Ljubljana était bien le dernier endroit où je m'attendais à trouver des bâtiments art nouveau. L'art nouveau et moi, c'est une longue histoire d'amour : c'est indéniablement mon courant architectural préféré, que je traque dans tous les endroits où je vais. Il a même été en partie la raison pour laquelle j'ai déménagé à Vienne, c'est dire l'importance qu'il a dans ma vie ! Sans trop y croire, j'ai cherché si on en trouvait à Ljubljana... et la réponse est : oui. Plein ! Mieux : sans le savoir, j'avais réservé mon hôtel dans LA rue de l'art nouveau : autant dire que j'ai vu ça comme un signe. Il n'en fallait pas plus pour me créer sur mesure un circuit art nouveau dans le centre-ville et partir à sa découverte.
Le courant art nouveau slovène s'appelle "Secesija". Vous lui trouvez un air de ressemblance avec la Sécession viennoise ? Rien de plus normal : les architectes ayant participé à la rénovation et au réaménagement de Ljubljana après le tremblement de terre de 1895 ont pour beaucoup été formés à Vienne, comme Maks Fabiani, qui fut l'un des collègues d'Otto Wagner. Rappelons qu'à l'époque, Ljubljana fait partie de l'empire austro-hongrois, cela n'a donc rien de surprenant. On doit cette impulsion au maire de l'époque, Ivan Hribar. Si les premiers travaux commencèrent dès 1896, c'est durant la première décennie du XXe siècle que le courant fut le plus prolifique.
Miklošičeva cesta
Miklošičeva cesta, qui relie la gare à la place Prešernov, est LA rue immanquable quand on se met en quête des bâtiments art nouveau dans Ljubljana. Cette large artère, nommée d'après Franc Miklošič, philologue slovène, a été percée après le tremblement de terre. Si la partie proche de la gare ne possède guère d'intérêt, cela change au niveau du parc Miklošič, que l'on doit à Maks Fabiani.
Le parc Miklošič
On retrouve ici la plus forte concentration de bâtiments art nouveau. Tout autour de place et dans les rues adjacentes se dressent des immeubles particuliers aux caractéristiques facilement reconnaissables : lignes courbes sur les façades, motifs floraux et figures féminines, fer forgé ouvragé au niveau des balcons... Sur la place en elle-même, la particularité se trouve du côté des tourelles à l'angle des maisons marquant chaque coin. Il ne faut pas hésiter à flâner dans les alentours pour se laisser surprendre car à Ljubljana l'art nouveau se fait souvent discret.
La
maison Krisper (Miklošičeva cesta 20) fut commissionnée pour Valentin Krisper, conseiller à la commune, à
Maks Fabiani, entre 1900 et 1901. On retrouve de délicates arabesques en frise au niveau de la deuxième rangée de fenêtres et des pastilles de couleur pastel faisant penser à des boutons de fleur. Il est le plus vieux immeuble d'habitation sur la place.Juste à côté, la
maison Regalli (Miklošičeva cesta 18) offre elle un visage tout à fait différent, avec une façade bicolore jaune et verte, avec une plus grande profusion de motifs géométriques (carrés et demi-cercle) notamment autour des fenêtres. Des lignes courbes font leur apparition au niveau de l'avant-toit tandis que la tourelle est encadrée de motifs végétaux.
C'est de l'autre côté de la place que l'on trouve des réalisations plus foisonnantes, avec notamment deux maisons que l'on doit à Ciril Metod Koch : la première, la
maison Pogacnik (Cigaletova ulica 1), est facilement reconnaissable avec sa façade verte et sa porte d'entrée surmontée d'une sculpture de femme écartant les bras. Mais celle qui m'a le plus impressionnée est la
maison Cuden (Cigaletova ulica 3) juste à côté, faisant l'angle avec la rue Tavčarjeva. Façade immaculée où s'affichent quelques points d'or, balcon ouvragé et surtout une imposante tourelle mélangeant les formes géométriques (base rectangulaire, cylindre, plateau carré surmonté d'un globe). Sur une place où les bâtiments sont majoritairement colorés, elle attire tout de suite l’œil avec sa fausse sobriété.
Juste en face, un autre très beau bâtiment vert clair à la façade ornementée.De l'autre côté du pâté de maisons se trouve la
maison Hribar (Tavčarjeva ulica 2), commissionnée par le maire à
Maks Fabiani. La particularité de cette maison, outre sa façade qui apparaît comme carrelée, se trouve dans les ondulations qui lui donnent une impression de vague. Une illusion de mouvement assez rare dans les réalisations art nouveau et qui s'apprécie particulièrement en restant sur le trottoir qui la longe. Des têtes de lion surmontent chaque fenêtre à encorbellement. Pour terminer le carré et revenir au niveau de la place, ne manquez pas la maison au n° 3 de la Dalmatinova ulica et sa superbe façade recouverte de carreaux turquoise.
Bâtiment de la Ljudska posojilnica (Crédit populaire)
En s'engageant de nouveau dans la Miklošičeva cesta, on peut apprécier deux, sinon des plus originales, du moins des plus imposantes réalisations art nouveau de la ville. Outre les hôtels particuliers, des infrastructures célébrant la prospérité économique de Ljubljana ont également bénéficié de cet élan pour l'art nouveau à l'heure de la reconstruction. Le
bâtiment du Crédit populaire (Miklošičeva cesta 4), construit en 1907 sur les plans du Tchèque Josip Vancaš, offre une façade foisonnante dans la plus pure tradition de la Sécession (comment ne pas penser à Otto Wagner en voyant l'agencement des carreaux ?). Façade immaculée, profusion de motifs fleuris, nombreuses sculptures de personnages féminins, couleur bleu tirant sur le turquoise... Grandiose.
