore un pas, ouf je suis passée. Je tremble, je m'arrête à nouveau, appuyée contre la roche. Maintenant, je ne peux plus reculer, il n'y a aucune chance que je repasse par là. J'espère juste qu'il n'y aura pas un autre passage comme celui-ci. Sur le sentier de la Côte bleue, je n'avais réussi à franchir l'obstacle que grâce aux encouragements d'autres randonneurs. Là il n'y a personne. J'essaye de ne pas trop y penser.
Il n'y aura pas d'autre passage comme celui-ci. Mais le sentier n'est vraiment pas aisé, comparé au début du circuit : beaucoup de branchages, de gros cailloux qui affleurent, avec parfois des dénivelés compliqués à aborder, plutôt glissants. Rapidement deux hommes me rattrapent. Je suis soulagée de les avoir derrière moi, je me dis que s'il y a un problème ils pourront m'aider. Des fois je me retourne pour voir comment ils abordent un passage qui m'a posé problème. La facilité de leur marche me rend perplexe : je suis si nulle que ça ? Mais je m'en fiche : j'avance, ils semblent avoir calqué leur foulée sur la mienne, et la beauté du paysage me fait oublier petit à petit ma frayeur. Au bout d'un moment, je décide de laisser les deux hommes me doubler. Je commence à ralentir, il fait vraiment chaud et mine de rien, on grimpe doucement mais sûrement. Bientôt, je commence à avoir vraiment, vraiment hâte d'arriver. C'est bon signe : ça veut dire qu'on approche. Ne me demandez pas pourquoi mais c'est souvent au moment où je commence à trouver le temps vraiment long que l'arrivée se profile. Pas d'exception cette fois : quelques minutes plus tard, je rejoins le chemin qui servira pour le retour. Le Schwarzensee est de l'autre côté d'une barrière. Je suis bien contente qu'il y ait un banc pour me remettre de mes émotions : je pourrais toujours mettre ça sur le compte du paysage. Les mots me manquent pour exprimer la beauté de ce qui s'étend devant mes yeux. Je suis heureuse d'avoir pris sur moi et d'être arrivée ici.Le Schwarzensee.Sur les bords du Steirersee. C'est parti pour le chemin du retour. Il est presque 16 h, je serai largement revenue à l'heure, d'autant que j'ai beaucoup perdu de temps à l'aller à cause des pauses photo. Le retour est toujours plus rapide. D'autant que là, il n'y a pas de difficulté. Je prends le chemin qui descend vers le Steirersee, plutôt encaissé, et qui ensuite le longe. Le soleil commence doucement à décliner vers l'horizon, passant derrière les montagnes. Je le bats de quelques minutes, restant dans la lumière tout le long du trajet mais de peu. Puis vient la dernière ascension pour rejoindre le sentier de l'aller. Je suis le cours d'un ruisseau, rien n'est indiqué, mais il n'y a pas bien le choix. Le ruisseau se perd dans la végétation, et moi avec. Merde, c'est par où ? J'avise des traces de semelles, un escalier naturel de pierres, ça vaut bien un chemin comme un autre. Je me rends rapidement compte que je fais fausse route, la sente est quasi invisible, la pente est pire que raide, l'herbe et les cailloux se mélangent, mais comment ça se fait que j'aperçoive encore ici et là des traces de pas ? J'arrive finalement sur le sentier principal à bout de souffle, j'ai l'impression d'avoir escaladé une montagne à main nue et quand je me retourne, c'est un peu l'impression que ça fait : je n'arrive même pas à déceler le chemin que je viens d'emprunter. Le temps de calmer les battements de mon cœur sur le point d'exploser, j'aperçois le groupe qui était derrière moi bifurquer à l'endroit où j'ai hésité. Bon, on va dire que j'ai pris une espèce de raccourci... C'est bon pour le cardio.
C'est le moment de rebrousser chemin, les ombres s'étirent, les températures fraîchissent. Je commence à avoir le dos raide, ce n'est pas bon signe. Le temps de revenir au sentier bitumé, la vallée s'est vidée. Il est 16 h 30, le dernier téléphérique a dû redescendre, le lieu est désert. Les nuages s'amoncellent à l'horizon. Le mauvais temps arrive. La chance ne sera définitivement pas de mon côté. Mais pour le moment, il fait encore jour, il fait encore soleil, et j'ai deux heures devant moi. Je broierai du noir plus tard : deux lacs m'attendent. Le temps que j'arrive au pied du Großsee, le ciel s'est couvert et le vent s'est levé. En quelques minutes on est passé d'un grand ciel bleu à un ciel menaçant. Ça donne une autre dimension au paysage, on est bien loin du panorama de mon arrivée. Le reste du circuit se fera sous la grisaille. Les deux derniers lacs que je vois sont les plus petits. Sous le soleil, je n'aurais pas manqué de les trouver charmants. Là les couleurs sont mangées par la baisse de luminosité, les enveloppant d'un manteau déprimant, quelconque. Je hais ce temps qui ne sert qu'à enlaidir.
Le Märchensee.Il est à peine 18 h quand j'arrive au niveau du parking. J'ai terminé la boucle en 4 h 30. Je suis exténuée, mon dos m'élance, je tiens à peine debout? Mais je suis quand même fière de moi, cela fait longtemps que je n'ai pas randonné sur une durée aussi longue ; et surtout, c'était une putain de randonnée. J'en ai pris plein les yeux. Je ne regrette pas d'avoir fait ce choix au détriment de circuits plus connus ou d'un sommet. Ce soir je m'endormirais des lacs plein les yeux.
Je rejoins Bad Aussee où j'ai réservé une chambre dans une charmante maison d'hôtes via AirBnB. Son hôtesse est très accueillante, je me force de suite à parler allemand, même si nous avons échangé en anglais. La conversation tourne forcément court mais ça m'est égal : je ne veux plus céder à la facilité d'utiliser l'anglais. Ma chambre est très confortable, la déco rustique : je me sens tout de suite chez moi... ou plutôt, comme si je venais d'arriver chez mes grands-parents. Je sors manger un morceau en ville – mon hôtesse me conseille le restaurant Erzherzog Johann sur la place principale : la carte est alléchante mais je suis vraiment trop difficile. Je me rabats sur Kirchenwirt, un restaurant beaucoup plus rustique dirons-nous : point de touristes dans la salle ! Quand je rentre, je prends deux minutes pour réfléchir au programme de demain. Mon programme est déjà prêt mais autant vérifier. Et puis, on n'est pas à l'abri qu'il fasse beau, non ? Par acquit de conscience, je vérifie aussi les horaires du Centre Klimt sur les bords de l'Attersee. Et là, patatras : à cette époque, il est fermé le lundi, jour où je devais y aller. Il n'est même pas envisageable que je manque cette visite, c'est LA raison de ma venue dans la région. Il est 23 h, je suis exténuée, mais je prends un moment pour revoir tout mon programme, recalculer les distances. S'il pleut demain matin, je n'ai aucune idée quoi faire. Il y a bien une mine de sel pas très loin mais 16 € l'entrée, c'est un peu cher payé pour voir des cailloux. Enfin, demain est un autre jour. Avec un peu de chance, il ne fera pas trop moche. Je m'endors comme une masse.
J'ai mis mon réveil à sonner à l'aube. 6 h 30, ça pique. S'il fait beau, je veux voir le soleil se lever au-dessus des lacs alentour. Je me lève d'un bond, grimace de mon dos raide, me précipite à la fenêtre. La couverture nuageuse est très basse, vraiment épaisse. On se croirait au crépuscule. De guerre lasse, je retourne me coucher.
