Trieste art nouveau

Publié le 08 septembre 2017 par Ailleurstoujours @TjsEtreAilleurs
Comme beaucoup de villes européennes ayant subi une forte croissance démographique et économique, et par conséquence urbaine, au début du XXe siècle, Trieste n'a pas échappé à la vague Liberty (le nom du courant art nouveau en Italie). On est bien loin des décors plus flamboyants et souvent très alambiqués comme j'avais pu en voir à Turin (dont le style me paraît plus se rapprocher de l'art nouveau français – mais je dis peut-être une bêtise) : à Trieste, j'y ai parfois reconnu plutôt l'influence de la Sécession, ce qui n'est sûrement pas un hasard vu qu'elle était à cette période encore dans le giron de l'Empire austro-hongrois. Comme pour beaucoup de villes que je visite, cet héritage était l'une des raisons qui m'ont poussée à venir à Trieste : je vous livre ici le fruit de mes découvertes, avec en fin d'article une carte répertoriant tous les liens mentionnés, ainsi qu'une liste de liens pour en apprendre plus.

Via Pauliana 6

Il a bien fallu décider arbitrairement d'une manière de présenter les différents bâtiments rencontrés durant mon séjour : j'ai choisi une progression du nord vers le sud de la ville, en commençant dans le quartier autour de la gare. J'avais fait un premier repérage sur Internet avant de venir, mais ça ne m'a pas empêché de faire de belles découvertes, comme ce premier immeuble, sur lequel je suis tombée complètement par hasard sur mon chemin vers le groupe de maisons suivant. Ce sont ses encadrements de fenêtres qui m'ont interpellée, jusqu'à que je lève la tête pour admirer sa jolie frise juste sous l'avancée du toit. Ici on assiste à une particularité du style Liberty à Trieste, qu'il ne me semble pas avoir vu ailleurs : les maisons sont parfois de couleurs très vives, ce qui se marie parfaitement avec les frises et autres sculptures immaculées. Je n'avais pas trop le temps de flâner, je n'avais que quelques minutes devant moi avant une visite guidée, mais j'ai eu l'impression que le quartier regorge pas mal de bâtiments Liberty, comme le prouve la suite. Je pense que ça peut mériter une exploration plus poussée, si vous avez la possibilité.

Via Commerciale et Casa Valdoni

Ma destination, c'était ce groupe de trois maisons sur la Viale Commerciale : tout à gauche, la Casa Valdoni, et les deux autres qui n'ont pas de nom. Chacune possède des éléments très différents de ses voisines, mais l'ensemble est parfaitement harmonieux et surtout en très bon état, ce qui n'est malheureusement pas le cas partout à Trieste. C'est certainement l'un des plus beaux îlots Liberty de la ville, de par la profusion et la diversité des détails ainsi que la conservation, même si pas celui le plus flamboyant.La première maison, tout à gauche au n° 25, est la Casa Valdoni que l'on doit à l'architecte Giorgio Zaninovich. Celui-ci fut notamment formé à Vienne et côtoya l'école d'Otto Wagner : vous me direz si vous voyez des ressemblances, moi pas trop. On reconnaît la maison à son imposant balcon central arrondi et les plus petits balcons disposés de chaque côté, symétriquement. Le rez-de-chaussée est en pierre brute, avec un très joli encadrement de porte, le premier niveau, avec son balcon et ses sculptures, de couleur blanche qui se termine par un motif ondulant rappelant l'eau pour se poursuivre sur les étages supérieurs, d'un jaune pâle. Mis à part les éléments en pierre plutôt imposants, la façade est vraiment très sobre, jusqu'au toit et son avancée de nouveau ouvragés.
Agencement complètement différent à côté, au n° 23. Le jaune est ici beaucoup plus soutenu et, mis à part la galerie centrale, les décorations se trouvent surtout au dernier étage. Point de travail sur le fer à remarquer ici, pas de balcon, pas de balustrade. L'entrée mérite néanmoins un coup d’œil, avec un joli travail de vitrail sur la porte. Moins imposante que ses voisines, elle permet une respiration dans l'îlot.   On va bien la différence de style entre les trois bâtiments.Dernière maison de l'îlot, le n° 21 propose cette fois une jolie couleur orangée pour sa façade, un rez-de-chaussée encore une fois réalisé en pierres brutes et avec une très jolie porte d'entrée rehaussée de doré. Les étages supérieurs sont décorés à chaque niveau d'éléments différents, les balcons se dotent de rambardes où cette fois on trouve un décor de damier. C'est sûrement mon bâtiment préféré de l'ensemble car le plus harmonieux : on trouve des éléments art nouveau sur toute la façade, le travail sur les fenêtres est homogène, on n'a pas de rupture entre les niveaux.

