Arrivée en Tasmanie
En mai 2014 on m'a envoyé à Hobart pour une conférence. J'ai regardé sur une carte d'Australie où était Hobart. C'est en Tasmanie.
Sur une carte, la Tasmanie est écrasée par le monstre australien: 1/5 de la superficie de la France, 1/100 de sa population, plus d'un tiers du territoire classé en réserves et parcs naturels. C'est un triangle de nature, perdu à une latitude qu'atteignent seulement la Nouvelle-Zélande voisine, la Patagonie et quelques îles perdues.
J'ai posé une semaine de congés et j'ai acheté un guide. Dans ma valise, en plus d'un complet pour le travail j'ai rajouté des habits bien chauds et des chaussures de randonnée. C'était en mai, l'équivalent un mois de novembre d'hémisphère Nord, dans une île où certaines années il neige à Noël en plein été.
J'ai pris un vol pour Singapour, puis pour Sydney ou Melbourne, puis enfin pour Hobart en Tasmanie. A l'aéroport j'ai loué une voiture. Il devait être sept heures du soir. Je me suis concentré pour rouler à gauche à la sortie de l'aéroport après trente heures de trajet. J'ai allumé le GPS. J'avais cinq jours de liberté devant moi.
Hobart, son port, ses restaurants fermés
Au bout d'une demi-heure de route j'ai traversé l'embouchure d'une rivière pour passer dans le centre-ville. Les rues de Hobart sont en damier, de bonnes grosses rues bien larges, pour de bons Américains, avec de grands trottoirs - et bien à sens unique. Elles montent et descendent sans cesse, et c'est le seul point commun avec la ruelle parisienne. J'ai dû tourner deux-trois fois autour de mon hôtel, perdu entre tous les sens uniques, avant de serrer le frein à main dans une rue en côte pas trop loin.
Il était sept heures et demie, l'heure de dîner pour un estomac français. J'ai posé mes valises à l'hôtel (le premier du Lonely de Tasmanie: " L'Astor hotel ", petit charme vieillot, très bien). Puis j'ai marché un quart d'heure vers le port. Hobart était calme, comme un soir de semaine; de petits immeubles éteints bordaient les avenues vallonnées. J'ai vu un ou deux bars sur le chemin, puis je suis arrivé sur la rade calme et silencieuse. Il y avait quelques bateaux à l'ancrage, une jetée avec des restaurants.
J'ai regardé les cartes, fait mon choix, poussé une porte, essuyé un refus - on ne servait plus. J'ai fait du porte à porte dans la demi-douzaine de restaurants qui donnent sur le port; on m'a refusé poliment, tandis que les derniers clients finissaient leur repas. J'ai fini par échouer dans une sorte de fast-food ouvert toute la nuit et j'ai dîné d'un bête sandwich. Je me suis couché tôt.
Mon itinéraire sur 5 jours
Au petit-dèj, armé de mon guide de Tasmanie j'ai fait mon choix d'itinéraire. Le temps me manquait pour faire "l'Overland Track", la randonnée la plus célèbre de Tasmanie - il m'aurait fallu cinq jours pleins -, et cela aurait impliqué de ne rien voir d'autre, plus la complexité logistique de la chose (il y a un quota journalier de randonneurs et les transports en communs sont peu pratiques vu que ce n'est pas une boucle).
J'ai donc décidé de nomadiser d'une zone de l'île à l'autre, dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, et j'ai commencé par la côte Est, avec les plages désertes du Freycinet National Park; puis les vignobles du Nord autour de Launceston; puis le Cradle Mountain National Park dans l'Ouest (qui est aussi le point de départ de l'Overland Track); puis enfin la péninsule Tasman dans le Sud.
Cinq jours plus tard, quand je suis rentré à Hobart au terme d'un petit périple de 1000km de route, j'étais sous le choc de la diversité des paysages rencontrés en Tasmanie, dans une nature épargnée par les constructions et par le tourisme. Violents orages et grand soleil, plages de sable blanc et montagnes acérées, vignobles ensoleillés et tempêtes de neige, pâturages vallonnés et falaises vertigineuses... Et surtout le sentiment, sur cette petite île, de n'avoir vu qu'une fraction de ce qu'elle a à offrir.
La route vers l'Est
La première matinée j'ai fait ma logistique. J'ai été m'acheter entre autres un sac de couchage dans la rue du Vieux Campeur locale (Elisabeth St). Puis j'ai pris la route vers la côte Est. Tout de suite, une lumière incroyable, un croisement entre l'humidité normande et l'intensité des couleurs islandaises.
Avec parfois des choses bizarres en bord de route...
Je m'arrête pour déjeuner dans une petit restau de poisson sur la côte, à Triabunna. Tout le poisson qu'ils servent est frit dans une panure (une sorte de fish & chips)... C'est un peu dommage de paner du poisson si frais, mais ça reste un excellent fish&chips...