Quand le réveil sonne à nouveau, je retourne le problème dans tous les sens : que visiter ? Que faire ? Je finis par capituler : la mine de sel n'est pas très loin et des visites guidées sont organisées régulièrement. Celle de 10 h me permettra en plus de ne pas prendre de retard sur mon planning de la journée. Après tout c'est aussi la particularité de la région, cela pourra être intéressant. Le petit déjeuner servi dans la chambre d'hôtes est typiquement autrichien : fromage, charcuterie, à 9 h, c'est rude. Je n'ose rien dire car ce n'est pas un hôtel à proprement parler. 9 h 40, je suis prête à partir. Je suis un peu peinée de partir en précipitation ; j'échange encore quelques mots avec mon hôtesse, elle se désole du mauvais temps (et moi donc !), m'assure que les mines valent le coup d’œil. Je la remercie et je saute dans la voiture.9 h 55, j'arrive devant l'entrée des mines d'Altaussee. Ouf, il reste de la place pour la visite de 10 h. Je prends mon ticket, enfile les vêtements de protection, me rends compte que la visite sera sûrement en allemand : heureusement, ils ont des audioguides, et en français en plus. La visite devait durer une heure mais quand je ressors il est 11 h 45. Je suis mitigée : c'est impressionnant de se retrouver dans la montagne – on s'enfonce quand même sur près de 700 mètres –, j'ai appris plein de choses sur l'extraction du sel et l'épisode marquant où des œuvres d'art y furent entreposées durant la Seconde Guerre mondiale, afin de les protéger des nazis (d'ailleurs c'est amusant, il y a des moniteurs dans une salle qui donnent sur quelques-unes de ces œuvres sauvées dans le Kunsthistorischesmuseum de Vienne) mais bon... voilà quoi. On n'assiste pas à d'extraction, le discours est bien calibré, le groupe est trop grand à mon goût, le coup du toboggan est clairement gadget... La seule surprise vient de la chapelle de sainte Barbara (ou sainte Barbe chez nous), patronne des mineurs. Voir cet autel en plein cœur de la montagne, c'est plutôt atypique. Si je ne ressors pas déçue de ma visite, je sais pourquoi je ne l'avais pas choisie en premier choix. Il y en a deux autres dans la région, dont une à côté d'Hallstatt, mais je ne sais pas si toutes proposent des visites sur le même principe. Je redescends vers l'Altausseer See : que je vois quand même mon premier lac de la région ! Même les nuages bas ne parviennent pas tout à fait à gâcher la beauté du lieu. Qu'est-ce que ça doit être sous le soleil ! Nous sommes dimanche et c'est l'heure de la sortie de la messe. J'ai l'impression d'être propulsée 100 ans en arrière : les habitants sont en habits traditionnels, très élégants, mais c'est plutôt surprenant. Un chalet particulièrement fleuri fini immortalisé dans mon appareil photo. Il n'y a malheureusement pas grand-chose de plus à faire.Hallstatt, c'est un peu la vitrine du Salzkammergut : son célèbre clocher au bord du lac a été pris en photo à toutes les saisons et sous tous les angles, photoshopé jusqu'à l’écœurement. Je n'ai pas particulièrement envie d'y aller, cet endroit ne m'attire pas. Mais de toute façon, j'ai un peu de temps devant moi et quitte à être à côté... Le lac est plutôt joli, enfin il pourrait l'être si on n'avait pas l'impression d'être 18 h au lieu de midi. J'arrive dans la ville, l'entrée est bondée de cars de touristes. Je m'éloigne un peu, peut-être que ce sera plus calme à la sortie ? Inutile : il n'y a aucun endroit où s'arrêter et aucune vue sur le village. Demi-tour. Je parviens à me garer sur une place arrêt-minute juste à l'entrée. Je m'approche du lac, clic-clac, le village dans l'appareil photo, plié. Il commence à pleuvoir, c'est bondé de monde et plutôt quelconque. J'ai l'impression que quelqu'un a oublié d'allumer la lumière aujourd'hui. L'horloge tourne. J'ai une heure de route pour arriver au Centre Gustav Klimt, pas question de perdre une seconde de plus dans ce village digne d'un Disneyland autrichien.La pluie finit par s'arrêter. Les hauteurs sont noyées dans les brumes. Mais pour la première fois de la journée, je m'en fiche. Mon but s'approche. L'excitation monte. Enfin le voilà, mon Graal. L'Attersee. Je m'arrête tout de suite, sur un parking d'hôtel à l'entrée de Weißenbach. L'émotion me gagne. L'Attersee quoi ! C'est puéril mais je me dis que peut-être Gustav Klimt s'est tenu là, peut-être qu'il a contemplé ce même paysage et qu'il lui a inspiré l'un de ses tableaux. Une douce mélancolie se dégage de l'eau, avec cette légère brume qui noie les maisons au loin. Quelques secondes suspendues... Puis le temps reprend son cours.
Je suis frappée par la beauté du lac en le longeant pour rejoindre Kammer-Schörfling, à l'autre bout. Je sais que mes sentiments sont biaisés, avant même d'y mettre les pieds j'aimais cet endroit, mais quand même : je comprends l'attrait que ce lieu a pu exercer sur Klimt. Un sourire débile flotte sur mes lèvres, j'ai l'impression d'être un enfant le matin de Noël, sur le point de déballer ses cadeaux tant attendus.Le Centre Klimt se situe sur la commune de Kammer-Schörfling. Klimt a passé plusieurs étés dans l'hôtel qui s'élevait alors au niveau de la promenade. Le petit château que l'on aperçoit a fait l'objet de pas moins de trois tableaux. Tout est très bien documenté dans le centre : on y découvre la correspondance abondante de Klimt, qui a dû faire le bonheur des vendeurs de cartes postales à l'époque (mais dieu qu'il écrivait comme un cochon). Ses tableaux sont géolocalisés, certains sont décortiqués, ses habitudes et ses techniques expliquées. Ses séjours sont abondamment documentés : où il résida, les gens qu'il fréquenta, les activités auxquelles il participa. De nombreuses photos témoignent de cette période. Des reproductions sont également accrochées. Point d'originaux, forcément, qui se trouvent soit dans des musées soit chez des riches collectionneurs. Ses peintures de l'Attersee s'arrachent désormais à plusieurs dizaines de millions d'euros. Cette spéculation de l'art me rend folle. Mais ce n'est pas le sujet.En complément du Centre, un parcours est proposé tout le long du lac. Il fait un bon substitut pour ceux qui ne souhaiteraient pas payer les 6 € d'entrée : à chaque lieu sont liées des anecdotes ou l'on découvre le paysage qui servit d'inspiration à l'artiste. Si on a visité le centre, les textes sont redondants, on n'y apprend pas grand-chose de plus : reste le bonheur de se mettre à la place de Klimt et se laisser inspirer par le même décor, à plusieurs décennies d'écart : si différent et si semblable !
C'est comme ça que je me suis arrêtée à Litzlberg : c'est ici que Klimt trouva l'inspiration pour son tableau Am Attersee qui m'avait tant émue il y a deux ans. La boucle était bouclée, en quelque sorte. En perdant mon regard sur le clapotis des vagues, j'ai brièvement aperçu ce qui avait attiré son œil. Malgré le ciel gris, le lac resplendissait de cette couleur turquoise si particulière et des reflets plus sombres jouaient sur la surface. Je n'ai pas eu besoin d'un grand effort d'imagination pour superposer les deux visions. Je donnerais cher pour pouvoir admirer le lac comme au début du siècle, sans les nombreux bateaux amarrés.J'ai finalement réalisé le tour du lac. Les deux rives sont très différentes mais je ne saurais dire laquelle m'a le plus touchée. Je me suis arrêtée de nombreuses fois pour essayer de capturer sur ma pellicule numérique l'enchantement provoqué par ces paysages. Un jeu de lumière, une nuance de vert particulièrement vive, un reflet sur le lac, la roche qui tranche avec la végétation. Rien ne rend comme dans mes souvenirs. J'en suis soulagée. Je préfère que ce moment n'appartienne qu'à moi et si je suis heureuse de vous partager la beauté de ce lac, je n'aurais pas aimé que la magie de ces quelques instants suspendus se retrouvent à la vue de tous. Il y a des moments que l'on veut garder rien que pour soi et celui-ci en fait partie. Si ce n'est pas déjà fait, je vous souhaite de trouver votre Attersee.
Quitter le lac a été un déchirement. Je me rends bien compte que ces arrêts successifs, c'était avant tout un moyen de prolonger l'enchantement, de repousser les adieux. Mais vient un moment où la route bifurque et où on n'a plus le choix. Il est temps de poursuivre le voyage.Sur mon chemin vers Sankt Wolfgang, je fais un arrêt le long du Mondsee. Je reste hypnotisée par les reflets de la végétation dans le lac : où commence l'eau ? Puis je finis par rejoindre ma destination et prendre possession de mon logement pour la nuit. J'ai de nouveau réservé dans une maison d'hôtes, la Gästehaus Menkens, mais cette fois, le décor est bien différent. L'air sent le tabac froid, la chambre est glaciale et beaucoup moins chaleureuse que la précédente. Il y a un petit balcon qui donne sur le lac mais vu les températures, je ne risque guère d'en profiter. Heureusement, ce n'est que pour une nuit... La journée est loin d'être finie, il fait même encore jour mais je suis fourbue et gelée : je décide de passer les prochaines heures au chaud au café Wallner : j'en profite pour travailler un peu, j'avale un goûter tardif... La nuit est tombée depuis un moment, il est l'heure de rentrer à l'hôtel. J'ai un peu faim mais je capitule à l'idée de me mettre en quête d'un restaurant : ce soir, c'est clairement l'épreuve de trop.
Reflets sur le Mondsee.
Lundi matin. Un rapide coup d’œil au temps par la fenêtre, pas de surprise : il fait toujours gris, mais c'est moins plombé que la veille. C'est toujours ça de pris. La vue sur le lac est même plutôt jolie, des nuages s'effilochent à mi-hauteur des montagnes, on se croirait dans un tableau. Et de ce côté... Pincez-moi je rêve : du ciel bleu ? Un bout de putain de ciel bleu ? J'essaye de ne pas trop m'exciter mais c'est peine perdue. Je fonce sur Internet, pour aller vérifier les webcams du Schafberg, ce sommet qui surplombe la ville. Bon, c'est un peu nuageux mais c'est dégagé du côté du Mondsee, j'ai bon espoir que les nuages finissent par disparaître. Les premières montées ne sont pas tout de suite, je dois d'abord aller prendre mon petit déjeuner, mais je peux prendre l'une des navettes vers 10 h. Vu le prix, je vais surveiller étroitement la météo mais ça me semble jouable. Pas question de dépenser 35 € pour finir dans le brouillard ou ne pas y voir à trois mètres.
Je boucle ma valise, prends congé de mon hôtesse et me dirige vers le centre de Sankt Wolfgang. J'ai repéré hier un café qui avait l'air plutôt sympathique, le Kaffeewerkstatt. J'étais loin du compte : si l'extérieur ressemble à un chalet tout ce qu'il y a de plus normal, l'intérieur m'interpelle : on se croirait dans une espèce de brocante, c'est coloré, un joyeux fourre-tout. Je m'y sens tout de suite bien. La salle est immense, je me sens un peu mise à l'écart dans mon coin loin des autres clients mais je m'en fiche, au moins je suis au calme. Toutes les cinq minutes je consulte la webcam en direct. Pour l'instant, ça se maintient, ce n'est pas non plus le grand beau temps mais le panorama reste dégagé. Je m'interromps quand la nourriture arrive : la carte était vraiment alléchante, dur de choisir. J'ai finalement opté pour un yaourt avec du muesli et des fruits, ainsi que des tranches de pain et du beurre de cacahuètes (mon péché mignon) et un grand chocolat chaud. Tout est délicieux. Je paie, prends encore quelques photos et me dirige vers le funiculaire. Je vérifie une dernière fois la webcam. Je ne vois rien plus rien. Le sommet est noyé dans les nuages. Je ferme la page machinalement.
