Suis-je prête à retourner en Amérique du Sud? Ma balance décisionnelle.

Publié le 29 mars 2016 par Eve @Nosracinesur4C

Si vous suivez le blogue de façon assidue, vous avez probablement remarqué que les destinations d’Amérique du Sud y sont rarement à l’honneur. Bien que des articles sur le Chili et l’Argentine aient fait l’objet de publications récemment, ce sont les deux seules destinations pour lesquelles je n’étais pas derrière le clavier afin de vous partager mes propres expériences de séjours à l’étranger. Vous pensez peut-être que ce silence s’explique parce que je connais moins cette partie du monde? Vous avez raison si c’est le cas, car exception faite du Brésil, je n’ai pas voyagé en Amérique du Sud. Pourtant, j’ai eu plusieurs occasions de le faire. Alors pourquoi ne pas saisir les occasions qui s’offrent à moi? Avec du recul, je me rends compte que mon premier voyage en Amérique du Sud est lié à une expérience traumatisante qui, encore aujourd’hui, suscite mon ambivalence à y retourner. Cette expérience fait en sorte que deux discours intérieurs coexistent lorsqu’il est question de cette destination : une petite voix qui me presse d’y retourner et une autre qui m’incite à l’éviter. Mais avant de vous parler des petites voix qui argumentent dans ma tête, je dois vous préciser le contexte de ma première rencontre avec l’Amérique du Sud.

Un voyage au Brésil qui laisse des traces…

C’est en 2008 que j’ai eu l’occasion de voyager en Amérique du Sud pour la première fois (qui demeure à ce jour la seule et unique fois). J’ai alors profité d’un congrès à Salvador de Bahia pour m’envoler vers le Brésil avec mon amoureux. Malgré plusieurs voyages à l’étranger, nous n’avions encore jamais vécu de grande mésaventure à l’étranger. Des petites sources d’irritation, certes, mais rien de majeur qui aurait remis en question notre désir de voyager et notre soif de parcourir le monde. C’est donc avec de jolies lunettes roses que nous avons mis les pieds au Brésil, heureux de découvrir pour la première fois un pays d’Amérique du Sud. Nous logions dans un magnifique hôtel cinq étoiles, le Pestana Hotel, situé au bord de la mer.

La vue de notre hôtel À quelques mètres de la mer, nous dormions au son des vagues La piscine de l’hôtel, où nous avons dégusté quelques caipirinha

Bien situé, cet hôtel nous a permis de découvrir la ville de Salvador et son centre historique dont nous conservons d’excellents souvenirs. Première capitale du Brésil, Salvador a su préserver un charme particulier, avec ses maisons aux couleurs vives, ses nombreuses églises et ses rues pavées. La ville est divisée en deux : une partie haute et une partie basse. C’est dans la partie haute que l’on retrouve le centre historique, Pelourinho, classé au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1985. L’architecture Renaissance y est à l’honneur, avec des édifices aux façades colorées. Nous y avons passé beaucoup de temps, à flâner dans les boutiques destinées aux touristes et à visiter plusieurs monuments historiques datant du XVIIe siècle. En prenant l’Elevador Lacerda, nous pouvions ensuite rejoindre le port, en profitant d’une vue magnifique sur les environs.

La ville de Salvador L’hiver brésilien et ses couleurs particulières Le centre historique et ses nombreuses boutiques Rencontre locale dans le quartier historique Dans l’ascenseur menant à la basse-ville Coucher de soleil sur la mer

Jusqu’ici, vous conviendrez avec moi que ce séjour s’annonçait plutôt bien. Pourtant, mon récit ne traduit pas la complexité des sentiments qui m’ont habitée dès mes premiers instants dans la ville. À quelques mètres de notre hôtel luxueux, nous croisions des chiens errants maigrichons de même que des itinérants qui s’installaient pour la nuit au sol, sur de vieux cartons. Les villas du quartier étaient, quant à elles, de véritables forteresses entourées de murs, de barbelés et de caméras de surveillance. Ces écarts dans les conditions de vie des habitants faisaient évidemment naître des malaises et des inconforts dans mon esprit (j’enseigne le travail social, vous vous souvenez?). Dans la ville de Salvador, les enfants nous faisaient de grands sourires en nous accrochant des rubans aux poignets. C’était pour nous accueillir dans leur ville, un free gift selon leurs dires… Ils nous poursuivaient ensuite pour nous demander de l’argent, toujours plus d’argent, en échange de leurs cadeaux. Pour eux, nous étions de véritables guichets automatiques ambulants et on peut difficilement leur en vouloir… Pour couronner le tout, j’ai finalement été victime d’une intoxication alimentaire la veille de ma conférence, après un repas que nous avions pourtant fort apprécié.

Vous l’aurez compris, ces petits inconforts sont généralement présents lors de voyages à l’étranger et n’auraient jamais constitué, à eux seuls, des sources d’ambivalence à l’idée de retourner au Brésil. J’y vois plutôt des éléments liés à un simple choc culturel, inhérents aux voyages et qui nécessitent de s’adapter à des valeurs, des coutumes, des habitudes de vie et une culture différentes. Ce sont des petits irritants en comparaison de l’événement qui allait creuser un fossé entre le Brésil et moi. Le jour suivant ma présentation au congrès, j’étais encore malade et nous avons décidé de rester à proximité de l’hôtel pour nous reposer. Suivant les conseils des employés de l’hôtel, nous nous sommes installés sur une petite plage apparemment très sécuritaire où nous avions déjà eu l’occasion de nous baigner à quelques reprises. Ce jour-là, la plage était calme. Pendant que mon amoureux nageait dans les vagues, je lisais tranquillement sur la plage. Puis, j’ai eu envie de prendre quelques photos.

