Il y a cinq ans je débarquais là-bas, pour un stage. Je pensais y rester deux mois. Traverser la France et rejoindre une région inconnue ne me faisait pas peur. Ce n'était que temporaire. J'y suis arrivée en avril, il faisait beau, la ville était mignonne. Mais je n'y allais pas pour m'installer. Tout autour de moi, l'horizon bouché. Littéralement. Une sensation d'étouffement, d'emprisonnement. Mais ce n'était qu'une question de quelques semaines. Et ma vie reprendrait son cours. Huit semaines. Qui se sont transformées en mois. En années. Il y a cinq ans je débarquais là-bas. Cet été, enfin, je m'en vais.
Qu'est-ce qui fait qu'on se sente chez soi ? Comment et pourquoi se développe ce sentiment d'appartenance à un lieu ? Qu'une ville finisse par faire partie de nous ? Que quand on y revient, c'est à la maison qu'on retourne et pas simplement "ici" ou "là" ou "où j'habite" ? Je me suis posé ces questions un million de fois. À chaque nouvel endroit. À chaque nouvelle ville. Jamais je ne me suis jamais vraiment sentie chez moi quelque part, mais souvent c'était du provisoire. C'est pour les études. C'est pour une année. À chaque fois, il y avait une date butoir, le moment où je repartirais. Alors autant en profiter, non ?
Cette fois encore, je me les suis posées. J'ai essayé de faire la liste des choses qui me plaisent. Des endroits qui m'enthousiasment. Des petits riens qui deviennent des habitudes sans qu'on s'en rende compte. Essayer de voir le bon côté, se dire que ça viendra. Ça finira bien par arriver, non ? Après tout, cette fois, on est bien parti pour rester là un moment. Ce n'est pas comme si on avait le choix. Alors on se force. On se résigne. On fait semblant. Ça passera. Un jour. Promis ?
Pourtant, le sentiment se fait plus lourd. Plus présent. Une angoisse sourde, constante. Un malaise, qui s'évapore dès qu'on s'en va, le cœur qui se fait plus léger. Et qui revient au galop dès qu'il est question de revenir. Rentrer, jamais. Revenir, toujours. Alors on repart. Souvent. Tout le temps. La moindre excuse, le moindre temps libre est prétexte à partir. Surtout ne pas rester, ne pas y passer trop de temps. Sinon à quoi faire ? Broyer du noir ? Se sentir mal ? S'énerver de se sentir si mal... impuissante ? Mais pourquoi je ne peux pas faire de cet endroit mon chez moi, ce n'est pas pire qu'ailleurs ? Si ?
Un jour, pourtant, il faut se rendre à l'évidence : non, ce n'est pas chez soi. Et ça ne le deviendra jamais.
Et ensuite ?
C'est bien beau de se dire qu'on n'a rien à faire ici, ça ne résout pas le problème. Alors on rêve. On se dit qu'on irait bien habiter "ici" ou "là". Qu'importe la destination : seul le départ compte. On irait bien à l'autre bout du monde ou juste à l'autre bout de la France. Pourvu qu'on parte. On quitterait tout pour un PVT à Hong-Kong, cette ville qui nous fait tant rêver. Ou bien pour Londres. C'est sympa Londres, non ? Tout le monde veut y aller, il doit bien y avoir une raison. Ou alors on déménage dans la grande ville d'à côté, ce sera forcément plus chouette avec tous ces trucs à faire. Tout plutôt qu'ici. N'importe où. Ailleurs.
Mais les mois passent. Les années, Et on est toujours au même endroit. Rien n'a changé. Le malaise est de plus en plus présent. C'est désormais devenu un compagnon d'infortune. Un peu lourd, un peu contraignant. Mais au fond, on est content qu'il soit là. Il nous rappelle qu'on n'a pas rendu les armes. Qu'on lutte toujours. Un peu. Qu'on n'a pas baissé les bras. Pas encore.
Et puis un jour, alors qu'on n'attendait plus, qu'on n'espérait plus. Qu'on n'y croyait plus. Qu'on avait oublié jusqu'à la possibilité... non, la faisabilité de la possibilité. Les pièces du puzzle se mettent en place. L'horizon se dégage. Le malaise se mue en impatience. La lumière au bout du tunnel. Enfin.
Qu'est-ce qui fait qu'on se sente chez soi ? Comment et pourquoi se développe ce sentiment d'appartenance à un lieu ? Qu'une ville finisse par faire partie de nous ?