J'hésite à prendre le petit ferry pour Maria's Island, juste en face; une petite île de cinq kilomètres de diamètres, sans voitures, laissée à la nature (il paraît que ça se fait bien à la journée).
Finalement je continue ma route et je commence à longer la côte Est vers le Nord. En fin d'après-midi, j'arrive à Freycinet National Park. On m'a dit que c'était sublime.
Les plages désertes du Freycinet National Park
Je fait un arrêt au visitor's center pour payer l'entrée, prendre un plan et demander des conseils. Je comptais marcher ce soir et dormir sous une cabane dans le parc, mais on me dit que c'est impossible. Je dépose mes affaires au Coles Bay Youth Hostel et je fais quelques provisions de nourriture pour le lendemain à la supérette d'à côté.
En fin d'après-midi, je vais faire une petite balade autour du Cap Tourville, non loin de Coles Bay. Le temps, qui n'était pas magnifique, vire à l'orage et une pluie battante bat la côte. Tout emmitouflé, je marche en regardant mes pieds, et je peux à peine écarter la capuche de ma Canada Goose quelques secondes pour tâter un peu le paysage. C'est une vraie tempête. Je suis assez content quand même de ne pas être en train de marcher...
Je dîne au restau de l'hôtel chic du coin (Edge of the Bay); excellent poisson, non frit cette fois-ci... Je me couche tôt pour être en forme.
Le matin de mon deuxième jour, je pars pour ma première bonne rando en Tasmanie. Il y a une quinzaine de kilomètres pour marcher jusqu'au Sud de la péninsule et autant pour revenir par un autre chemin. Le Lonely Planet indique qu'il faut 2-3 jours pour faire cette rando, ce qui est clairement exagéré; ça fait une grosse journée de marche, mais sur du plat et avec des paysages magnifiques pour se motiver... Pour ceux qui voudraient couper en deux étapes, je me suis rendu compte arrivé à la pointe Sud qu'il y a une cabane en bon état (contrairement à ce que m'avaient dit les Rangers); on peut donc y dormir.
Je rentre fourbu en fin d'après-midi; il me reste deux heures de route pour Launceston, au Nord de l'île, la 2e ville de Tasmanie, 100 000 habitants. Il faut que j'arrive avant sept ou huit heures du soir, car les hébergements ferment tôt... J'arrive ric rac, et je descends dans la seule auberge de jeunesse encore ouverte... Je suis crevé et je dîne d'un excellent burger dans une sorte de fast food amélioré ("Burger got soul").
Launceston: vignobles et plantations
Le 3e jour j'ai besoin d'y aller peinard. Launceston est à une quarantaine de kilomètres de la mer, et y est reliée par l'estuaire de la Tamar, au voisinage duquel s'étendent de sympathiques vignobles.
Je commence par me dégourdir les pattes en allant jeter un oeil à la curiosité de Launceston, une sorte de faille (" Cataract gorge ") avec un joli petit lac en bas. Idéal pour une balade d'une heure de chaque côté de la faille, avec pour principale faune les joggers du dimanche matin.
Puis je prends le volant et je descends l'estuaire de la Tamar. Je fais une petite visite de vignoble et je déjeune dans un restau avec une vue charmante.
L'après-midi, je vais visiter une jolie demeure coloniale à Clarendon, dans le style Scarlett O'Hara.
Puis je pars vers l'Ouest pour Cradle Mountain. Quatre heures de route sous une lumière incroyable.
Tempête de neige au Cradle Mountain National Park
J'arrive en fin d'après-midi. La lumière a des reflets apocalyptiques sur le paysage parfois désolé.
Je passe au Visitor center par acquit de conscience; ils prévoient un temps pourri pour le lendemain. Ils me donnent un plan avec les randos du coin. Il y a bien sûr l'Overland track, qui part de là et continue pendant cinq jours de marche. Il y a aussi une série de randos dans les alentours, sur dix ou vingt kilomètres. Les rangers, eux, me conseillent de me limiter au tour d'un petit lac près de l'entrée, soit une heure de balade...
J'ai réservé une petite cabane vers l'entrée du parc; c'est tout à fait charmant, très trappeur canadien. Je me gare devant et je m'installe. C'est très cosy: quatre lits superposés, une petite cuisine, de l'ordre de 90$ par nuit. Vraiment idéal. Je me fais des spaghetti à la bolognaise.
Après le dîner le froid tombe; je me mets à lire collé au radiateur. La nuit est glaciale et je tremble. Je finis par poser mon matelas par terre près du radiateur, je m'enfourne tout habillé dans mon sac de couchage premier prix acheté à Hobart, et je rajoute par dessus mon manteau. Je me réchauffe peu à peu et je m'endors.
Le lendemain matin le temps est épouvantable. Il tombe une sorte de grêle fine qui blesse le visage et les mains. Je me gare au parking de l'entrée et je pars quand même. Il y a un grand lac (Cradle Lake) non loin de l'entrée, avec des berges bien abruptes; Cradle Moutain - qu'on ne voit pas bien sûr - est de l'autre côté. C'est de ce petit lac que les rangers la veille m'ont conseillé de me borner à faire le tour, puis d'aller coucher mémé. Je commence comme ça.
