Ils étaient six, six hommes partis sur les traces d' Henri Mouhot, celui qui mit au jour les ruines d' Angkor en 1861, ou plutôt qui fit redécouvrir au monde les temples que les Khmers ne cessèrent d'honorer du fin fond de la forêt cambodgienne... Partis d'Angkor, ils ont remonté le Mékong, fleuve nourricier prenant sa source en Chine et se jetant dans la Mer de Chine non loin de Hô Chi Minh-Ville. Ils étaient six, mais l'expédition dure près de trois ans et le chef de l'expédition, Ernest Doudart de Lagrée, meurt avant la fin du voyage qui se termine dans le Yunnan chinois. Ils étaient six, comme sur cette photo devenue célèbre. De gauche à droite : Louis de Carné, Lucien Joubert, Capitaine Ernest Doudart de Lagrée, Clovis Thorel, Lieutenant Louis Delaporte et Lieutenant Francis Garnier. Delaporte est celui qui ramènera les plus beaux dessins d'Angkor encore vierge de toute présence humaine. Ils sont fiers et beaux ces hommes qui ont dû maudire les dieux d'avoir mis sur terre cet environnement aussi hostile...
Des enfants vêtus de jaune et quelques vieilles habituées du sanctuaire, à en juger par la familiarité avec laquelle elles traitaient leur dieu, déshabillèrent de son écharpe la petite statue de Bouddha, lui versèrent de l'eau sur la tête, l'épongèrent avec soin, et lui remirent enfin sa chemise rouge ; les cymbales, les gongs et les grosses caisses nous réveillèrent en sursaut, et la foule envahit le hangar dont nous n'occupions que le plus petit espace possible. On alluma des cierges, on brûla de vieux chiffons et longues mèches. Les assistants faisaient toute sorte de gestes, portaient la main à leur front et baisaient la terre, puis l'arrosaient à l'aide d'une gargoulette dont chacun était muni. Cela n'empêchait pas de causer, de rire, de fumer ; nul respect, nul recueillement, aucun signe de piété intérieure n'apparaissait sur tous ces visages, si ce n'est sur les traits du vieux bonze, chef de la pagode.
Louis de Carné, jeune homme vaillant promis à un brillant avenir, reste à l'écart du reste du groupe, jamais véritablement intégré, suspecté d'avoir été pistonné par un amiral en vue pour cette expédition. Pourtant, le jeune homme, seul civil du groupe, accomplit consciencieusement sa mission. Chargé de la partie descriptive du voyage et des renseignements commerciaux, il rapporte un texte beaucoup moins connu que celui de Francis Garnier (Voyage d'exploration en Indo-chine, effectué pendant les années 1866, 1867 et 1868). En réalité, ce ne sont que des notes qu'il finit par publier en plusieurs parties dans la Revue des Deux Mondes, sous le titre L'exploration du Mékong. Louis de Carné, épuisé par les fièvres contractées lors de l'expédition, s'éteint à Plomelin en 1871, à l'âge de 27 ans. C'est son père, Louis-Marie de Carné, qui terminera la mise en forme de ses notes de voyage et se chargera de la publication de ses articles en livre, sous le titre Voyage en Indo-Chine et dans l'empire chinois en 1872.
Il pleuvait toujours, et nous étions pour la plupart sans chaussures. Nos pieds étaient meurtris par les pierres, percés par les épines, saignés par les sangsues ; la fièvre pâlissait les visages et, symptôme effrayant, la gaieté commençait à s'évanouir. Malgré la pesanteur étouffante de l'air, après quelques heures de marche dans pareilles conditions, le froid nous saisissait en traversant des torrents dont l'eau était ordinairement glaciale. Quelle ne fut donc pas notre surprise, en entrant pour la centième fois dans l'un de ces innombrables affluents du Mékong, de ressentir aux jambes une chaleur assez forte pour nous faire éprouver une impression douloureuse ! Nous venions de découvrir un source d'eau thermale sulfureuse à quatre-vingt-six degrés centigrades [...]
Le texte est disponible aux éditions Magellan et Cie, dans la collection Heureux qui comme...
Articles publiés dans la Revue des Deux Mondes (allez savoir pourquoi les numéros 6 et 7 sont introuvables):
Photo d'en-tête © CiaoHo (floating market. Nganam town, Soctrang province, Vietnam. Jan 26th. 2014)