Quelque chose se brise en moi. Je n'ai même plus envie de faire semblant de profiter du séjour, je n'ai plus envie de me forcer à apprécier des paysages déprimants, je n'ai plus envie de faire genre ce n'est pas grave, je n'ai plus envie de m'obliger à ne pas agir en enfant gâtée. Ce séjour est un désastre, j'ai mis plusieurs mois d'économie dans un voyage dont je ne peux même pas profiter. Cela fait un an que j'attends ces quelques jours, c'était un voyage vraiment important pour moi, et ce n'est qu'un véritable gâchis. Les quelques heures magiques passées sur les bords de l'Attersee la veille ne parviennent pas à sauver le naufrage du reste du voyage. Je me dirige quand même vers le bord du lac, de toute façon ce n'est pas comme si j'étais attendue quelque part. Je reste de longues minutes à scruter les nuages, est-ce que je crois qu'à la seule force de ma volonté ils vont se dissiper ? Un bout de ciel bleu entretient l'illusion pendant un moment. Par réflexe plus que par intérêt, je regarde de temps en temps la webcam. Bouché. L'entrée du funiculaire est juste derrière moi, une queue se forme pour le prochain départ. Je ne comprends pas pourquoi ces gens s'entêtent à y aller, j'ai envie de leur crier que ça ne sert à rien, leur mettre mon écran sous les yeux : "regardez, c'est noyé dans les nuages, à quoi bon ?" À quoi bon ? Je me traîne vers le centre, passe par l'église (l'intérieur est vraiment joli, il faut le remarquer) puis récupère ma voiture. J'ai l'impression que quelqu'un d'autre a pris possession de mon corps. Prochaine étape : Bad Ischl.
À l'origine je n'avais pas du tout prévu de visiter Bad Ischl. J'ai décidé hier de m'y arrêter car je me suis dit qu'une ville serait moins déprimante par mauvais temps. Et comme il s'y trouve l'une des résidences des Habsbourg, cela me fera au moins une visite culturelle risquant de m'intéresser. Les parkings en périphérie sont hors de prix, 2 € l'heure. Je me gare dans le centre, sur des places de courte durée. 1,60 € pour une heure et demie. Je galère avec l'horodateur, une dame vient à mon secours. Le tout en allemand. Ce voyage ne sera pas perdu pour tout.
La ville est vraiment toute petite : quelques rues bordées d'élégantes maisons, une promenade le long de la Traun, la rivière qui la traverse. Les boutiques de Dirndl s'intercalent entre les grandes enseignes. Je prends quelques photos, le centre est vraiment mignon, mais le cœur n'y est pas. Je remarque un panneau publicitaire pour la Leharvilla, où vécut le compositeur Franz Lehár et qui a la particularité de proposer un intérieur d'époque. Manque de chance, ou acharnement du sort, c'est fermé le lundi. Avant de visiter la Kaiservilla, je m'arrête au Café Sissy (décidément, pour quelqu'un indifférente aux Habsbourg et à l'impératrice, j'ai l'impression de les suivre à la trace) pour une soupe de potiron et un thé. Je n'ai pas très faim mais il est déjà 14 h... Au moins ça me réchauffera. Le décor du café est vraiment beau, même si la salle principale, la plus élégante, est fumeur. La soupe n'est pas mauvaise, j'attends 15 minutes que le serveur veule bien m'encaisser, à cela s'ajoute un mail alarmant du boulot, un problème à résoudre en urgence. J'ai l'impression que cette journée ne peut pas empirer. Je me trompe.L'intérieur du Café Sissy.Heureusement, quand la visite de la Kaiservilla commence, tout est réglé et je peux en profiter. Parce que le lieu est vraiment beau. Les photos y sont interdites, comme souvent en Autriche, et il n'est accessible qu'en visite guidée, effectuée en allemand. On vous donne un livret dans votre langue si nécessaire. Au début, je me concentre pour essayer de comprendre, je ne m'en sors pas trop mal, mieux qu'il y a quelques mois en tout cas. Mais c'est vite fatiguant et je me contente des explications du livret et de profiter du décor. La visite est rapide, une dizaine de salles, à peine une heure. Cette villa, où l'empereur François-Joseph passait ses étés, est tristement célèbre pour avoir été le lieu où fut signée la déclaration de guerre à la Serbie en juillet 1914, ayant débouché sur les événements terribles que l'on connaît. Mais c'est aussi une villa décorée avec goût, où sont accrochés de nombreux trophées de chasse de l'empereur, dont c'était l'une des rares distractions. On a vraiment l'impression de rentrer dans l'intimité de la famille, un peu comme dans la villa Hermès. Mais si l'endroit est joli, il n'a rien d'exceptionnel non plus. Si l'on a déjà visité d'autres lieux où ont vécu les Habsbourg, et notamment François-Joseph et Sissi, on sera déjà au courant des anecdotes dispensées durant la visite. Le ticket d'entrée est quand même de 14,50 € pour la villa et le parc. Je fais l'impasse sur le parc. J'ai fait le tour de Bad Ischl, il est temps de mettre les voiles pour ailleurs.
Il n'est même pas 15 h et mon programme de la journée est terminé. Comme je n'ai pas envie de rejoindre de suite ma chambre d'hôtel, je décide de faire un arrêt sur le trajet. À ce stade, n'importe quoi fera l'affaire pour m'occuper. Le Traunsee est le lac le plus profond de la région à défaut d'être le plus joli. Dans mon guide, il est dit que Traunkirchen est une bourgade plutôt sympathique. Ça vaut bien une autre destination. Le vent est encore plus froid au bord du lac. Je m'engage sur le sentier qui fait le tour de la petite avancée, avant de rejoindre la chapelle au sommet. Il est question d'une vue quelque part, mais le paysage est bouché par les arbres. Tant pis, je redescends vers l'église. L'intérieur vaut le coup d’œil pour sa chaire vraiment étrange, qui ressemble à un bateau de pêcheur. C'est la première fois que je vois une sculpture pareille, c'est à la fois très déroutant et terriblement naïf, on dirait l'idée d'un enfant. Le reste du village est complètement désert. À part quelques touristes débarqués du bateau qui fait la navette sur le lac, il n'y a personne. On se croirait un dimanche. J'en avais mis pour quarante-cinq minutes dans l'horodateur. Je repars même pas au bout d'une demi-heure. L'intérieur de l'église de Traunkirchen.
Mais cette fois, j'ai un but. Je suis frustrée de cette vue qu'on m'a promise et que je n'ai pas trouvée. Alors en remontant le lac, je scrute les panneaux. Maintenant j'ai compris que le suffixe "-alm", ça veut dire sommet, ou plateau, ou quelque chose du genre, mais en tout cas ça indique un lieu en altitude. Et là, je le vois, juste à la sortie de Traunkirchen : "Hochsteinalm". Je ne sais pas où je vais, mais j'y vais.
Bien vite, j'arrive à un immense pré avec une pancarte "Hochsteinalm". Au bout, comme un hôtel. J'ai l'impression que je suis arrivée mais je ne vois rien... ? Ah si, je tourne la tête, et là le lac apparaît. Je lâche un rire nerveux. Comment ai-je pu le manquer ? Je me gare, prends quelques photos, essayant d'esquiver les limaces au passage. Le champ en est rempli. Bon, ce n'est pas si mal finalement ? Mais je ne suis pas encore satisfaite. Je veux voir où mène la route. Au bout, c'est un cul-de-sac. Quelques places de parking et un début de chemin. Pour arriver au sommet, il faut y aller à pied. Je me contente de profiter de la vue, encore plus impressionnante à cette hauteur-là. La journée n'est pas complètement gâchée.J'ai encore du temps à tuer, alors je décide de rejoindre un autre point de vue un peu plus loin, celui-ci indiqué dans mon livre : Gmundnerberg. La route est tortueuse pour y arriver mais large et bien entretenue : rien à voir avec toutes les routes de montagne que j'ai pu emprunter en France, quand j'habitais en Savoie. Arrivée au sommet, près d'un hôpital, je me rends à l'évidence : cette vue-là est bien moins impressionnante que la précédente. On aperçoit bien Traunkirchen mais l'autre proposait un panorama plus large.
J'ai suffisamment traîné, là je n'ai vraiment plus rien à faire, d'autant que je suis plus qu'à quelques kilomètres de l'hôtel. Je me résous à y aller. J'avais eu un coup de cœur en juillet et j'ai tout fait pour y retourner cette fois, d'où l'inversion de planning d'ailleurs et les casse-tête qui en ont résulté. Mais cela valait le coup : il faut dire que l'Altmünsterhof est très mignon, avec son ambiance chalet. Ma chambre est immense, avec un coin salon et un grand balcon donnant sur le lac de Traunsee. Bémol : c'est plutôt bruyant avec la route qui passe juste en dessous. Il ne fait pas assez beau et chaud pour rester sur le balcon mais derrière la vitre, je profite tout autant de la vue. J'allume mon ordinateur, regarde le menu du café que la réception m'a conseillé, essaye de trouver le courage de ressortir. Il est à peine 17 h, Gmunden est à deux pas, ça serait bête de rester enfermée malgré tout. En plus j'ai l'estomac un peu noué, je dois avoir faim.
Je traîne, profite de la chaleur et d'être assise ailleurs que derrière un volant. Je trouve enfin le courage de ressortir quand les premiers vertiges m'assaillent. Allons bon, qu'est-ce qu'il m'arrive encore ? Je me lève mais me rassois bien vite, pliée en deux. Mon estomac me lance, d'un seul coup mes forces m'abandonnent, une grande fatigue m'envahit. J'espère que ça va vite passer. Je me traîne sur le lit, m'effondre comme une loque et sombre dans un sommeil lourd.Malheureusement, cela ne passera pas. Je passe la fin de la journée au fond de mon lit, à me tordre de douleur, à maudire de voyager seule et de n'avoir personne sous la main pour aller me chercher à manger quand la douleur reflue. Il n'y a plus rien d'autre à faire que de dormir.