Alors que je me levais avec ma caméra, trois garçons âgés d’environ dix ou onze ans sont apparus dans mon champ de vision. Je ne comprenais pas ce qu’ils disaient en désignant l’appareil photo que je tenais à la main. J’ai d’abord naïvement pensé qu’ils me proposaient de prendre une photo avec eux… J’ai fait non de la tête en souriant. Jusqu’à ce que je vois l’arme à feu qu’un des gamins pointait sur moi. Figée sur place, je lui ai tendu l’appareil docilement. C’est le seul objet de valeur que nous avions pris avec nous, nos passeports, nos cartes et l’argent liquide dont nous disposions étaient demeurés dans le coffre de sûreté de l’hôtel. Avant que je réalise pleinement ce qui se passait, les trois jeunes s’attaquaient déjà à un couple de touristes italiens. La femme criait et refusait de leur donner son sac, ce qui a suscité la colère des jeunes voleurs qui l’ont prise à la gorge et l’ont frappée pour finalement s’enfuir avec le contenu du sac. Comprenant ce qui se passait, mon mari est sorti de l’eau en hurlant et en courant dans leur direction, mais ils étaient déjà loin.

Je n’ai pas été blessée physiquement, mais cette expérience fut malgré tout bouleversante pour moi. Plusieurs Brésiliens étaient sur la plage lors des événements, mais aucun d’eux n’a levé les yeux pour voir ce qui se passait. Ils demeuraient tous centrés sur leurs occupations, comme si rien ne se passait. Nous sommes donc partis en direction du poste de police avec les deux autres victimes. J’étais en état de choc, incapable d’arrêter de pleurer.  L’autre femme victime, qui avait été sérieusement malmenée, demeurait très calme et posée. Je me sentais stupide d’être aussi émotive alors que je n’étais pas blessée. Je ressentais aussi de la culpabilité par rapport aux événements, puisque j’étais demeurée inerte et sans voix lors du vol, ne permettant pas aux autres de se préparer à y faire face ou d’appeler des secours. Cet événement a changé notre relation avec le Brésil, de même que nos plans pour la suite du voyage (dont je vous parlerai dans un prochain billet). Désormais, nous nous sentions en danger en sol brésilien. Nous avions peur et nous étions aux aguets.

Ces deux discours qui coexistent dans ma tête…

Depuis notre séjour au Brésil en 2008, je ne suis pas retournée en Amérique du Sud. J’ai eu plusieurs occasions de le faire, mais je demeurais ambivalente à cette idée. C’est donc seul que mon mari est retourné au Brésil pour affaires il y a deux ans. Je n’étais pas véritablement tentée à l’idée de l’accompagner, moi qui adore pourtant voyager et qui saisis habituellement toutes les occasions qui s’offrent à moi pour le faire. J’étais hantée par ce discours intérieur, guidé par la peur, qui me paralysait : « c’est dangereux« , « il y a trop de violence dans ce coin du monde », « tu risques de te faire voler, arnaquer ou agresser », « tu devrais choisir un coin du monde plus sécuritaire »… Bref, le fameux « oui mais… » qui empêche parfois d’avancer.

D’un autre côté, parallèlement à cette petite voix alarmiste, un autre discours m’habite de plus en plus et m’encourage à retourner en Amérique du Sud : « ce serait l’occasion de voir des amis installés au Pérou », « les plages du Brésil étaient tellement belles », « j’aimerais  connaître  davantage ce coin du monde »… Cette petite voix prend de plus en plus le dessus dans ma tête, surtout depuis que mon frère a fait l’achat d’une maison en Équateur. Maintenant achevée, aussi spacieuse que magnifique, cette maison me fait de l’œil et me donne envie de surpasser mes peurs pour explorer l’Amérique du Sud. J’en ai d’ailleurs parlé précédemment sur le blogue, en vous présentant ma wish list pour 2016.

À la lumière des avantages et des inconvénients à l’idée de retourner en Amérique du Sud, je me suis amusée à réaliser ma balance motivationnelle, un outil utilisé en relation d’aide afin de travailler sur l’ambivalence d’une personne et l’amener vers un changement (voir notamment Miller & Rollnick, 2013 sur le sujet). La voici :

Force est de constater que les avantages associés à l’idée de retourner en Amérique du Sud semblent faire pencher la balance vers une décision : celle de choisir la découverte et l’ouverture plutôt que la peur et le repli sur soi. Mais je réalise que je demeure dans la contemplation de ce projet et non dans l’action. Lorsque je lis des articles qui associent l’Amérique du Sud à la violence et aux arnaques, mon discours intérieur se centre sur les avantages d’y retourner. À l’inverse, lorsque je lis des billets qui dédramatisent la situation, comme le récent article d’Amandine et François de l’excellent blogue Un sac sur le dos, ma petite voix intérieure hurle que les risques de l’Amérique du Sud demeurent bien présents. Simple esprit de contradiction? De mon côté, le problème est plus vaste et je vous en ai déjà parlé par le passé, en vous partageant mon refus de choisir une seule et unique façon de voyager. Mais au-delà de ce refus de choisir, Miller et Rollnick (2013) donneraient fort probablement un nom à ce type d’ambivalence : la réactance psychologique. Selon ces auteurs, le fait d’argumenter pour le changement avec une personne ambivalente fait naturellement ressortir les arguments opposés chez cette dernière. Je me dois donc de lancer un appel à l’aide à ma famille et mes amis qui vivent actuellement en Amérique du Sud : si vous souhaitez me voir débarquer avant la fin de l’année, mieux vaut me partager vos impressions négatives et vos souvenirs pourris. Ils devraient me permettre d’en finir avec cet éternel sentiment d’ambivalence! 😉