Une décision, c'est parfois un drôle de cheminement. Une succession d'événements, en apparence sans lien logique, mais qui finissent par faire sens pris dans leur ensemble. Je ne crois pas au destin, il est facile de lire les signes après coup, leur donner la tournure qui nous arrange. Pourtant des fois, la manière dont ça se conjugue fait qu'on voudrait croire que ce n'est pas qu'une suite de hasard. Qu'il y a une force à l'œuvre derrière. Car les choix, parfois, tiennent tellement à si peu... On se rassure comme on peut, pour se persuader que non, on n'est pas passé à ça de ce qui s'annonce comme une formidable aventure. L'aventure de notre vie, peut-être.
En novembre 2014, je suis partie sur un coup de tête en Provence, car j'avais découvert que les Carrières de Lumière proposaient un spectacle sur Gustav Klimt, un artiste que j'apprécie beaucoup. C'était un week-end comme tant d'autres, je n'en attendais rien de spécial sinon m'échapper quelques heures de mon quotidien asphyxiant. Là-bas, je suis tellement tombée en adoration sous les images de Vienne qu'il ne m'a pas fallu plus de quelques jours pour organiser un séjour dans la capitale autrichienne.
En février 2015, je posais les pieds pour la première fois à Vienne. Ces quatre jours sont allés d'émerveillement en émerveillement. Je sentais que mon histoire avec cette ville n'était pas finie mais je pensais alors simplement être tombée sous le charme d'une énième destination et que ce sentiment finirait par s'évaporer dans les brumes du temps qui passe. Pourtant, j'avais du mal à faire taire cette petite voix qui me disait que peut-être, j'avais enfin trouvé ce que je cherchais depuis des années.
Mais je suis très forte pour faire taire les petites voix.
En juillet 2015, le premier jour de mes vacances, je me suis bloqué le dos. Sans raison. Si ce n'est, peut-être, sûrement, une réaction à la charge de travail que j'avais accumulée les derniers mois. Passer plusieurs semaines alitée, à grimacer au moindre mouvement, à se retrouver en larmes à chaque fois qu'il faut faire cinq mètres pour aller aux toilettes ou se servir un verre d'eau, ça vous remet les idées en place. Quelque chose dans ma vie devait changer.
Alors je me suis souvenue de ce voyage de février 2015. Et cette fois, je n'ai pas fait taire ma petite voix.
En août 2016, je pars m'installer à Vienne.
Et je m'y sens déjà comme chez moi.
Qu'est-ce qui fait qu'on se sente chez soi ? Comment et pourquoi se développe ce sentiment d'appartenance à un lieu ? Qu'une ville finisse par faire partie de nous ? Que quand on y revient, c'est à la maison qu'on retourne et pas simplement "ici" ou "là" ou "où j'habite" ? Je me suis posé ces questions un million de fois. À chaque nouvel endroit. À chaque nouvelle ville. Jamais je ne me suis jamais vraiment sentie chez moi quelque part, mais souvent c'était du provisoire. C'est pour les études. C'est pour une année. À chaque fois, il y avait une date butoir, le moment où je repartirais. Alors autant en profiter, non ?
Cette fois encore, je me les suis posées. J'ai essayé de faire la liste des choses qui me plaisent. Des endroits qui m'enthousiasment. Des petits riens qui deviennent des habitudes sans qu'on s'en rende compte. Essayer de voir le bon côté, se dire que ça viendra. Ça finira bien par arriver, non ? Après tout, cette fois, on est bien parti pour rester là un moment. Ce n'est pas comme si on avait le choix. Alors on se force. On se résigne. On fait semblant. Ça passera. Un jour. Promis ?
Pourtant, le sentiment se fait plus lourd. Plus présent. Une angoisse sourde, constante. Un malaise, qui s'évapore dès qu'on s'en va, le cœur qui se fait plus léger. Et qui revient au galop dès qu'il est question de revenir. Rentrer, jamais. Revenir, toujours. Alors on repart. Souvent. Tout le temps. La moindre excuse, le moindre temps libre est prétexte à partir. Surtout ne pas rester, ne pas y passer trop de temps. Sinon à quoi faire ? Broyer du noir ? Se sentir mal ? S'énerver de se sentir si mal... impuissante ? Mais pourquoi je ne peux pas faire de cet endroit mon chez moi, ce n'est pas pire qu'ailleurs ? Si ?
