Wintris : volet islandais des Panama Papers
Dans la chronique de février j’ai consacré un long développement aux Pirates, manifestement embarrassés par un succès inattendu, au point de laisser entendre quelques craquements… Mais tout se passe comme si les dirigeants des autres partis, surtout mais pas seulement ceux au pouvoir, voulaient les aider !
© dv.is / Róbert ReynissonMars 2016 tient entièrement en un mot « Wintris » qui n’a pas plus de sens en islandais qu’en toute autre langue, sauf celle des banquiers. Il s’agit d’un fond de 1.2 milliard d’Ikr (8.35 millions d’euros) domicilié dans l’une des Îles Vierges, et appartenant à Anna Sigurlaug Pálsdóttir, épouse de Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, Premier Ministre .
Que l’épouse du Premier Ministre soit une riche héritière, fille de l’ancien propriétaire de la concession Toyota en Islande, est bien connu en Islande puisqu‘elle apparaît régulièrement au palmarès annuel des principaux contribuables, comme on sait que la famille du Premier Ministre est elle-même très aisée. Personne n’y trouve à redire ; en Islande il n’est pas malséant d’être riche…
Pourtant deux questions sont posées :
- pourquoi Sigmundur Davíð n’a-t-il pas fait état de ce fond dans la déclaration de ressources qu’il devait faire lorsqu’il a été élu à l’Alþingi en 2009 ?
- comment ce pourfendeur de l’euro a-t-il pu laisser son épouse déposer ses économies dans un fond en euros ?
De plus, s’agissant d’un fond géré avant la crise par Landsbanki, certains évoquent un possible conflit d’intérêt au moment où sont en cours les négociations entre l’Etat et les liquidateurs des anciennes banques pour aboutir à la levée du contrôle des changes.
Pendant un temps, Sigmundur Davíð reste impavide face à des attaques de plus en plus violentes. Le sommet est atteint dans une longue lettre ouverte de Kári Stefánsson, le créateur de Decode et promoteur de la pétition en faveur de l’accroissement des dépenses de santé. Mesquinerie du propos et ton « leçons à un jeune ambitieux » en gênent beaucoup dans un pays pourtant habitué aux polémiques.
Le couple fait ensuite feu de tous bois, ensemble ou séparément :
- rien n’obligeait Sigmundur Davíð à déclarer une ressource qui n’est pas la sienne, d’autant qu’en 2009 Anna Sigurlaug et lui étaient concubins,
- les gains de Anna Sigurlaug sont régulièrement imposés en Islande,
- l’euro ? « Anna Sigurlaug et moi avons pensé qu’il n’était pas heureux que la femme du Premier Ministre fasse des investissements en Islande ou profite du dispositif mis en place par la Banque Centrale pour le rapatriement de fonds investis à l’étranger ».
Rien d’illégal apparemment, mais une grosse faute politique. L’opposition évoque l’idée d’un vote de défiance à l’égard du Premier Ministre, voire une dissolution du parlement. Les dirigeants de la majorité sont partagés, même au sein du Parti du Progrès que Sigmundur Davíð préside. A ce jour aucune décision n’a été prise. Il y a deux freins :
- à qui profiterait une crise politique ? Hormis les Pirates, les partis de l’opposition sont au plus bas comme l’est le Parti du Progrès,
- plusieurs dirigeants du Parti de l’Indépendance et de l’Alliance Social-démocrate sont mal à l’aise car la liste HSBC des comptes en Suisse que détient l’administration fiscalecommence à « fuiter ». Vilhjálmur Þorsteinsson, Trésorier de l’Alliance, démissionne ; Bjarni Benediktsson et Ólöf Nordal, respectivement Président et Vice-Présidente du Parti de l’Indépendance et les plus importants ministres du gouvernement, doivent prendre les devants. Bjarni a certes acheté voici plus de 10 ans des parts dans un fond luxembourgeois mais il ignorait que ce fond avait ensuite été transféré aux Seychelles ; « peut-être aurais je du être plus vigilant » convient-il. Pour sa part Ólöf explique qu’il s’agit d’investissements de son mari, un des plus importants dirigeants d’Alcoa.
Bryndís Kristjánsdóttir, chef du service des contrôles fiscaux, demande la levée du secret sur les listes HSBC afin de pouvoir lancer des enquêtes. A suivre…
Il n’y a pas à ce jour de sondages pouvant donner des indications sur l’impact de ce qui précède, mais ce déballage – ne craignons pas le mot !- tombe à un moment où les partis au pouvoir semblaient reprendre un peu du terrain perdu depuis les dernières élections, peut-être à la suite des débats au sein du parti Pirates.
Election présidentielle
Mettons un peu de sourires dans cette actualité : ceux des 10 candidats, devenus 12, à l’élection présidentielle, tous quasi-inconnus, ce qui commence à faire réfléchir à la nature de cette fonction… Quel sens cela aura-t-il si l’un d’eux est élu, et avec moins de 20% des suffrages ?
© Samsett mynd / DVAprès la défection de Katrín Jakobsdóttir, on attend maintenant Össur et Þorgerður Katrín, tous deux anciens ministres, et peut-être Davíð Oddsson, ancien Premier Ministre !
Situation économique
Résultats et perspectives restent toujours aussi enviables. Ainsi le PNB aura progressé de 4% en 2015, tiré par la consommation des ménages (+4.58%) et l’investissement (+18.6%). Il est maintenant à 5% au-dessus de son niveau de 2008.
Commerce extérieur
Le solde négatif des échanges de biens est confirmé, soit 35.5 milliards d’Ikr. Il est comme prévu plus que compensé par les services : +190.7 milliards d’Ikr (130.4 en 2014).