Via Martiri della Liberta 7-11

Juste un peu plus bas, en descendant vers le centre, un autre bâtiment non répertorié sur ma liste a attiré mon attention. Cette fois l'entretien n'est guère au rendez-vous, ce qui est dommage, car il présente de beaux éléments de ferronneries et des décorations au niveau des dessous de fenêtre très élégants. Il n'est pas toujours évident de faire la part entre les bâtiments art nouveau et relevant simplement du style éclectique dans la ville car beaucoup de façades possèdent juste quelques touches empruntant à l'art nouveau, comme ici.

Hôtel Balkan (Via Fabio Filzi 14)

Parfois, dans les articles répertoriant les bâtiments art nouveau d'une ville, je tombe sur certains qui me semblent ne pas du tout y appartenir. Vous conviendrez qu'entre l'hôtel Balkan, construit en 1904 par Max Fabiani (vous vous souvenez de lui ? Il a réalisé plusieurs bâtiments art nouveau à Ljubljana autrement plus jolis que celui-ci), et la Casa Valdoni vue plus haut, il n'y a guère de ressemblance... Les éléments art nouveau de cet ancien centre réservé à la communauté slovène se situent principalement au niveau de l'entrée, avec notamment des fenêtres réalisées par Koloman Moser. Le bâtiment a été détruit en 1920. Je ne sais pas si ces éléments sont partis en fumée à ce moment (j'ai bien l'impression quand même) mais l'entrée ne m'a pas paru particulièrement liberty-esque.

Via Francesco d'Assisi

Éloignons-nous un peu vers l'est le temps de trois bâtiments qui eux relèvent de l'art nouveau, sans aucun doute, et dans des styles très différents. Le premier se situe Via Francesco d'Assisi, au n° 52. Sur ce bâtiment gris austère les décors se font très discrets, presque ton sur ton, mais ils sont bien présents : imposant angle avec sa superposition de balcons, motifs de vagues comme directement gravées dans la façade, larges bandes décorées de points comme des rivets... L'influence de la Sécession, et particulièrement d'Otto Wagner, me semble évidente ici. Les portes sont particulièrement réussies, mais imphotographiables à cause des voitures garées devant. C'est dommage qu'un bâtiment aussi joli soit dans un tel état extérieur... Dans la Via Carpison, qui fait l'angle, se trouve une boulangerie appelée Liberty, ça ne s'invente pas !

Café San Marco (Via Cesare Battisti 18)

Avec son passé mixte austro-hongrois et italien, il est bien normal qu'à Trieste les cafés aient une place importante. Il existe plusieurs cafés historiques, datant du XIXe siècle, qui ont gardé leur charme d'antan. Parmi eux, le Café San Marco est certainement celui qui m'a le plus plu. Son ambiance intello est renforcée par la librairie présente dans l'un de ses coins (la première fois que j'y suis passée une dédicace avait lieu en plein milieu du café) et les médaillons au mur rappelant le monde du spectacle et notamment le théâtre. Impossible de ne pas penser aux cafés viennois en y pénétrant. Dans une ville où il est compliqué de trouver un petit déjeuner digne de ce nom, il est bon de noter que le café propose un brunch le dimanche à 18 €.   

Palais Vivanti-Giberti

Dans la très agréable piétonne et ombragée Viale XX Settembre, se trouve au n° 35, abritant désormais un cinéma, le palais Vivanti-Giberti, reconnaissable à ses deux statues massives marquant l'entrée du bâtiment. Difficile d'en avoir un bon aperçu à travers les arbres et avec le peu de recul dans cette rue pas très large mais le palais en impose, notamment avec son grandiose décor floral principalement au rez-de-chaussée et au premier étage. On a l'impression d'être face à la demeure d'un géant.

