J’avoue que jusqu’à il y a un mois, jusqu’au Brexit, je ne me disais pas tous les matins au petit dej que j’étais une migrante. J’en parle parfois ici, quand je m’épanche sur l’image qu’ont les expats, ou émigrés vus de France. Mais ça ne bouleversait pas ma vie de tous les jours. Parce que justement je ne me définis pas par rapport à l’endroit d’où je viens. Je suis étrangère je sais, mais je n’y pense pas, ça n’a strictement aucune influence sur ma vie quotidienne. Je suis stressée, râleuse, gourmande, j’ai une famille, une vie, des amis, des hobbies, être étrangère ne change rien à qui je suis…et puis il y a eu le Brexit. Quand 17 millions de connards vous traitent de sale migrante, forcément ça fait réfléchir (Je vous conseille aussi deux excellents billets de madame Gaou– qui vit au Canada-sur la qualité de vie d’un étranger vu par son pays d’accueil et sur la vie d’expats en couple). Bref, d’un coup d’un seul, je n’ai plus le choix, je suis une étrangère, et je ne peux plus y échapper. Ça fait bizarre.
Vous allez me dire, je suis lente à comprendre! 20 ans d’expatriation, il était temps que je me rende compte que je ne suis pas d’ici. Mais j’ai strictement la même vie que mes voisins. Certains sont nés ici et n’ont jamais bougé, d’autres viennent de Londres, du Norfolk, de Manchester ou même d’Écosse. Il se trouve qu’on vient de France, c’est tout. Je ne vois pas la différence. Pendant 20 ans, les seuls à me rappeler mon statut d’étrangère, c’était certains français de France quand ils s’en prenaient aux expats. Ils sont d’ailleurs ravis aujourd’hui de me rire au nez, ahaha, bien fait pour vous, on espère bien que ces sales anglais vont vous flanquer dehors et que vous rentrerez en France tout penauds, ça vous apprendra à vouloir aller voir ailleurs. Ah. Déjà, si on part un jour ce ne sera pas pour « rentrer en France » pour vous permettre d’exulter, parce que justement on essaie plutôt de fuir ce genre de discours, d’une bêtise et d’une intolérance crasses. On est d’origine française d’accord, mais on est parti depuis si longtemps qu’on ne peut plus se sentir 100% Français. On ne connait plus la France, c’est un pays étranger pour nous. Je sais que c’est difficile à comprendre quand on n’a jamais bougé, (ce n’est pas une critique, chacun sa vie), mais on en sait autant sur la vie en France d’aujourd’hui que ces gens qui nous en veulent d’être partis en connaissent sur l’Angleterre. Il y a deux ans je me demandais ici même si nous étions toujours Français et la réponse était clairement non, plus tout à fait. Ça n’a pas changé.
Mais depuis un mois, on est donc devenu malgré nous des migrants, sans bouger! C’est notre pays d’accueil qui nous le dit, alors qu’on n’avait rien demandé, et qui se targue de décider de notre avenir pour nous. Soyons clairs, je deteste qu’on me dise ce que je dois faire, et Marichéri est encore pire que moi. Ça ne va pas le faire. Et alors que je n’envisageais absolument pas de quitter l’Angleterre (en tout cas, pas avant un paquet d’années, j’ai quand même la bougeotte) je n’ai plus envie d’y rester pour toujours. Pour de bêtes raisons pratiques, on sait bien qu’on ne va pas partir avant longtemps, mais notre état d’esprit a changé. Alors qu’on était installé, aujourdhui on se sent de passage même si le passage doit durer de très longues années. Bref, l’Angleterre n’est plus tout à fait chez nous non plus… Du coup question existentielle angoissante, c’est où chez nous si ce n’est ni en France ni où l’on habite ? J’aime la France, c’est le pays de mes parents, de mon enfance, de mes racines, et je ne parle même pas du fromage! J’aime l’Irlande aussi. C’est le pays où l’on s’est marié, où l’on est devenu adulte, où sont nés trois de nos enfants. J’adore l’humour irlandais, le craic, la culture, je m’y suis sentie très bien pendant 10 ans, et ça fera toujours parti de moi. Mais j’aime encore l’Angleterre aussi, son excentricité, sa liberté qu’elle finira bien par retrouver, son insolence…Ça n’aide pas tout ça, pour trouver un chez soi.
Ma toute première expérience d’expatriation, c’était au Mexique, avant de rencontrer Marichéri. J’ai été profondement malheureuse au début, je comptais les jours avant mon retour en France, je pleurais tous les soirs. Et puis un jour, j’en ai eu marre de me morfondre et j’ai décidé de profiter. J’avais la chance de travailler pour une administration mexicaine, mes collègues un chouïa chauvins rêvaient de montrer leur pays, leur vie à la petite française paumée. J’ai plongé dedans, et j’ai prolongé mon visa. Je garde une profonde tendresse pour le Mexique, sa culture et son histoire extraordinaires (et sa cuisine!)…bref, depuis, j’ai appris à apprécier tous les pays où je suis passée et j’ai envie que ça continue. Mais ça n’en fait pas des chez moi. J’ai cru que c’était ici, je me suis trompée. Évidemment, aujourdhui je suis en colère après l’Angleterre. Et je me dis que si il a suffit d’un vote aussi débile et sectaire soit-il pour me faire reconsidérer ma vie, c’est que je n’étais peut-être pas aussi attachée que je le croyais à ce pays. Est-ce que ça veut dire que finalement je n’ai pas de chez moi? Est-ce que c’est grave? Est-ce qu’on a forcément besoin d’être rattaché quelque part? Ce ne sont pas des questions rhétoriques, je m’interroge vraiment!
Je crois que je suis une migrante chronique. J’ai des attaches multiples et qui s’entassent au fur et à mesure, mais pas de chez moi physique, pas d’endroit où je voudrais « retourner ». Je veux toujours aller voir ailleurs, pas en pensant que ce sera mieux, mais juste parce que ça existe, et que c’est différent. Mon chez moi, c’est n’importe où du moment que c’est avec Marichéri et mes enfants. Et encore, on leur a transmis le virus. Pas facile non plus d’être nationaliste quand on grandit entre trois pays qui ont passé des siècles à se faire la guerre entre eux d’ailleurs. L’Ado veut s’intaller en Espagne ou en Italie. Ou peut être en Argentine. Ou ailleurs… GeekAdo est formel, il vivra en Suisse. Ou aux Etats-Unis. Ou ailleurs… J’espère qu’ils le pourront, que leurs passeports (ils ont la double nationalité) seront des outils pour migrer, pas un blocage, une condamnation à rester dans le pays émetteur. Tant pis si ils n’ont pas de chez eux non plus, du moment qu’ils ont de la curiosité. Et ils pourront toujours « rentrer » chez papa et maman, quelque soit le coin du monde où l’on sera! Mon chez moi, ce sont ceux que j’aime, pas un pays.