Cachoeira, Bahia, Brésil / 12°36’S 38°57’W / 1997
Avec une seule demi-heure de retard, Bira est très correct; on dit que l’heure, à Bahia, est de quatre-vingt dix minutes. Bira sera un assez piètre conducteur, irrégulier. Cependant agréable compagnon; disert et compétent. Il connaît bien sa région, le recôncavo, que nous parcourons sur les 120 kilomètres vers Cachoeira. Route secondaire, état variable, comme le ciel aujourd’hui. On défile à travers des plantations. Le recôncavo est l’une des fertiles régions agricoles du pays, la canne à sucre se développe à partir de la seconde moitié du XVIe siècle. Il y a aussi le cacao; halte à mi-parcours dans une plantation, on découvre le goût fort et original du cacao pur en cassant quelques fèves qui sèchent au soleil. Et puis le tabac, de culture plus tardive, et plus artisanale aussi, nous dit-on.
Sur la rive droite du Rio Paraguaçu, São Félix. En front de fleuve, l’ancienne façade de la manufacture des cigares Dannemann, fondée en 1873 par un Allemand venu de Brême. Ce sont les plus connus des cigares brésiliens – je ne suis pas amateur, mes quelques essais se sont toujours terminés devant la cuvette des vécés. Bref tour de ville, nous resterons plus longuement en deçà du pont qui enjambe le fleuve, à la ville jumelle, Cachoeira.
Atmosphère surréaliste, un ensemble architectural que l’on croirait créé pour un plateau d’opéra. Parfaite harmonie, l’architecture coloniale portugaise dans sa meilleure expression, Des églises de toutes tailles, dans toutes les dispositions urbanistiques, des perspectives de ruelles prolongées d’emmarchements, d’excroissances de perrons, devant des façades colorées pastel, délavées par des siècles de cette succession de dur soleil et de violente pluie.
Une marque de qualité sur « Le Fil rouge portugais », ces récits de « Voyages à travers les continents », que Péroncel-Hugoz, dans ce livre qu’il publiera en 2002 (Bartillat, Paris) dédiera « Aos Portugueses, pioneiros exemplares e imigrantes modelo ». Un soir à Bahia, nous nous trouvons voisins de table d’un charmant senior portugais, discret, habillé à l’anglaise comme ils l’affectionnent – on dirait un personnage de Pessoa ou Tabucchi. Ingénieur en retraite, il parcourt le monde sur les traces du patrimoine construit portugais. Au chapitre brésilien, il part le lendemain pour Rio Branco, Acre, à 4’000 kilomètres à l’ouest, frontières avec le Pérou et la Bolivie. Boa viagem, Dr. Rodrigo X. Y. e Z….!
Aucune construction moderne ne vient polluer l’image, fragile. La ville a été classée Monument national en 1971, mais les belles intentions ont eu de la peine à prendre forme. Ou alors, des fonds ont bien été attribués, mais sont, quelque part, ailleurs, à la brésilienne…
Impressionnante façade de la gare, en équilibre instable, pouvant s’écrouler d’un moment à l’autre. Nous déjeunons dans la véranda du seul restaurant de la bourgade, surchauffée par le soleil revenu dans le décor. Progressivement, les grincements du ventilateur de plafond sont supplantés par d’autres. Sur les rails zigzagants au milieu de la rue avance une poussive locomotive; il y a encore, horaire aléatoire, de temps à autre un train sur cette vieille ligne. Terminus Cachoeira.
Cachoeira, cascade en portugais. J’en suis friand. Il faut oublier, un barragem en aval a régularisé le cours du rio. Le transport fluvial a aussi disparu; comme souvent, c’est la route et les camions qui se substituent à des moyens plus écologiques. Dernier des soucis, au Brésil, il y a tant de ressources ! « Le Brésil est le pays de l’avenir et le restera », a dit un jour Charles De Gaulle.