Casa Terni (via Dante Alighieri 6)

Direction le centre de Trieste dans sa partie la plus moderne. On trouve ici plusieurs exemplaires d'architecture art nouveau, à commencer par la Casa Terni, que l'on doit à Romeo Despoli, qui regorge de détails à en faire tourner la tête. Le décor est foisonnant sur les trois côtés du bâtiment, avec à chaque étage une profusion de motifs. Typiquement le genre de bâtiment que l'on pourrait admirer pendant des heures pour s'imprégner de sa richesse décorative. Certainement l'un des plus beaux bâtiments de Trieste.

Banque de Prague (Via Mazzini 20)

On repart dans du beaucoup plus sobre du côté de l'ancienne banque de Prague (qui abrite désormais la Deutsche Bank). Les éléments art nouveau sont présents mais beaucoup plus discrets. La façade paraît presque austère, surtout après la débauche de motifs de la Casa Terni. On retrouve notamment des frises dans les étages supérieurs, une belle symétrie des deux côtés du bâtiment, sans oublier les délicates arabesques au niveau de l'entrée gardée par deux massives statues de bronze.

Casa Bartoli (piazza della Borsa)

Autre réalisation de Max Fabiani, cette fois appartenant au courant liberty sans l'ombre d'un doute, la Casa Bartoli offre une jolie façade verte où les motifs végétaux sont rois, sur fond de treillis. Les balcons sont simples mais le décor peu vu ailleurs. L'ensemble est très harmonieux et se détache particulièrement sur une place où les tons jaunes et orangés sont beaucoup plus présents.

Corso Italia 18

Au n° 18 du Corso Italia, cette grande avenue commerçante, on trouve quelques éléments liberty à côté desquels il serait facile de passer à côté, comme ces jolis motifs floraux presque ton sur ton. Le reste du bâtiment n'a guère d'intérêt, si ce n'est pour les sculptures au-dessus de l'entrée, et notamment cette tête d'homme qui semble être avalée par la gueule béante d'un lion.

Casa Bussi (piazza Cornelia Romana 1)

Un autre îlot remarquable derrière le vieux centre historique : il faut faire un détour pour aller l'admirer car il n'y a pas grand-chose dans le coin de "touristique". Et pourtant, cela vaut le coup ! On commence avec cette maison qui a beaucoup de peps, avec sa façade jaune et orangée et ses volets verts. La Casa Bussi possède également de belles guirlandes florales blanches qui contrastent superbement avec sa façade vibrante. Elle se démarque particulièrement sur la piazza Cornelia Romana autrement entourée de bâtiments en moins bon état et beaucoup plus ternes.

Via Gaspara Stampa 8

Juste à côté on trouve cette jolie maison qui fait l'angle avec sa façade alternant rose et blanc. Les motifs sont plus nombreux mais toujours aussi délicats, notamment les éléments verticaux qui habillent chaque "colonne" blanche ou les encadrements de fenêtres, tout en courbes. La porte est également très joliment ouvragée avec un travail remarquable de ferronnerie.   

Via Vittoria Colonna 2

Autre bâtiment en angle mais cette fois dans des teintes beaucoup plus neutres, presque éteintes. Les décors sont encore une fois très jolis et délicats, les frises verticales et horizontales très élégantes. On reste vraiment dans un style très proche avec cet ensemble de maisons séparées de quelques mètres à chaque fois, avec une prédominance de couronnes de fleurs et des éléments géométriques très discrets. La porte est ici aussi à remarquer, avec le bois travaillé et un ajout de ferronnerie. 

