J’ai tellement de raisons d’être en colère que je ne sais plus laquelle choisir. Je ne veux pas vous assommer encore avec le Brexit, mais je n’en sors plus. Dans l’indifférence générale, la Grande Bretagne s’enfonce dans le pire des populismes, et détruit toute son économie au passage, mais c’est pas grave. En fait, je ne suis même plus en colère, je suis écœurée, malade, j’ai des nausées. Vraiment. Tellement que j’hésite à écrire, et pas juste aujourd’hui, à quoi bon et pour dire quoi?
Quand j’ai commencé ce blog, c’était pour aider ceux qui voulaient s’installer ici. J’ai passé presque trois ans à chanter les louanges de ce pays que je considérais comme le mien. C’est fini. J’ai reçu des e-mails, j’ai répondu avec enthousiasme, en essayant de rassurer et d’encourager ceux qui étaient tentés de venir. C’est fini. Pour en revenir au titre, si aujourdhui quelqu’un me demande should I stay or should I go to Great Britain, est-ce que je reste chez moi ou est-ce que je vais en Grande Bretagne, je réponds : ne venez surtout pas. J’ai beau avoir un sens de l’exagération démesuré, un goût théâtral pour le drame et une parano galopante, je ne pense pas que les étrangers vont tous être expulsés manu militari comme on peut le lire sur les réseaux sociaux, ni qu’on nous fasse porter une étoile jaune. En même temps, quand la première ministre et la ministre de l’intérieur puisent directement l’inspiration de leurs discours dans mein kampf, on peut comprendre que ça déclenche une certaine hystérie. Non je ne crois pas que ces sombres fascistes mettent toutes leurs menaces à execution, pas parce qu’il leur resterait un soupçon de décence non, mais parce qu’ils n’en ont pas les moyens. En arrivant par hasard et sans avoir été élue au pouvoir, Theresa May au mépris des engagements pris par le gouvernement précédent auquel elle appartenait, a dénoncé les accords pour construire une centrale nucléaire, accords passés avec de sales étrangers en l’occurrence les français d’EDF et des investisseurs chinois. Pas de ça ici, la Grande Bretagne pour les britanniques, on ne va pas se laisser envahir par des étrangers et la presse d’acclaimer. Sauf que quelques semaines plus tard, en catimini cette fois, elle a gentiment signé un accord identique à celui qu’elle avait rejeté avec tambours et trompettes. Parce que les français avec leur savoir technologique qui n’existe pas ici et les Chinois avec leurs millions lui ont dit de le faire. Depuis trois mois à chaque fois que ces illuminés xénophobes du gouvernement annoncent quelque chose, poliment mais fermement, l’Union Européenne, l’Allemagne, la France, la Belgique, l’Italie, les Pays Bas, et même Malte mais aussi l’OMC (organisation mondiale du commerce) les États Unis, l’Australie et j’en passe, disent non. Non et encore non. Toujours non. Les britanniques n’ont rien, aucun pouvoir de négociation, alors ils partent gaillardement dans le mur et vont s’écraser, dans tous les sens du terme. Ils n’ont pas les moyens de leur racisme. Bref, notre situation n’est pas dramatiquement menacée, au moins à moyen terme. Pas de quoi s’énerver. Restons calmes.
Sauf que je ne peux pas rester calme. Comment rester calme quand le premier ministre d’un pays qui se dit démocratique décide de se passer du parlement au mépris de la loi? Quand elle dit autoriser les docteurs étrangers à rester jusqu’en 2025? Quand on fiche les écoliers par nationalité et lieu de naissance? Quand on veut demander aux entreprises de déclarer leurs salariés étrangers pour leur faire honte de ne pas employer que des britanniques? Quand la pire propagande d’extrême droite devient le discours officiel d’un gouvernement? Évidemment, ils rétropédalent comme des fous après pas mal de leurs annonces, mais le mal est fait. Comment peut-on rester calme quand le pays où l’on vit sombre dans le fascisme, le racisme d’état? Rien que leurs mots sont de trop. Comment rester calme quand mon fils me dit : je ne savais pas qu’on vit en Allemagne nazi en 1933? On exagère? On franchit le point Godwin? C’est eux qui ont commencé! Et ne venez pas me parler d’immigration illégale et de ‘toute la misère du monde’ et bla-bla-bla. Ceux qui sont visés pas le gouvernement britannique sont ici tout à fait légalement, depuis 10 ans, 20 ans ou plus, travaillent, paient des impôts, contribuent à une société dans laquelle ils se sont totalement intégrés. Certains sont mariés à des britanniques, ont des enfants britanniques. Alors, ce ne sont que des effets d’annonce vite rétractés pour certains, que des mots pas toujours suivis des faits, mais croyez-moi, ça fait mal quand même, très mal. Ça fait mal aussi aux millions de britanniques abasourdis qui ont honte de leur pays. Je n’ai aucune illusion, ça peut être pareil ailleurs bientôt, en Hongrie, en France, en Allemagne, aux États Unis…partout l’intolérance, la xénophobie et le repli sur soi triomphent. Tout ce en quoi je crois, tout ce sur quoi j’ai bâti ma vie, tout ce que j’essaie de transmettre à mes enfants est attaqué, piétiné, détruit. La tolérance, la curiosité, l’ouverture aux autres, c’est fini. Qu’est-ce que ma génération a raté pour qu’on en arrive là? J’avais 17 ans quand le mur de Berlin est tombé. J’ai cru à un formidable élan de liberté, de tolérance et d’ouverture…qu’est-ce que je dis à mon fils qui a presque cet âge aujourdhui? Qu’il ne faut pas bouger, rester enfermer à l’endroit où il est né par hasard parce que partout on construit des murs, des barrières et des haines? Bon sang, mais relisez les livres d’histoire! S’ouvrir aux autres n’a jamais provoqué de désastre. Le fascisme et l’intolérance par contre…
Non, on ne va pas nous mettre dehors, non, nos conditions de vie ne changent pas en apparence du moins et pour le moment. Mais aujourd’hui , à l’encontre de tout ce auquel je crois, je dirais de rester chez soi. Et ça me rend malade d’en arriver là. Theresa May et ses sbires seront peut être balayés avant d’avoir fait trop de mal à leur pays. Mais c’est trop tard. L’intolérance a gagné. J’ai perdu. Je ne sais pas si je vais continuer ce blog encore longtemps, il n’a plus de raison d’être. Je ne veux plus encourager qui que ce soit à venir ici, et je n’ai pas perdu que mes illusions. Je crois que mon sens de l’humour est parti avec.