Mardi matin. Ça ne va pas guère mieux. Je comprends rapidement que la journée va être compliquée : même après le petit déjeuner, que je grignote du bout des lèvres, vertiges et nausées continuent de se disputer pour prendre le dessus. Je me fais violence : il me reste encore quelques heures, autant les mettre à profit. Dehors, la pluie a fini par s'inviter pour de bon. Je feuillette mon guide et décide de m'arrêter sur le chemin du retour à l'abbaye de Saint-Florian, au sud de Linz. Elle est réputée pour avoir également un beau décor baroque à l'intérieur. Un tour à Gmunden, pour aller voir le château Ort, visite du monastère et retour à Vienne. Cela me semble faisable, même dans mon état. Je me rappelle ma première fois à Vienne, avec ma grippe carabinée. J'ai connu pire. Je prends la direction du château Ort. La pluie redouble.J'arrive devant le château au bout de sa passerelle, au milieu du lac. Je suis étonnée d'apprendre qu'on peut le visiter, je n'en ai trouvé mention nulle part sur Internet ou dans mon guide. L'entrée n'est pas chère, 3 ou 5 €. J'y vais, j'y vais pas ? Soudain, cette passerelle me semble infranchissable. Je grelotte, je suis trempée, je m'accroche à mon parapluie comme à une bouée de sauvetage. Enfin quoi, qu'est-ce que j'essaye de prouver là ? D'autant que j'ai encore plus de deux heures de route pour retourner à Vienne.
Je capitule. Pas de château, pas de monastère. Je décide de préserver mes dernières forces pour rentrer. À l'instant où je prends cette décision, je me sens un peu plus légère. Juste un peu. Mais suffisamment pour comprendre que j'ai fait le bon choix. Tant pis pour le château, tant pis pour le monastère. Je n'ai plus la force de supporter mes espoirs déçus, même mon corps a décidé d'abandonner la partie. Je rentre.
Je traverse Gmunden, défigurée par la pluie et des travaux. Sur la route, les éléments se déchaînent, la pluie tombe dru. Je passe Sankt Florian, j'ai un petit pincement au cœur mais j'ai la certitude que j'aurai d'autres occasions. La pluie se calme quand j'arrive vers la Wachau. Un imposant bâtiment se dresse au loin. Il me faut quelques secondes pour comprendre que c'est l'abbaye de Melk. Elle est déjà impressionnante quand on se trouve à ses pieds mais d'aussi loin, on prend vraiment la mesure de sa taille. Finalement, le panneau Vienne apparaît. La pluie s'est arrêtée. Le temps que je rentre chez moi, le ciel s'est dégagé, le soleil a refait son apparition. L'ironie me laisse de marbre.
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Ce voyage dans le Salzkammergut m'a laissé un goût doux-amer, une impression d'inachevé, de rendez-vous manqué. J'ai adoré ma première journée, techniquement pas vraiment dans le Salzkammergut, et mon après-midi au bord de l'Attersee. Mais pour tout le reste, j'ai eu le sentiment de remplir mon temps et d'essayer de rentabiliser mon séjour pour ne pas gâcher l'argent investi. C'est à mon sens la pire manière de voyager et certainement l'un des séjours les plus éprouvants et frustrants que j'ai pu réaliser. Je compte bien chasser ces mauvais souvenirs avec une nouvelle visite, cette fois avec une météo plus clémente, pour profiter de l'atout premier de la région : sa nature.
Préambule
Cet article s'annonce plutôt long car j'ai décidé de regrouper mon séjour dans un seul billet. Comme ça, vous aurez tout sous les yeux : le circuit, les visites, où j'ai dormi, où j'ai mangé, des conseils... Histoire de changer, il sera écrit aussi de manière beaucoup plus personnelle et racontera mes choix, mes mésaventures. Ce ne sera pas un article 100 % informatif comme j'ai l'habitude de faire, soyez prévenu.
Pourquoi le Salzkammergut ?
Le Salzkammergut vous dit peut-être quelque chose avec des noms comme Hallstatt ou le Dachstein, des destinations hautement touristiques en Autriche. Mon envie de découvrir la région tenait en deux autres mots : Attersee et Klimt. L'artiste y a passé tous ses étés durant plus de quinze années et y a peint une série de tableaux plutôt méconnus : en les découvrant au Leopold Museum lors de mon premier voyage à Vienne, j'étais restée complètement scotchée par son tableau Am Attersee et je m'étais juré de partir en pèlerinage pour découvrir ces paysages. J'avais prévu à l'origine de m'y rendre en juillet. Mon programme me faisait d'ailleurs passer par l'Attersee le 14 juillet, jour de naissance de Gustav Klimt (une coïncidence qui me plaisait bien, je vous rassure pas du tout faite exprès, je ne suis pas fan à ce point-là). Et puis la météo s'annonçant mauvaise, j'ai tout annulé à la dernière minute, me promettant de reporter ça en septembre, en espérant un temps plus clément. Loupé. Quelques jours avant le départ, le verdict est tombé : il allait faire froid, il allait pleuvoir, et au mieux il allait faire gris et moche. Annuler ? Ne pas annuler ? Cela voulait dire encore des frais pour rien car ma location de voiture et mes réservations d'hôtel n'étaient plus remboursables. Je n'aurais même pas pu profiter d'être véhiculée pour vadrouiller dans les environs de Vienne comme en juillet, vu que la météo ici aussi s'annonçait pourrie. J'ai serré les dents, j'ai fait le deuil de mes sorties, j'ai essayé de me persuader que ce n'était pas grave et qu'avec un peu de chance ça ne serait pas si pire et je suis partie le samedi matin sous un soleil radieux ô combien trompeur.Location de voiture
En juillet, j'avais loué une voiture à l'aéroport de Vienne, chez MegaDrive. Ce n'était pas très pratique pour moi, qui habite dans le centre de Vienne, mais c'était l'option la moins onéreuse (70 € pour quatre jours). Un conseil : fuyez ce prestataire. On m'a facturé un soi-disant problème (une marque sur l'enjoliveur) tellement gros que je ne l'ai pas vu en faisant le tour de la voiture à restitution, sans jamais m'en informer ni m'apporter de preuve. J'ai téléphoné quelques jours plus tard, étonnée de ce débit sur mon compte qui sortait de nulle part : c'est là où j'ai appris le pot aux roses. On m'a promis de m'envoyer des photos... que je n'ai jamais reçues. Étant une vraie phobique du téléphone, et n'ayant aucune envie de perdre mon temps pour un souci qui ne se résoudrait pas, je n'ai pas poursuivi pour essayer d'obtenir gain de cause. Mais ce qui est sûr c'est qu'ils ne me reverront pas de si tôt.Pour ce deuxième séjour, je suis passée par le loueur Thrifty, qui possède des bureaux dans le centre de Vienne, dans le 11e arrondissement : cette fois, c'était bien plus pratique par rapport à mon appartement. J'ai payé plus cher (87 € pour quatre jours) mais j'ai eu la surprise d'être surclassée et d'obtenir une voiture avec un GPS : vraiment pratique ! Je n'ai eu aucun problème à la restitution et zéro mauvaise surprise sur mon compte. Bref, je recommande : contrairement aux agences à la gare Hauptbahnhof, les plages horaires de restitution sont bien plus étendues.
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Ce préambule infos pratiquse étant terminé, entrons dans le vif du sujet.
Sommaire
Jour 1 : Abbaye d'Admont - Randonnée sur le TauplitzalmJour 2 : Mines de sel d'Altausse - Hallstatt - Centre Klimt à l'Attersee - Sankt Wolfgang
Jour 3 : Sankt Wolfgang - Bad Ischl - Traunkirchen - Points de vue sur le Traunsee - Altmünster
Jour 4 : Schloss Ort
1er jour : abbaye d'Admont et randonnée sur le Tauplitzalm
Ce premier jour est la seule journée où je suis certaine d'avoir du beau temps, et je compte bien en profiter. Avant de partir, j'ai retourné mon programme dans tous les sens, essayé de caler le plus de sorties en plein air possible, mais vu ce que je voulais faire, c'était complètement idiot : cela me faisait passer à côté d'un lieu que je voulais voir, pour refaire deux heures de route le lendemain. Soit je perdais du temps pour rien mais je pouvais avoir la chance d'ajouter un sommet à mon programme, soit je faisais ce que la logique commandait. J'ai fini par capituler : adieu le Dachstein, ce sera pour une autre fois. Je récupère ma voiture à l'ouverture de l'agence de location et c'est parti pour la Styrie. J'emprunte une portion de la route qui mène à Graz, déjà découverte lors de mon aller-retour là-bas l'année dernière. Quand on approche des zones plus montagneuses, les paysages sont incroyables. J'ai bien sûr moins le loisir d'en profiter au volant de la voiture que tranquillement installée dans le bus, mais ces forêts et ces vallées sont remplies de promesse. Moi qui n'aime habituellement pas la montagne, je suis toujours la première étonnée à apprécier ces paysages vallonnés. En quittant l'autoroute, le spectacle est encore plus impressionnant. D'habitude, les routes de montagne m'angoissent mais pas ici : elles sont larges, bien balisées, et les décors que je traverse sont incroyables. Je me retiens de m'arrêter n'importe où pour immortaliser les vues qui s'étalent sous mes yeux mais c'est un véritable crève-cœur. Mon temps est minuté aujourd'hui et je n'en ai pas beaucoup à perdre. Je m'accorde une seule pause, une seule photo. Le reste est bien au chaud dans mes souvenirs.Mon premier arrêt est le monastère d'Admont. Il fait partie des lieux que j'ai ajoutés à mon planning à la dernière minute : à cause des disponibilités des hôtels, je me retrouve en effet à faire le circuit à l'inverse de ce que j'avais prévu au mois de juillet et il se trouve que je peux inclure cette visite. Bien évidemment, je n'ai pas revérifié les autres infos en amont, me disant simplement que je ferai le programme à l'envers. Cela va s'avérer une mauvaise idée. Conseil : les horaires d'ouverture sont une vraie plaie en Autriche, entre les horaires peu étendus, les jours de fermeture et les changements de saisons. Renseignez-vous bien en amont.Le monastère d'Admont est connu pour sa bibliothèque baroque, l'une des plus grandes d'Autriche et la plus grande monastique au monde. J'en ai déjà vu des superbes (celle de la Hofburg à Vienne ou celle de l'abbaye de Melk) mais celle-ci les surpasse en beauté et en taille. Je suis d'abord frappée par sa luminosité : les fenêtres sont occultées mais pourtant, la blancheur des rayonnages et les teintes pastel des fresques du plafond irradient. On se croirait dans un cocon ouaté, une impression de douceur se dégage de cette salle aux dimensions pourtant conséquentes. D'habitude, les décors baroques se caractérisent par une débauche d'or et une surcharge de motifs, mais là je suis avant tout frappée par l'extrême légèreté de l'ensemble. Pour un peu, j'aurais l'impression de me retrouver sur un nuage, au milieu des dieux et chérubins de certains dessins animés. Je reste de longues minutes à admirer les détails, je m'amuse à essayer de deviner les allégories au plafond (c'est moins difficile que ce à quoi je m'attendais). J'arrive même à ne pas trop m'énerver des groupes qui font du bruit ou des enfants qui courent partout. Une vraie aura zen.