Un jour, pourtant, il faut se rendre à l'évidence : non, ce n'est pas chez soi. Et ça ne le deviendra jamais.
Et ensuite ?
C'est bien beau de se dire qu'on n'a rien à faire ici, ça ne résout pas le problème. Alors on rêve. On se dit qu'on irait bien habiter "ici" ou "là". Qu'importe la destination : seul le départ compte. On irait bien à l'autre bout du monde ou juste à l'autre bout de la France. Pourvu qu'on parte. On quitterait tout pour un PVT à Hong-Kong, cette ville qui nous fait tant rêver. Ou bien pour Londres. C'est sympa Londres, non ? Tout le monde veut y aller, il doit bien y avoir une raison. Ou alors on déménage dans la grande ville d'à côté, ce sera forcément plus chouette avec tous ces trucs à faire. Tout plutôt qu'ici. N'importe où. Ailleurs.
Mais les mois passent. Les années, Et on est toujours au même endroit. Rien n'a changé. Le malaise est de plus en plus présent. C'est désormais devenu un compagnon d'infortune. Un peu lourd, un peu contraignant. Mais au fond, on est content qu'il soit là. Il nous rappelle qu'on n'a pas rendu les armes. Qu'on lutte toujours. Un peu. Qu'on n'a pas baissé les bras. Pas encore.
Et puis un jour, alors qu'on n'attendait plus, qu'on n'espérait plus. Qu'on n'y croyait plus. Qu'on avait oublié jusqu'à la possibilité... non, la faisabilité de la possibilité. Les pièces du puzzle se mettent en place. L'horizon se dégage. Le malaise se mue en impatience. La lumière au bout du tunnel. Enfin.
Qu'est-ce qui fait qu'on se sente chez soi ? Comment et pourquoi se développe ce sentiment d'appartenance à un lieu ? Qu'une ville finisse par faire partie de nous ?
Une décision, c'est parfois un drôle de cheminement. Une succession d'événements, en apparence sans lien logique, mais qui finissent par faire sens pris dans leur ensemble. Je ne crois pas au destin, il est facile de lire les signes après coup, leur donner la tournure qui nous arrange. Pourtant des fois, la manière dont ça se conjugue fait qu'on voudrait croire que ce n'est pas qu'une suite de hasard. Qu'il y a une force à l'œuvre derrière. Car les choix, parfois, tiennent tellement à si peu... On se rassure comme on peut, pour se persuader que non, on n'est pas passé à ça de ce qui s'annonce comme une formidable aventure. L'aventure de notre vie, peut-être.
En novembre 2014, je suis partie sur un coup de tête en Provence, car j'avais découvert que les Carrières de Lumière proposaient un spectacle sur Gustav Klimt, un artiste que j'apprécie beaucoup. C'était un week-end comme tant d'autres, je n'en attendais rien de spécial sinon m'échapper quelques heures de mon quotidien asphyxiant. Là-bas, je suis tellement tombée en adoration sous les images de Vienne qu'il ne m'a pas fallu plus de quelques jours pour organiser un séjour dans la capitale autrichienne.
En février 2015, je posais les pieds pour la première fois à Vienne. Ces quatre jours sont allés d'émerveillement en émerveillement. Je sentais que mon histoire avec cette ville n'était pas finie mais je pensais alors simplement être tombée sous le charme d'une énième destination et que ce sentiment finirait par s'évaporer dans les brumes du temps qui passe. Pourtant, j'avais du mal à faire taire cette petite voix qui me disait que peut-être, j'avais enfin trouvé ce que je cherchais depuis des années.
Mais je suis très forte pour faire taire les petites voix.
En juillet 2015, le premier jour de mes vacances, je me suis bloqué le dos. Sans raison. Si ce n'est, peut-être, sûrement, une réaction à la charge de travail que j'avais accumulée les derniers mois. Passer plusieurs semaines alitée, à grimacer au moindre mouvement, à se retrouver en larmes à chaque fois qu'il faut faire cinq mètres pour aller aux toilettes ou se servir un verre d'eau, ça vous remet les idées en place. Quelque chose dans ma vie devait changer.
Alors je me suis souvenue de ce voyage de février 2015. Et cette fois, je n'ai pas fait taire ma petite voix.
En août 2016, je pars m'installer à Vienne.
Et je m'y sens déjà comme chez moi.