En Islande, on dit parfois que les citoyens ont une mémoire de poisson rouge, attendu qu’ils votent souvent pour ceux qui leur ont causés le plus de déboires par le passé. Ainsi, le gouvernement de Sigmundur Davíð Gunnlaugsson est une coalition des deux partis dont on savait qu’ils sont à l’origine de la chute des banques en 2008.
Depuis bien longtemps, tout le monde sait que tout n’était pas rose au royaume des elfes. Les électeurs et les contribuables roulés n’étaient pas dupes, mais le déni est une force formidable qui emporte tout et surtout les bonnes résolutions. Il a fallu le prisme des médias étrangers pour que les Islandais regardent leur triste réalité en face.
Panama papers à l’islandaise : le trio pathétique
Avec les révélations découlant des fuites récentes de données qu’on nomme Panama Papers, on a eu la preuve de la mauvaise foi de trois ministres. Ces valeureux hommes d’état (dont une dame) ont sauvegardé leur patrimoine loin de l’Islande, dans des paradis fiscaux, en valeurs étrangères, tandis que les Islandais étaient et restent obligés de se servir de la couronne islandaise et de se soumettre aux capricieux soubresauts du cours de celle-ci. Suivez mon regard : lesdits soubresauts n’ont rien d’accidentels. Ils sont programmés en fonction des intérêts de certains groupes. Par ailleurs, on a découvert que parmi les créanciers des banques islandaises en 2008, il y avait bien Wintris, la société offshore de notre Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, devenu aussi célèbre que Björk.
© itv.com / ReutersNotre malicieux premier ministre a donc négocié avec lui-même.
L’heure est grave. Le président Ólafur Ragnar Grímsson, politicien chevronné comptant parmi ses amis des gens haut placés au Qatar et en Arabie Saoudite, a annulé les sessions du Parlement et discuté avec les ministres qui se sont alliés aux bananes du Panama. Le premier ministre, Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, garde malgré tout sa position de ministre et reste membre du Parlement, mais il se fera remplacer pour une période indéterminée par son homme de confiance et son second, le vétérinaire Sigurður Ingi Jóhannsson. Celui-ci est surtout connu pour avoir mis sur le marché une bière parfumée aux intestins de baleine, dans une tentative désespérée pour justifier cette chasse pourtant interdite depuis fort longtemps. Bref, le premier ministre se fait remplacer par son sosie politique. Poutine avait fait pareil ? Tiens donc.
Il est important de savoir que le droit de vote des Islandais n’est pas universel. Ceux qui habitent les régions peu peuplées de l’île ont un droit de vote qui pèse bien plus lourd que celui de leurs compatriotes de Reykjavík. Le parti de Sigmundur Davíð Gunnlaugsson se veut le représentant de la province, et dans certaines régions, il suffit de quelques dizaines de voix pour porter un élu au parlement. La nation n’est donc pas équitablement représentée.
L’Histoire est-elle condamnée à se répéter ?
N’oublions pas que le parti de Sigmundur Davíð Gunnlaugsson n’avait pas remporté la majorité lors des dernières élections. Et le président avait surpris tout le monde en lui confiant un mandat pour former un gouvernement, plutôt qu’à Bjarni Benediktsson, dont le parti était majoritaire. Ce même Bjarni est depuis le ministre des finances et il est tout aussi tristement trempé dans des affaires pas claires qui ont émergé avec les Panama Papers d’Islande.
© grapevine.isN’oublions pas que la nouvelle constitution, texte magique composé par les citoyens eux-mêmes, en concertation avec un grand nombre de participants, prévoyait un droit de vote universel et la protection des ressources naturelles, dans l’intérêt public et pour les générations à venir. Or cette merveilleuse constitution a été enterrée vive par le Parlement après avoir été validée par un référendum. Le présent gouvernement en a profité pour se hâter de conclure des accords pour la vente d’énergie à des géants de l’alu, enchaînant les génération à venir et détruisant les espaces sauvages.
N’oublions pas que lors des récentes manifestations à Reykjavík, les Islandais ont demandé la démission du gouvernement, comme ils l’avaient fait en 2009, lors de la « révolution des casseroles ». Le président, qui semble féru des solos politiques impromptus, a choisi de confirmer le premier ministre dans ses fonctions et d’annuler les séances du parlement. Ignorant royalement de ce fait la demande des électeurs.
N’oublions pas le rapport sur la corruption en Islande, neuf mille pages de recommandations et d’explications, publié sous l’égide d’Eva Joly à la suite de la chute des banques. Ce rapport a subi le même sort que la constitution nouvelle. Relégué aux oubliettes.
En Islande, la démocratie est un geyser. Elle jaillit brutalement dans un éclat argenté le temps de nous faire admirer les nombreux avantages qu’elle procure, avant de retomber lamentablement dans l’inertie d’une « plouc-tocratie » qui perdure.
Et on n’en est qu’aux trois premiers… Il resterait sur la liste 597 notables, des Islandais fâcheux et friands des bananes du Panama. Proportionnellement énorme, par exemple si on compare avec la France…