Mais le monastère d'Admont ce n'est pas que son impressionnante bibliothèque : on y trouve aussi plusieurs musées (beaux arts, d'art moderne et d'histoire naturelle (avec de nombreux animaux empaillés et des insectes épinglés)) ainsi que de nombreuses expositions temporaires, dont une qui expose une petite portion des milliers de volumes que compte la bibliothèque. Le prix d'entrée pour l'ensemble est quand même de 11 €, plus 5 € si vous souhaitez prendre des photos. Il n'y a malheureusement pas de billet uniquement pour la bibliothèque : à vous de juger si ce montant en vaut la peine. Moi je n'ai pas eu un seul regret.
Après une bonne heure à admirer le décor baroque de la bibliothèque et à parcourir musées et expositions au pas de course, il est temps de quitter le monastère, direction la deuxième destination de la journée. Cette fois, ce sera randonnée et mon choix s'est porté sur un lieu dont j'ai assez peu entendu parler, en tout cas il n'est même pas référencé dans mon épais Guide Michelin sur l'Autriche : le massif de Tauplitzalm. Un téléphérique y monte, depuis la ville de Tauplitz, mais je ne me ferai pas avoir comme lors de ma sortie dans le Schneeberg : les dernières descentes se font très tôt (vers 16 h) et j'escompte bien qu'il y ait un moyen d'y accéder en voiture, sinon ma randonnée ne va pas faire long feu. Bingo : sur la route surgit le panneau Tauplitzalm Alpenstraße. Docile, je suis les indications... et arrive bien vite à un péage. Je ne l'avais pas du tout anticipé mais ça ne m'étonne guère : les routes de montagne en Autriche sont souvent payantes, en plus de la vignette qui permet d'utiliser les autoroutes. Je m'acquitte des 12 € et à moi le massif.
Plusieurs circuits de randonnées sont présents au sommet et c'est celui de la boucle des six lacs que je choisis : je l'avais déjà repéré sur Bergfex, le site de référence quand on cherche des infos relatives à la montagne. Mais il était alors question d'une durée d'environ 4 h 30, pas les 6 h annoncées sur le panneau à la sortie du parking. Il est alors 13 h 30, je dois partir au plus tard à 18 h 30 pour arriver à l'heure à mon AirBnB. Je ne perds pas plus de temps : on verra bien ce qu'il adviendra, de toute façon je n'ai pas le contrôle des heures.
Je décide de zapper les lacs les plus proches du parking pour prendre la direction du plus lointain, dont les quelques photos que j'avais pu voir sur Internet laissaient présager un paysage magnifique. Si j'ai le temps, je pourrai toujours aller les voir en revenant. Le premier lac, le Großsee, se dévoile rapidement après une courte montée : je sais que j'ai fait le bon choix en venant ici, la vue est juste incroyable avec les montagnes à nu en arrière-plan. J'ai vraiment du mal à me dire que le temps va se gâter, il fait tellement beau. Autour de moi, il y a vraiment tous les publics : des randonneurs super équipés, des familles avec des poussettes... Il faut dire que cette portion s'effectue sur du dur, le chemin dessert plusieurs Hütte (des espèces d'auberges) et chalets privés. Une vraie promenade familiale pour le moment mais je m'en fiche tellement c'est beau. Je ne suis pas là pour la performance mais pour en prendre plein la vue. Alors que je surplombe le Tauplitzsee, j'ai vraiment l'impression d'avoir été parachutée en plein milieu d'une carte postale. Les montagnes, les cloches des vaches qui résonnent en contrebas, ça ne pourrait guère être plus parfait.
Le chemin de bitume finit par s'arrêter et pour poursuivre, place à un chemin en terre. Les poussettes disparaissaient mais pas de difficulté à l'horizon. Je regarde fréquemment l'heure mais je suis dans les temps : cela fait à peine une heure, je suis à mi-chemin du lac le plus éloigné, je n'arrive pas à comprendre comment on peut mettre six heures pour faire la boucle. Une descente un peu casse-gueule plus tard sur des cailloux, le plus beau des six lacs apparaît : le Steirersee. Le décor a changé du tout au tout avec ces arbres à profusion. Je n'ai pas de mot, c'est juste magnifique. Je prends quelques minutes pour profiter autrement que par l'objectif de mon appareil photo.Le Großsee.Le Tauplitzsee.Le Steirersee.
Le dernier lac est de l'autre côté. Un panneau annonce quarante-cinq minutes de trajet : c'est la première fois qu'une durée est indiquée, d'habitude il y a justement vaguement la destination. Je ne me méfie pas : le chemin surplombe le Steirersee et offre une vue imprenable, ça devient un peu plus compliqué que le début du circuit mais rien de dramatique. La voie est large, le sentier sûr. Je déchante au bout de cinq minutes : un passage comme je les déteste. Le chemin passe par un bout de roche qui affleure, il n'y a quasiment aucun appui, rien qu'une surface lisse, désespérément lisse et inclinée, et un précipice de l'autre côté. Ma respiration se bloque, mon cœur s'emballe, je me revois dans les Quiraing, je me revois surtout le long de la Côte bleue, où un passage similaire a bien failli me laisser en échec. Je déteste ces endroits, j'ai un très mauvais équilibre, je dérape pour un rien. C'est trop bête de devoir déjà faire demi-tour. Alors je prends une grande inspiration. Je regarde mes pieds, uniquement mes pieds. J'inspire, j'expire, tant pis pour l'hyperventilation. Un pied, l'autre, doucement, lentement, encore un pas, ouf je suis passée. Je tremble, je m'arrête à nouveau, appuyée contre la roche. Maintenant, je ne peux plus reculer, il n'y a aucune chance que je repasse par là. J'espère juste qu'il n'y aura pas un autre passage comme celui-ci. Sur le sentier de la Côte bleue, je n'avais réussi à franchir l'obstacle que grâce aux encouragements d'autres randonneurs. Là il n'y a personne. J'essaye de ne pas trop y penser.
Il n'y aura pas d'autre passage comme celui-ci. Mais le sentier n'est vraiment pas aisé, comparé au début du circuit : beaucoup de branchages, de gros cailloux qui affleurent, avec parfois des dénivelés compliqués à aborder, plutôt glissants. Rapidement deux hommes me rattrapent. Je suis soulagée de les avoir derrière moi, je me dis que s'il y a un problème ils pourront m'aider. Des fois je me retourne pour voir comment ils abordent un passage qui m'a posé problème. La facilité de leur marche me rend perplexe : je suis si nulle que ça ? Mais je m'en fiche : j'avance, ils semblent avoir calqué leur foulée sur la mienne, et la beauté du paysage me fait oublier petit à petit ma frayeur. Au bout d'un moment, je décide de laisser les deux hommes me doubler. Je commence à ralentir, il fait vraiment chaud et mine de rien, on grimpe doucement mais sûrement. Bientôt, je commence à avoir vraiment, vraiment hâte d'arriver. C'est bon signe : ça veut dire qu'on approche. Ne me demandez pas pourquoi mais c'est souvent au moment où je commence à trouver le temps vraiment long que l'arrivée se profile. Pas d'exception cette fois : quelques minutes plus tard, je rejoins le chemin qui servira pour le retour. Le Schwarzensee est de l'autre côté d'une barrière. Je suis bien contente qu'il y ait un banc pour me remettre de mes émotions : je pourrais toujours mettre ça sur le compte du paysage. Les mots me manquent pour exprimer la beauté de ce qui s'étend devant mes yeux. Je suis heureuse d'avoir pris sur moi et d'être arrivée ici.Le Schwarzensee.Sur les bords du Steirersee. C'est parti pour le chemin du retour. Il est presque 16 h, je serai largement revenue à l'heure, d'autant que j'ai beaucoup perdu de temps à l'aller à cause des pauses photo. Le retour est toujours plus rapide. D'autant que là, il n'y a pas de difficulté. Je prends le chemin qui descend vers le Steirersee, plutôt encaissé, et qui ensuite le longe. Le soleil commence doucement à décliner vers l'horizon, passant derrière les montagnes. Je le bats de quelques minutes, restant dans la lumière tout le long du trajet mais de peu. Puis vient la dernière ascension pour rejoindre le sentier de l'aller. Je suis le cours d'un ruisseau, rien n'est indiqué, mais il n'y a pas bien le choix. Le ruisseau se perd dans la végétation, et moi avec. Merde, c'est par où ? J'avise des traces de semelles, un escalier naturel de pierres, ça vaut bien un chemin comme un autre. Je me rends rapidement compte que je fais fausse route, la sente est quasi invisible, la pente est pire que raide, l'herbe et les cailloux se mélangent, mais comment ça se fait que j'aperçoive encore ici et là des traces de pas ? J'arrive finalement sur le sentier principal à bout de souffle, j'ai l'impression d'avoir escaladé une montagne à main nue et quand je me retourne, c'est un peu l'impression que ça fait : je n'arrive même pas à déceler le chemin que je viens d'emprunter. Le temps de calmer les battements de mon cœur sur le point d'exploser, j'aperçois le groupe qui était derrière moi bifurquer à l'endroit où j'ai hésité. Bon, on va dire que j'ai pris une espèce de raccourci... C'est bon pour le cardio.