Arrivé de l'autre côté, plutôt que de boucler le tour, je prends un chemin qui monte à flanc de berge. On n'y voit toujours goutte; le chemin est bien glissant quand il n'est pas couvert de plaques de neige.
Quand j'arrive sur un plateau ma chance tourne: je suis au-dessus de la première couche de nuages. A partir de là, le temps commence à se lever et à révéler un alliage de montagnes abruptes, de forêts aux couleurs vives, et de terres couvertes de givre. Souvent des planches de bois marquent le chemin, dans un silence irréaliste.
Je marche plus ou moins la moitié du premier jour de l'Overland Track avant de rebrousser chemin.
La tête pleine de ces image, je reprends la voiture et commence un long trajet vers le Sud-Est. Je retraverse la Tasmanie, dans sa diagonale, jusqu'à Hobart et un peu au-delà jusqu'à la péninsule de Tasman. Il doit être 22h lorsque je débarque dans un bed&breakfast, tenu par un couple de retraités charmants. C'est une heure indécente, mais ils m'offrent quand même des pommes du jardin. Je me fais des spaghetti, je mange des pommes, et au lit.
Vertige sur les falaises de la péninsule de Tasman
C'est mon cinquième et dernier jour pour visiter la Tasmanie, et après les plages de l'Est, les vignobles du Nord et les montagnes de l'Ouest, je veux randonner sur les falaises du Sud. Il n'y a pas vraiment d'itinéraire imposé, je me concocte un petit trajet de quelques heures qui longe les falaises. Le site est tranquille, ensoleillé, spectaculaire.
Le soir je rentre à Hobart, je m'installe à l'hôtel, je retrouve la délégation. Au travail pour la conférence du lendemain.
Bonus: Un dimanche décadent à Hobart
Après ma petite conférence, il me restait un dimanche sur place. Rétrospectivement je l'ai bien employé. Je commence par un tour au sympathique marché; rien de particulier mais de l'animation.
Puis je visite le Museum of Old and New Art ( https://mona.net.au).
On peut y aller en hélicoptère si on est riche. Ou, pour les pauvres, en hydroglisseur. Quelques moutons sculptés accompagnent le passager.
Si vous voulez voir une machine qui transforme de la nourriture en excréments ( Cloaca pour les spécialistes), l'effet d'un pic à glace sur le cuir chevelu, les restes d'un attentat-suicide moulés en chocolat, et faire une pause dans un bar à spiritueux, c'est ici.
C'est décadent.
C'est génial.
Informations pratiques sur la Tasmanie
Points généraux:
- Les restaurants et auberges de jeunesse ferment tôt (parfois 19h...); il faut prévoir en conséquence
- Le poisson est souvent pané et frit (même quand il est bon); profitez-en quand il ne l'est pas!
- Les distances sont courtes, mais le circuit du tour de l'île fait quand même de l'ordre de 1000km.
- J'ai dû faire une sélection, et j'ai donc laissé de côté des endroits qui avaient l'air beaux: Maria's Island sur la côté Est (1 jour), les plages du Nord-Est (1 jour aussi), et bien sûr l'Overland Track (5 jours, à réserver)
Hobart:
- Hotel: Astor Hotel (près du port, très correct)
- Restaurants: Fish&ships dans une cahute du port
- Pour les achats de matériels de camping: Elisabeth St.
- Certains jours (dont le dimanche), un marché sympa
- Le plus intéressant à voir (en plus du port à l'atmosphère sympathique) est son musée d'art moderne complètement barré, le Museum of Old and New Art - en hélico si vous êtes riches, et sinon en hydroglisseur!
Freycinet National Park:
- Hotel: Coles Bay Youth Hostel
- Dîner au restaurant Edge of the Bay (plutôt classe et bon)
- Randonnée: Compter 15km aller en terrain plat sans difficulté pour aller par l'itinéraire le plus court jusqu'à la pointe Sud de la péninsule; une cabane permet (ou permettait) d'y passer la nuit
- Sans aller jusqu'au bout, en deux heures de marches on peut faire un tour à de jolis panoramas, dont la belle plage de Wineglass Bay
Zone de Launceston
- Petite ville tranquille; peu de choix d'hébergement et de restauration
- Possibilités de balades à Cataract Gorge (une faille en centre-ville) et le long de la rivière Tamar
- Plusieurs vignobles dans la région, qui se visitent et où l'on peut déguster
- Plantation coloniale à Clarendon
Cradle Mountain National Park
- Louer une cabane pour 90$ (on peut y dormir à 4); il faut prévoir des provisions
- Point de départ de l'Overland Track (5 jours, à réserver bien à l'avance), mais plusieurs circuits permettent de marcher la journée
- Les paysages incroyables que j'aie vus en Tasmanie
Péninsule de Tasman
- Falaises de 300 mètres. Tout est dit 🙂