L'hôtel Union
Juste en face, cédant en foisonnement ce qu'il gagne en surface, l'
hôtel Union (Miklošičeva cesta 1) étale sa façade blanche sur près d'une centaine de mètres, délicatement décorée, encore une fois, de motifs floraux (qui changent à chaque niveau) et de figures féminines. Ouvert en 1905, on le doit également à Josip Vancaš : premier hôtel moderne, il était également à l'époque l'un des plus grands bâtiments de Ljubljana. À l'angle des deux ailes, un imposant dôme surplombe la rue. En longeant sa façade, on a un petit aperçu de son hall et de son café ; l'hôtel a gardé son mobilier et sa décoration art nouveau.
Place Prešernov
La rue Miklošičeva donne sur la place Prešernov, l'une des plus connues de Ljubljana, avec notamment l'église franciscaine qui élève sa façade rose chatoyante. Ne vous laissez pas distraire par la vue sur le château : sur cette place ronde au bout de laquelle se trouve le tout aussi célèbre Triple Pont, deux bâtiments art nouveau, et non des moindres, sont à admirer.
La maison Urbanc (Galerie Emporium)
Au bout de la
Miklošičeva cesta, la
maison Urbanc (Prešernov trg 5), du nom du commerçant Felkis Urbanc, fut le premier grand magasin de Ljubljana. S'inspirant des grands magasins européens de l'époque, il ouvrit ses portes en 1903 et fut réalisé par Friderich Sigmund, un architecte originaire de Graz. Au-dessus de l'entrée, une très belle marquise en fer forgé rappelle les pétales d'une fleur ouverte ; sur le toit, une statue de Mercure, dieu du commerce, semble garder le lieu. Mais le plus impressionnant reste à découvrir à l'intérieur, dès l'entrée : un superbe escalier à double révolution, avec balustrade en fer forgé et imposante statue féminine. Le reste du magasin n'a malheureusement conservé que très peu de sa décoration originale.
La maison Hauptmann
À l'autre bout de la place, la
maison Hauptmann (Prešernov trg 1) est immanquable avec sa façade dans les tons de vert et rouge. Construit en 1873, le bâtiment avait survécu au tremblement de terre sans grands dommages mais son nouveau propriétaire, le commerçant Hauptmann, décida néanmoins de le rénover. Le décor actuel de carreaux de céramique multicolore est signé Ciril Koch, et fut fortement influencé par la Sécession. Suivant l'heure de la journée et la position du soleil, les carreaux renvoient des couleurs allant du pastel au vert le plus franc.
Bâtiment de la Mestna hranilnica ljubljanska (Caisse d'épargne municipale)
Juste à côté de la place Prešernov, au début de la rue Čopova, se trouve le
bâtiment de la Caisse d'épargne municipale (Čopova ulica 3), l'un des premiers travaux de Vancaš (1903-1904). Elle fut la première institution financière slovène et montre bien l'appropriation du courant art nouveau pour célébrer l'esprit nationaliste qui souffle alors sur Ljubljana. Sa marquise rappelle immanquablement celle de la maison Urbanc, en plus modeste ; mais c'est surtout pour son enseigne, l'une des rares encore de style art nouveau, que le bâtiment vaut le détour. Dans la même rue, au n° 38, la façade de la pension Trésor reprend également des éléments qui méritent de lever les yeux.
Le long de la Ljubljanica
Le pont des Dragons
En longeant la Ljubljanica vers l'est, on finit par tomber sur le
pont des Dragons, la toute première réalisation véritablement art nouveau de la ville. Ne vous fiez pas aux dates qui y sont inscrites, célébrant le jubilé de l'empereur Franz-Joseph : il fut inauguré en 1901 et était à l'époque l'un des plus grands du genre en Europe. Preuve des liens étroits entre l'art nouveau slovène et viennois, il fut entièrement construit à Vienne, jusqu'aux quatre dragons ornant chaque côté du pont. Si la structure est due à l'ingénieur Josef Melan, on doit son aspect à Jurij Zaninovic, élève d'Otto Wagner. Pour l'anecdote, ce fut la première construction en béton armé de la ville, préféré à la pierre en raison des coûts bien moins élevés.
En remontant vers le cœur médiéval
En remontant dans la rue principale du cœur médiéval de Ljubljana, parallèle au fleuve, on trouve quelques éléments, si ce n'est purement art nouveau, qui rappellent le genre. L'un d'eux se situe au niveau d'une très moderne façade noire, l'
ancien supermarché Miklavc (Mestni trg 23). Tout en haut, sous les toits, on retrouve une corniche dorée au style proche art nouveau (il faut avoir de bons yeux !).
Le théâtre national slovène
De facture plus classique, limite austère après la débauche de motifs précédemment vus, le
théâtre national slovène (Erjavčeva cesta 1), ancien théâtre Deutsches (car alors construit pour et utilisé par la population allemande de Ljubljana), que l'on doit à l'architecte viennois Alexander Graf vient conclure cette promenade. Le vert de la façade n'est pas des plus heureux (question de goût personnel) mais on trouve quelques motifs art nouveau qui peuvent valoir un détour si vous êtes dans le coin. Enfin, en poussant un peu plus loin (Slovenska cesta 11), vous pourrez également admirer la façade d'un grand bâtiment, malheureusement peu entretenu, qui a la particularité de proposer des mosaïques dans les tons noir, blanc et or.
Pour préparer au mieux votre balade art nouveau, voici une carte avec les principaux bâtiments cités dans cet article :
À noter : la ville de Ljubljana propose un circuit art nouveau.