C'est le moment de rebrousser chemin, les ombres s'étirent, les températures fraîchissent. Je commence à avoir le dos raide, ce n'est pas bon signe. Le temps de revenir au sentier bitumé, la vallée s'est vidée. Il est 16 h 30, le dernier téléphérique a dû redescendre, le lieu est désert. Les nuages s'amoncellent à l'horizon. Le mauvais temps arrive. La chance ne sera définitivement pas de mon côté. Mais pour le moment, il fait encore jour, il fait encore soleil, et j'ai deux heures devant moi. Je broierai du noir plus tard : deux lacs m'attendent. Le temps que j'arrive au pied du Großsee, le ciel s'est couvert et le vent s'est levé. En quelques minutes on est passé d'un grand ciel bleu à un ciel menaçant. Ça donne une autre dimension au paysage, on est bien loin du panorama de mon arrivée. Le reste du circuit se fera sous la grisaille. Les deux derniers lacs que je vois sont les plus petits. Sous le soleil, je n'aurais pas manqué de les trouver charmants. Là les couleurs sont mangées par la baisse de luminosité, les enveloppant d'un manteau déprimant, quelconque. Je hais ce temps qui ne sert qu'à enlaidir.
Le Märchensee.Il est à peine 18 h quand j'arrive au niveau du parking. J'ai terminé la boucle en 4 h 30. Je suis exténuée, mon dos m'élance, je tiens à peine debout? Mais je suis quand même fière de moi, cela fait longtemps que je n'ai pas randonné sur une durée aussi longue ; et surtout, c'était une putain de randonnée. J'en ai pris plein les yeux. Je ne regrette pas d'avoir fait ce choix au détriment de circuits plus connus ou d'un sommet. Ce soir je m'endormirais des lacs plein les yeux.
Je rejoins Bad Aussee où j'ai réservé une chambre dans une charmante maison d'hôtes via AirBnB. Son hôtesse est très accueillante, je me force de suite à parler allemand, même si nous avons échangé en anglais. La conversation tourne forcément court mais ça m'est égal : je ne veux plus céder à la facilité d'utiliser l'anglais. Ma chambre est très confortable, la déco rustique : je me sens tout de suite chez moi... ou plutôt, comme si je venais d'arriver chez mes grands-parents. Je sors manger un morceau en ville – mon hôtesse me conseille le restaurant Erzherzog Johann sur la place principale : la carte est alléchante mais je suis vraiment trop difficile. Je me rabats sur Kirchenwirt, un restaurant beaucoup plus rustique dirons-nous : point de touristes dans la salle ! Quand je rentre, je prends deux minutes pour réfléchir au programme de demain. Mon programme est déjà prêt mais autant vérifier. Et puis, on n'est pas à l'abri qu'il fasse beau, non ? Par acquit de conscience, je vérifie aussi les horaires du Centre Klimt sur les bords de l'Attersee. Et là, patatras : à cette époque, il est fermé le lundi, jour où je devais y aller. Il n'est même pas envisageable que je manque cette visite, c'est LA raison de ma venue dans la région. Il est 23 h, je suis exténuée, mais je prends un moment pour revoir tout mon programme, recalculer les distances. S'il pleut demain matin, je n'ai aucune idée quoi faire. Il y a bien une mine de sel pas très loin mais 16 € l'entrée, c'est un peu cher payé pour voir des cailloux. Enfin, demain est un autre jour. Avec un peu de chance, il ne fera pas trop moche. Je m'endors comme une masse.
2e jour : D'Altaussee à Sankt Wolfgang
J'ai mis mon réveil à sonner à l'aube. 6 h 30, ça pique. S'il fait beau, je veux voir le soleil se lever au-dessus des lacs alentour. Je me lève d'un bond, grimace de mon dos raide, me précipite à la fenêtre. La couverture nuageuse est très basse, vraiment épaisse. On se croirait au crépuscule. De guerre lasse, je retourne me coucher.
Quand le réveil sonne à nouveau, je retourne le problème dans tous les sens : que visiter ? Que faire ? Je finis par capituler : la mine de sel n'est pas très loin et des visites guidées sont organisées régulièrement. Celle de 10 h me permettra en plus de ne pas prendre de retard sur mon planning de la journée. Après tout c'est aussi la particularité de la région, cela pourra être intéressant. Le petit déjeuner servi dans la chambre d'hôtes est typiquement autrichien : fromage, charcuterie, à 9 h, c'est rude. Je n'ose rien dire car ce n'est pas un hôtel à proprement parler. 9 h 40, je suis prête à partir. Je suis un peu peinée de partir en précipitation ; j'échange encore quelques mots avec mon hôtesse, elle se désole du mauvais temps (et moi donc !), m'assure que les mines valent le coup d’œil. Je la remercie et je saute dans la voiture.9 h 55, j'arrive devant l'entrée des mines d'Altaussee. Ouf, il reste de la place pour la visite de 10 h. Je prends mon ticket, enfile les vêtements de protection, me rends compte que la visite sera sûrement en allemand : heureusement, ils ont des audioguides, et en français en plus. La visite devait durer une heure mais quand je ressors il est 11 h 45. Je suis mitigée : c'est impressionnant de se retrouver dans la montagne – on s'enfonce quand même sur près de 700 mètres –, j'ai appris plein de choses sur l'extraction du sel et l'épisode marquant où des œuvres d'art y furent entreposées durant la Seconde Guerre mondiale, afin de les protéger des nazis (d'ailleurs c'est amusant, il y a des moniteurs dans une salle qui donnent sur quelques-unes de ces œuvres sauvées dans le Kunsthistorischesmuseum de Vienne) mais bon... voilà quoi. On n'assiste pas à d'extraction, le discours est bien calibré, le groupe est trop grand à mon goût, le coup du toboggan est clairement gadget... La seule surprise vient de la chapelle de sainte Barbara (ou sainte Barbe chez nous), patronne des mineurs. Voir cet autel en plein cœur de la montagne, c'est plutôt atypique. Si je ne ressors pas déçue de ma visite, je sais pourquoi je ne l'avais pas choisie en premier choix. Il y en a deux autres dans la région, dont une à côté d'Hallstatt, mais je ne sais pas si toutes proposent des visites sur le même principe. Je redescends vers l'Altausseer See : que je vois quand même mon premier lac de la région ! Même les nuages bas ne parviennent pas tout à fait à gâcher la beauté du lieu. Qu'est-ce que ça doit être sous le soleil ! Nous sommes dimanche et c'est l'heure de la sortie de la messe. J'ai l'impression d'être propulsée 100 ans en arrière : les habitants sont en habits traditionnels, très élégants, mais c'est plutôt surprenant. Un chalet particulièrement fleuri fini immortalisé dans mon appareil photo. Il n'y a malheureusement pas grand-chose de plus à faire.Hallstatt, c'est un peu la vitrine du Salzkammergut : son célèbre clocher au bord du lac a été pris en photo à toutes les saisons et sous tous les angles, photoshopé jusqu'à l’écœurement. Je n'ai pas particulièrement envie d'y aller, cet endroit ne m'attire pas. Mais de toute façon, j'ai un peu de temps devant moi et quitte à être à côté... Le lac est plutôt joli, enfin il pourrait l'être si on n'avait pas l'impression d'être 18 h au lieu de midi. J'arrive dans la ville, l'entrée est bondée de cars de touristes. Je m'éloigne un peu, peut-être que ce sera plus calme à la sortie ? Inutile : il n'y a aucun endroit où s'arrêter et aucune vue sur le village. Demi-tour. Je parviens à me garer sur une place arrêt-minute juste à l'entrée. Je m'approche du lac, clic-clac, le village dans l'appareil photo, plié. Il commence à pleuvoir, c'est bondé de monde et plutôt quelconque. J'ai l'impression que quelqu'un a oublié d'allumer la lumière aujourd'hui. L'horloge tourne. J'ai une heure de route pour arriver au Centre Gustav Klimt, pas question de perdre une seconde de plus dans ce village digne d'un Disneyland autrichien.La pluie finit par s'arrêter. Les hauteurs sont noyées dans les brumes. Mais pour la première fois de la journée, je m'en fiche. Mon but s'approche. L'excitation monte. Enfin le voilà, mon Graal. L'Attersee. Je m'arrête tout de suite, sur un parking d'hôtel à l'entrée de Weißenbach. L'émotion me gagne. L'Attersee quoi ! C'est puéril mais je me dis que peut-être Gustav Klimt s'est tenu là, peut-être qu'il a contemplé ce même paysage et qu'il lui a inspiré l'un de ses tableaux. Une douce mélancolie se dégage de l'eau, avec cette légère brume qui noie les maisons au loin. Quelques secondes suspendues... Puis le temps reprend son cours.