Casa dei Mascheroni (Via Tigor 12)

C'est paradoxalement le bâtiment le plus en mauvais état qui a été mon coup de cœur : cette imposante bâtisse est dans un état déplorable et pourtant le foisonnement de son décor, ses statues, son porche grandiose mériterait vraiment une restauration pour mettre en valeur ce petit bijou. Il est difficile d'apercevoir le décor intérieur, la partie la plus intéressante de l'édifice, à cause de l'absence de lumière et surtout le grillage posé sur la grille d'entrée. Je suis restée de longues minutes, espérant qu'un des habitants franchirait la porte, pour mieux admirer l'intérieur, peine perdue.   

Casa Basevi

On redescend maintenant vers la mer. Dans la rue du musée Revoltella, on trouve un autre de ces exemples de bâtiments de couleur vive (ici jaune) que viennent décorer de jolies frises, colonnades et médaillons blancs. Les balcons sont également très élégants. La Casa Basevi fut construite par l'architecte Eugenio Geiringer en 1903.

Pescheria Centrale ( Riva Nazario Sauro 1)

Au bord du port de plaisance se dresse l'ancien marché aux poissons qui abrite désormais l'aquarium. Il y a quelques frises florales mais à mon sens trop peu pour que cela tombe sous ma conception de l'art nouveau. Mais le bâtiment est très joli, avec ses briques, ses grandes ouvertures et bien sûr sa tour.

Casa de Stabile (Via Belpoggio 1)

Un peu plus bas le long du boulevard qui longe le front de mer, on trouve la Casa Stabile, une autre réalisation de Max Fabiani. Le bâtiment est marqué par l'espèce de tourelle ronde qui fait l'angle (ou un petit cartouche surmonté d'une tête de lion annonce l'année de construction, 1906), des balcons avec quelques ornements en spirale et surtout des décors floraux surmontant les fenêtres à partir du 2e étage. Un café viennois se trouvait au rez-de-chaussée du temps de son propriétaire, Ernesto de Stabile, mais je n'ai pas poussé les portes des établissements toujours présents pour voir si un reste de décor art nouveau s'y trouvait.

Station Campo Marzion (Via Giulio Cesare)

On termine cette longue liste avec un dernier bâtiment dont l'appartenance au courant art nouveau me laisse perplexe : situé très loin du centre, à côté des plages, ce n'est guère la peine de se traîner jusque là-bas juste pour le voir si vous n'avez rien de prévu dans le coin. La Station Campo Marzion, autrefois une gare, abritait jusqu'à il y a peu le musée des transports ferroviaires mais est actuellement en rénovation. Il ne reste malheureusement pas grand-chose de la beauté passée de l'ancienne gare et les motifs liberty sont très discrets, voire inexistants. Je ne sais pas si la restauration s'étendra à la façade mais cela serait plutôt bienvenu.

Ce que je n'ai pas pu voir ou qui n'existe plus

Il existe deux bâtiments que je n'ai pas inclus dans cet article, manque de photo, et qui pourtant sont liés au courant art nouveau. Le premier est la Pasticerria Pirona, située sur le Largo della Barriera Vecchia, au n° 12. Elle était présentée comme une pâtisserie avec un joli décor art nouveau à l'intérieur mais après avoir trouvée des informations contradictoires sur Internet, je suis allée vérifier par moi-même : l'endroit a bel et bien malheureusement fermé il y a quelques mois. Une feuille sur la devanture parle d'une éventuelle réouverture avec de nouveaux propriétaires dans le futur. À surveiller...
Le second n'est pas un bâtiment à proprement parler mais une chapelle, dont l'existence en ligne se réduit à peau de chagrin : même l'office de tourisme ne connaît pas cet endroit, c'est dire. Je suis tombée sur son existence en parcourant l'article du blog City Breaks AAA, où vous pourrez voir quelques photos, située dans le palais épiscopal de la Via di Cavana 16. Le souci, ce sont les horaires d'ouverture : impossible de les trouver en ligne, sur la plaque à l'entrée rien n'est indiqué de probant car le lieu n'est pas un musée ou quelconque bâtiment ouvert au public en temps normal. Il faut juste avoir de la chance et passer à un moment où la porte est ouverte !
On termine cet article avec la carte que je vous ai promise au tout début, pour mieux vous repérer :

Trois liens pour terminer :
- l'article de City Breaks AAA (en français)- Liberty itinerary (en anglais)- Italia liberty (en italien)