La place du tourisme
Le tourisme a incontestablement une part importante dans ces résultats. Íslandsbanki publie fin février une étudedont j’extrais quelques statistiques :
- 1.6 million de visiteurs attendus en 2016, soit une progression de 29%,
- et une contribution de 428 milliards Ikr aux exportations ( 34% de celles-ci),
- 1 emploi sur 5 créé entre 2010 et 2015 l’a été dans le tourisme,
- il y aura 290 nouvelles chambres (+5.8%) en 2016, soit beaucoup moins que ce qui serait nécessaire,
- la flotte des voitures de location est passée de 2.8% en 2006 à 6.8% du parc automobile
- 22.000 nuits ont été vendues par Airbnb en octobre 2015, soit 225% de plus qu’en octobre 2014,
- l’éruption de Eyjafjallajökull (mars/avril 2010) a fait tomber de 17.6% le nombre de touristes…
Impressionnant, même si une étude conduite par des spécialistes hollandais a montré une très nette surestimation des apports de l’activité : difficultés à distinguer les touristes locaux, à apprécier la durée des séjours, la consommation sur place, etc…
Ces statistiques en montrent aussi la vulnérabilité. Une éruption volcanique un peu plus « dramatique » que les dernières fera oublier à beaucoup la posture « aventurier » volontiers adoptée par eux. De plus faute d’une offre en ligne avec la demande les prix augmentent très vite, faisant de Reykjavík une des villes les plus chères d’Europe, après Stockholm mais avant Oslo, où Paris est à la 12ème place. Un frein pour le tourisme, mais surtout des effets pervers pour les habitants de la ville, notamment les étudiants, qui doivent subir la concurrence de Airbnb.
© E. EymardL’étalement sur l’année, qui permet de mieux rentabiliser les investissements, paraît, grâce aux aurores boréales, réussi. Par contre l’étalement dans l’espace l’est moins ; faute de temps – les séjours dépassent rarement 8 jours – et de curiosité, les visiteurs font tous le même circuit sur la côte sud, alors que des retombées en termes d’aménagement du territoire seraient très bénéfiques pour l’île.
Certains s’inquiètent, comparant l’emballement actuel à celui précédant la crise de 2008. La situation actuelle est très différente mais appelle une réflexion sur le long terme qui manque cruellement, comme elle a manqué dès 2006.
L’élevage
Un accord très important a été signé entre le Ministère de l’Agriculture et le syndicat des éleveurs, qui apporte à ces derniers des subventions complémentaires significatives. Mais il est très critiqué, tant du Parti de l’Indépendance qui y voit un objectif électoraliste du Parti du Progrès, longtemps parti agrarien, que de la Fédération des Employés (ASÍ), aussi contribuables. Les éleveurs eux-mêmes sont partagés sur ce texte. Avant d’être mis en application, il doit être approuvé par l’Alþingi, ce qui n’est pas assuré. J’y reviendrai à cette occasion.
Relations internationales
Le 17 mars Gunnar Bragi Sveinsson, Ministre des Affaires Etrangères, a présenté à l’Alþingi son rapport annuel. Principaux thèmes :
- la défense de l’île et la coopération avec les Etats-Unis,
- l’importance des relations au sein de l’AELE pour ce quI concerne la négociation d’accords commerciaux avec notamment l’Asie et l’Amérique du Sud. Où l’on doit comprendre que pour être crédible l’Islande doit très vite rattraper le retard accumulé pour ce qui concerne la transcription des règlements européens qui s’imposent à elle,
- la COP 21, à laquelle l’Islande a pris une part active.
Actualité culturelle
Enfants pour adultes : « Made in Children » est un spectacle joué par dix enfants de 8 à 12 ans, eux-mêmes largement associés à sa conception. Présenté à partir du 1er avril au Borgarleikhús il répond à la volonté de présenter à des adultes un travail pluridisciplinaire (danse et théâtre) mettant en scène l’avenir tel qu’ils l’imaginent. Volonté de Ásrún Magnúdóttir et deux amis qu’elle a su faire partager par ces enfants à tous les stades de la préparation du spectacle jusqu’à sa présentation au grand public : « un spectacle pour des adultes qui s’intéressent au monde que nous allons laisser à nos enfants, et qui nous rappelle que nous sommes seulement locataires d’une terre qui nous est prêtée par la génération à venir ».
Adultes pour enfants : Mama Mia, comédie musicale rendue célèbre par le groupe ABBA, est présentée dans ce même Borgarleikhús, sous la direction de Unnur Ösp Stefánsdóttir. Pour enfants ?
Pendant ce temps la vie continue…
- 14.03 : selon une enquête réalisée auprès de 220000 enfants du monde entier les petits Islandais sont les plus satisfaits de leur père,
- 18.03 : Geysir – le vrai – a jailli deux fois en un mois (combien de touristes en plus ?),
- 19.03 : sous prétexte que l’eau du robinet ne serait pas potable, l’Hotel Adam (Reykjavík) vend pour 400 Ikr des bouteilles pleines d’eau… du robinet,
- 24.03 : 3 familles islandaises sont composées d’enfants vivants ayant atteint 1000 années en une génération. L’une, de Hallgeirsta.ir, est actuellement à 1030 années, l’autre, de Kjóasta.ir, à 1027. Voici la dernière, composée de 15 soeurs et frères de 76 à 57 ans, de Brei.uvíkurhreppur (Snæfellsnes)… Le record est de 2035 années,
- 26.03 : « Lóan er komin »… et avec elle le printemps ?