Je suis frappée par la beauté du lac en le longeant pour rejoindre Kammer-Schörfling, à l'autre bout. Je sais que mes sentiments sont biaisés, avant même d'y mettre les pieds j'aimais cet endroit, mais quand même : je comprends l'attrait que ce lieu a pu exercer sur Klimt. Un sourire débile flotte sur mes lèvres, j'ai l'impression d'être un enfant le matin de Noël, sur le point de déballer ses cadeaux tant attendus.Le Centre Klimt se situe sur la commune de Kammer-Schörfling. Klimt a passé plusieurs étés dans l'hôtel qui s'élevait alors au niveau de la promenade. Le petit château que l'on aperçoit a fait l'objet de pas moins de trois tableaux. Tout est très bien documenté dans le centre : on y découvre la correspondance abondante de Klimt, qui a dû faire le bonheur des vendeurs de cartes postales à l'époque (mais dieu qu'il écrivait comme un cochon). Ses tableaux sont géolocalisés, certains sont décortiqués, ses habitudes et ses techniques expliquées. Ses séjours sont abondamment documentés : où il résida, les gens qu'il fréquenta, les activités auxquelles il participa. De nombreuses photos témoignent de cette période. Des reproductions sont également accrochées. Point d'originaux, forcément, qui se trouvent soit dans des musées soit chez des riches collectionneurs. Ses peintures de l'Attersee s'arrachent désormais à plusieurs dizaines de millions d'euros. Cette spéculation de l'art me rend folle. Mais ce n'est pas le sujet.En complément du Centre, un parcours est proposé tout le long du lac. Il fait un bon substitut pour ceux qui ne souhaiteraient pas payer les 6 € d'entrée : à chaque lieu sont liées des anecdotes ou l'on découvre le paysage qui servit d'inspiration à l'artiste. Si on a visité le centre, les textes sont redondants, on n'y apprend pas grand-chose de plus : reste le bonheur de se mettre à la place de Klimt et se laisser inspirer par le même décor, à plusieurs décennies d'écart : si différent et si semblable !
C'est comme ça que je me suis arrêtée à Litzlberg : c'est ici que Klimt trouva l'inspiration pour son tableau Am Attersee qui m'avait tant émue il y a deux ans. La boucle était bouclée, en quelque sorte. En perdant mon regard sur le clapotis des vagues, j'ai brièvement aperçu ce qui avait attiré son œil. Malgré le ciel gris, le lac resplendissait de cette couleur turquoise si particulière et des reflets plus sombres jouaient sur la surface. Je n'ai pas eu besoin d'un grand effort d'imagination pour superposer les deux visions. Je donnerais cher pour pouvoir admirer le lac comme au début du siècle, sans les nombreux bateaux amarrés.J'ai finalement réalisé le tour du lac. Les deux rives sont très différentes mais je ne saurais dire laquelle m'a le plus touchée. Je me suis arrêtée de nombreuses fois pour essayer de capturer sur ma pellicule numérique l'enchantement provoqué par ces paysages. Un jeu de lumière, une nuance de vert particulièrement vive, un reflet sur le lac, la roche qui tranche avec la végétation. Rien ne rend comme dans mes souvenirs. J'en suis soulagée. Je préfère que ce moment n'appartienne qu'à moi et si je suis heureuse de vous partager la beauté de ce lac, je n'aurais pas aimé que la magie de ces quelques instants suspendus se retrouvent à la vue de tous. Il y a des moments que l'on veut garder rien que pour soi et celui-ci en fait partie. Si ce n'est pas déjà fait, je vous souhaite de trouver votre Attersee.
Quitter le lac a été un déchirement. Je me rends bien compte que ces arrêts successifs, c'était avant tout un moyen de prolonger l'enchantement, de repousser les adieux. Mais vient un moment où la route bifurque et où on n'a plus le choix. Il est temps de poursuivre le voyage.Sur mon chemin vers Sankt Wolfgang, je fais un arrêt le long du Mondsee. Je reste hypnotisée par les reflets de la végétation dans le lac : où commence l'eau ? Puis je finis par rejoindre ma destination et prendre possession de mon logement pour la nuit. J'ai de nouveau réservé dans une maison d'hôtes, la Gästehaus Menkens, mais cette fois, le décor est bien différent. L'air sent le tabac froid, la chambre est glaciale et beaucoup moins chaleureuse que la précédente. Il y a un petit balcon qui donne sur le lac mais vu les températures, je ne risque guère d'en profiter. Heureusement, ce n'est que pour une nuit... La journée est loin d'être finie, il fait même encore jour mais je suis fourbue et gelée : je décide de passer les prochaines heures au chaud au café Wallner : j'en profite pour travailler un peu, j'avale un goûter tardif... La nuit est tombée depuis un moment, il est l'heure de rentrer à l'hôtel. J'ai un peu faim mais je capitule à l'idée de me mettre en quête d'un restaurant : ce soir, c'est clairement l'épreuve de trop.
Reflets sur le Mondsee.
3e jour : De Sankt Wolfgang au Traunsee
Lundi matin. Un rapide coup d’œil au temps par la fenêtre, pas de surprise : il fait toujours gris, mais c'est moins plombé que la veille. C'est toujours ça de pris. La vue sur le lac est même plutôt jolie, des nuages s'effilochent à mi-hauteur des montagnes, on se croirait dans un tableau. Et de ce côté... Pincez-moi je rêve : du ciel bleu ? Un bout de putain de ciel bleu ? J'essaye de ne pas trop m'exciter mais c'est peine perdue. Je fonce sur Internet, pour aller vérifier les webcams du Schafberg, ce sommet qui surplombe la ville. Bon, c'est un peu nuageux mais c'est dégagé du côté du Mondsee, j'ai bon espoir que les nuages finissent par disparaître. Les premières montées ne sont pas tout de suite, je dois d'abord aller prendre mon petit déjeuner, mais je peux prendre l'une des navettes vers 10 h. Vu le prix, je vais surveiller étroitement la météo mais ça me semble jouable. Pas question de dépenser 35 € pour finir dans le brouillard ou ne pas y voir à trois mètres.
Je boucle ma valise, prends congé de mon hôtesse et me dirige vers le centre de Sankt Wolfgang. J'ai repéré hier un café qui avait l'air plutôt sympathique, le Kaffeewerkstatt. J'étais loin du compte : si l'extérieur ressemble à un chalet tout ce qu'il y a de plus normal, l'intérieur m'interpelle : on se croirait dans une espèce de brocante, c'est coloré, un joyeux fourre-tout. Je m'y sens tout de suite bien. La salle est immense, je me sens un peu mise à l'écart dans mon coin loin des autres clients mais je m'en fiche, au moins je suis au calme. Toutes les cinq minutes je consulte la webcam en direct. Pour l'instant, ça se maintient, ce n'est pas non plus le grand beau temps mais le panorama reste dégagé. Je m'interromps quand la nourriture arrive : la carte était vraiment alléchante, dur de choisir. J'ai finalement opté pour un yaourt avec du muesli et des fruits, ainsi que des tranches de pain et du beurre de cacahuètes (mon péché mignon) et un grand chocolat chaud. Tout est délicieux. Je paie, prends encore quelques photos et me dirige vers le funiculaire. Je vérifie une dernière fois la webcam. Je ne vois rien plus rien. Le sommet est noyé dans les nuages. Je ferme la page machinalement.
Quelque chose se brise en moi. Je n'ai même plus envie de faire semblant de profiter du séjour, je n'ai plus envie de me forcer à apprécier des paysages déprimants, je n'ai plus envie de faire genre ce n'est pas grave, je n'ai plus envie de m'obliger à ne pas agir en enfant gâtée. Ce séjour est un désastre, j'ai mis plusieurs mois d'économie dans un voyage dont je ne peux même pas profiter. Cela fait un an que j'attends ces quelques jours, c'était un voyage vraiment important pour moi, et ce n'est qu'un véritable gâchis. Les quelques heures magiques passées sur les bords de l'Attersee la veille ne parviennent pas à sauver le naufrage du reste du voyage. Je me dirige quand même vers le bord du lac, de toute façon ce n'est pas comme si j'étais attendue quelque part. Je reste de longues minutes à scruter les nuages, est-ce que je crois qu'à la seule force de ma volonté ils vont se dissiper ? Un bout de ciel bleu entretient l'illusion pendant un moment. Par réflexe plus que par intérêt, je regarde de temps en temps la webcam. Bouché. L'entrée du funiculaire est juste derrière moi, une queue se forme pour le prochain départ. Je ne comprends pas pourquoi ces gens s'entêtent à y aller, j'ai envie de leur crier que ça ne sert à rien, leur mettre mon écran sous les yeux : "regardez, c'est noyé dans les nuages, à quoi bon ?" À quoi bon ? Je me traîne vers le centre, passe par l'église (l'intérieur est vraiment joli, il faut le remarquer) puis récupère ma voiture. J'ai l'impression que quelqu'un d'autre a pris possession de mon corps. Prochaine étape : Bad Ischl.
À l'origine je n'avais pas du tout prévu de visiter Bad Ischl. J'ai décidé hier de m'y arrêter car je me suis dit qu'une ville serait moins déprimante par mauvais temps. Et comme il s'y trouve l'une des résidences des Habsbourg, cela me fera au moins une visite culturelle risquant de m'intéresser. Les parkings en périphérie sont hors de prix, 2 € l'heure. Je me gare dans le centre, sur des places de courte durée. 1,60 € pour une heure et demie. Je galère avec l'horodateur, une dame vient à mon secours. Le tout en allemand. Ce voyage ne sera pas perdu pour tout.
La ville est vraiment toute petite : quelques rues bordées d'élégantes maisons, une promenade le long de la Traun, la rivière qui la traverse. Les boutiques de Dirndl s'intercalent entre les grandes enseignes. Je prends quelques photos, le centre est vraiment mignon, mais le cœur n'y est pas. Je remarque un panneau publicitaire pour la Leharvilla, où vécut le compositeur Franz Lehár et qui a la particularité de proposer un intérieur d'époque. Manque de chance, ou acharnement du sort, c'est fermé le lundi. Avant de visiter la Kaiservilla, je m'arrête au Café Sissy (décidément, pour quelqu'un indifférente aux Habsbourg et à l'impératrice, j'ai l'impression de les suivre à la trace) pour une soupe de potiron et un thé. Je n'ai pas très faim mais il est déjà 14 h... Au moins ça me réchauffera. Le décor du café est vraiment beau, même si la salle principale, la plus élégante, est fumeur. La soupe n'est pas mauvaise, j'attends 15 minutes que le serveur veule bien m'encaisser, à cela s'ajoute un mail alarmant du boulot, un problème à résoudre en urgence. J'ai l'impression que cette journée ne peut pas empirer. Je me trompe.L'intérieur du Café Sissy.Heureusement, quand la visite de la Kaiservilla commence, tout est réglé et je peux en profiter. Parce que le lieu est vraiment beau. Les photos y sont interdites, comme souvent en Autriche, et il n'est accessible qu'en visite guidée, effectuée en allemand. On vous donne un livret dans votre langue si nécessaire. Au début, je me concentre pour essayer de comprendre, je ne m'en sors pas trop mal, mieux qu'il y a quelques mois en tout cas. Mais c'est vite fatiguant et je me contente des explications du livret et de profiter du décor. La visite est rapide, une dizaine de salles, à peine une heure. Cette villa, où l'empereur François-Joseph passait ses étés, est tristement célèbre pour avoir été le lieu où fut signée la déclaration de guerre à la Serbie en juillet 1914, ayant débouché sur les événements terribles que l'on connaît. Mais c'est aussi une villa décorée avec goût, où sont accrochés de nombreux trophées de chasse de l'empereur, dont c'était l'une des rares distractions. On a vraiment l'impression de rentrer dans l'intimité de la famille, un peu comme dans la villa Hermès. Mais si l'endroit est joli, il n'a rien d'exceptionnel non plus. Si l'on a déjà visité d'autres lieux où ont vécu les Habsbourg, et notamment François-Joseph et Sissi, on sera déjà au courant des anecdotes dispensées durant la visite. Le ticket d'entrée est quand même de 14,50 € pour la villa et le parc. Je fais l'impasse sur le parc. J'ai fait le tour de Bad Ischl, il est temps de mettre les voiles pour ailleurs.
Il n'est même pas 15 h et mon programme de la journée est terminé. Comme je n'ai pas envie de rejoindre de suite ma chambre d'hôtel, je décide de faire un arrêt sur le trajet. À ce stade, n'importe quoi fera l'affaire pour m'occuper. Le Traunsee est le lac le plus profond de la région à défaut d'être le plus joli. Dans mon guide, il est dit que Traunkirchen est une bourgade plutôt sympathique. Ça vaut bien une autre destination. Le vent est encore plus froid au bord du lac. Je m'engage sur le sentier qui fait le tour de la petite avancée, avant de rejoindre la chapelle au sommet. Il est question d'une vue quelque part, mais le paysage est bouché par les arbres. Tant pis, je redescends vers l'église. L'intérieur vaut le coup d’œil pour sa chaire vraiment étrange, qui ressemble à un bateau de pêcheur. C'est la première fois que je vois une sculpture pareille, c'est à la fois très déroutant et terriblement naïf, on dirait l'idée d'un enfant. Le reste du village est complètement désert. À part quelques touristes débarqués du bateau qui fait la navette sur le lac, il n'y a personne. On se croirait un dimanche. J'en avais mis pour quarante-cinq minutes dans l'horodateur. Je repars même pas au bout d'une demi-heure. L'intérieur de l'église de Traunkirchen.
Mais cette fois, j'ai un but. Je suis frustrée de cette vue qu'on m'a promise et que je n'ai pas trouvée. Alors en remontant le lac, je scrute les panneaux. Maintenant j'ai compris que le suffixe "-alm", ça veut dire sommet, ou plateau, ou quelque chose du genre, mais en tout cas ça indique un lieu en altitude. Et là, je le vois, juste à la sortie de Traunkirchen : "Hochsteinalm". Je ne sais pas où je vais, mais j'y vais.
Bien vite, j'arrive à un immense pré avec une pancarte "Hochsteinalm". Au bout, comme un hôtel. J'ai l'impression que je suis arrivée mais je ne vois rien... ? Ah si, je tourne la tête, et là le lac apparaît. Je lâche un rire nerveux. Comment ai-je pu le manquer ? Je me gare, prends quelques photos, essayant d'esquiver les limaces au passage. Le champ en est rempli. Bon, ce n'est pas si mal finalement ? Mais je ne suis pas encore satisfaite. Je veux voir où mène la route. Au bout, c'est un cul-de-sac. Quelques places de parking et un début de chemin. Pour arriver au sommet, il faut y aller à pied. Je me contente de profiter de la vue, encore plus impressionnante à cette hauteur-là. La journée n'est pas complètement gâchée.J'ai encore du temps à tuer, alors je décide de rejoindre un autre point de vue un peu plus loin, celui-ci indiqué dans mon livre : Gmundnerberg. La route est tortueuse pour y arriver mais large et bien entretenue : rien à voir avec toutes les routes de montagne que j'ai pu emprunter en France, quand j'habitais en Savoie. Arrivée au sommet, près d'un hôpital, je me rends à l'évidence : cette vue-là est bien moins impressionnante que la précédente. On aperçoit bien Traunkirchen mais l'autre proposait un panorama plus large.
J'ai suffisamment traîné, là je n'ai vraiment plus rien à faire, d'autant que je suis plus qu'à quelques kilomètres de l'hôtel. Je me résous à y aller. J'avais eu un coup de cœur en juillet et j'ai tout fait pour y retourner cette fois, d'où l'inversion de planning d'ailleurs et les casse-tête qui en ont résulté. Mais cela valait le coup : il faut dire que l'Altmünsterhof est très mignon, avec son ambiance chalet. Ma chambre est immense, avec un coin salon et un grand balcon donnant sur le lac de Traunsee. Bémol : c'est plutôt bruyant avec la route qui passe juste en dessous. Il ne fait pas assez beau et chaud pour rester sur le balcon mais derrière la vitre, je profite tout autant de la vue. J'allume mon ordinateur, regarde le menu du café que la réception m'a conseillé, essaye de trouver le courage de ressortir. Il est à peine 17 h, Gmunden est à deux pas, ça serait bête de rester enfermée malgré tout. En plus j'ai l'estomac un peu noué, je dois avoir faim.
Je traîne, profite de la chaleur et d'être assise ailleurs que derrière un volant. Je trouve enfin le courage de ressortir quand les premiers vertiges m'assaillent. Allons bon, qu'est-ce qu'il m'arrive encore ? Je me lève mais me rassois bien vite, pliée en deux. Mon estomac me lance, d'un seul coup mes forces m'abandonnent, une grande fatigue m'envahit. J'espère que ça va vite passer. Je me traîne sur le lit, m'effondre comme une loque et sombre dans un sommeil lourd.Malheureusement, cela ne passera pas. Je passe la fin de la journée au fond de mon lit, à me tordre de douleur, à maudire de voyager seule et de n'avoir personne sous la main pour aller me chercher à manger quand la douleur reflue. Il n'y a plus rien d'autre à faire que de dormir.
4e jour : Gmunden et retour
Mardi matin. Ça ne va pas guère mieux. Je comprends rapidement que la journée va être compliquée : même après le petit déjeuner, que je grignote du bout des lèvres, vertiges et nausées continuent de se disputer pour prendre le dessus. Je me fais violence : il me reste encore quelques heures, autant les mettre à profit. Dehors, la pluie a fini par s'inviter pour de bon. Je feuillette mon guide et décide de m'arrêter sur le chemin du retour à l'abbaye de Saint-Florian, au sud de Linz. Elle est réputée pour avoir également un beau décor baroque à l'intérieur. Un tour à Gmunden, pour aller voir le château Ort, visite du monastère et retour à Vienne. Cela me semble faisable, même dans mon état. Je me rappelle ma première fois à Vienne, avec ma grippe carabinée. J'ai connu pire. Je prends la direction du château Ort. La pluie redouble.J'arrive devant le château au bout de sa passerelle, au milieu du lac. Je suis étonnée d'apprendre qu'on peut le visiter, je n'en ai trouvé mention nulle part sur Internet ou dans mon guide. L'entrée n'est pas chère, 3 ou 5 €. J'y vais, j'y vais pas ? Soudain, cette passerelle me semble infranchissable. Je grelotte, je suis trempée, je m'accroche à mon parapluie comme à une bouée de sauvetage. Enfin quoi, qu'est-ce que j'essaye de prouver là ? D'autant que j'ai encore plus de deux heures de route pour retourner à Vienne.
Je capitule. Pas de château, pas de monastère. Je décide de préserver mes dernières forces pour rentrer. À l'instant où je prends cette décision, je me sens un peu plus légère. Juste un peu. Mais suffisamment pour comprendre que j'ai fait le bon choix. Tant pis pour le château, tant pis pour le monastère. Je n'ai plus la force de supporter mes espoirs déçus, même mon corps a décidé d'abandonner la partie. Je rentre.
Je traverse Gmunden, défigurée par la pluie et des travaux. Sur la route, les éléments se déchaînent, la pluie tombe dru. Je passe Sankt Florian, j'ai un petit pincement au cœur mais j'ai la certitude que j'aurai d'autres occasions. La pluie se calme quand j'arrive vers la Wachau. Un imposant bâtiment se dresse au loin. Il me faut quelques secondes pour comprendre que c'est l'abbaye de Melk. Elle est déjà impressionnante quand on se trouve à ses pieds mais d'aussi loin, on prend vraiment la mesure de sa taille. Finalement, le panneau Vienne apparaît. La pluie s'est arrêtée. Le temps que je rentre chez moi, le ciel s'est dégagé, le soleil a refait son apparition. L'ironie me laisse de marbre.
***
Ce voyage dans le Salzkammergut m'a laissé un goût doux-amer, une impression d'inachevé, de rendez-vous manqué. J'ai adoré ma première journée, techniquement pas vraiment dans le Salzkammergut, et mon après-midi au bord de l'Attersee. Mais pour tout le reste, j'ai eu le sentiment de remplir mon temps et d'essayer de rentabiliser mon séjour pour ne pas gâcher l'argent investi. C'est à mon sens la pire manière de voyager et certainement l'un des séjours les plus éprouvants et frustrants que j'ai pu réaliser. Je compte bien chasser ces mauvais souvenirs avec une nouvelle visite, cette fois avec une météo plus clémente, pour profiter de l'atout premier de la région : sa nature.