Voilà un peu plus de cinq ans que nous avons quitté la France. Au départ pour juste une année, mais finalement cette année s'est prolongée, et c'est ainsi qu'en 5 ans, nous avons vécu dans 4 pays différents. Si tu me suis depuis un moment, en lisant mes textes, en regardant mes photos, etc, tu pourrais te dire que la vie à l'étranger, c'est que du positif. J'ai envie de dire que c'est principalement du positif, oui. Mais tout n'est pas toujours rose, et il y a certaines choses qui ne sont parfois pas faciles à vivre. Parmi celles-ci, il y a la distance, et ses conséquences. Voici donc un article un peu sombre, volontairement poussé à l'extrême, basé sur un mail que j'avais commencé pour une proche, mais que je n'ai jamais pris la peine de terminer et d'envoyer, et qui reflète ce que je peux ressentir parfois... et ce que tu pourrais être amené(e) à ressentir aussi en choisissant ainsi la distance...
" Je suis cette personne qui, contre toute attente, a un jour fait le choix de saisir une opportunité pour partir vivre à l'étranger. À ce moment, j'étais celle qui partageait avec beaucoup de passion ses récits et photos avec ses proches, et qui réussissait ainsi à susciter une forme d'admiration de leur part. J'étais celle qui leur donnait envie de partir aussi, celle qui les faisait s'évader chaque jour un peu en parlant de choses tellement dépaysantes. Mais voilà, après tant d'années loin de mon pays d'origine, loin de ma famille, de mes amis, les choses ont évolué, et la distance, associée au temps qui passe, m'a d'une certaine façon " isolée ", mise de côté. Je suis l'enfant qui a choisi un chemin vers une direction bien différente de celle que ses parents avaient imaginée, espérée pour elle... l'enfant qui prive ses parents de sa présence... l'enfant qui, lorsqu'elle sera elle-même maman, privera d'une certaine façon ses propres enfants de la précieuse présence des grands-parents... Je suis l'amie qui n'est présente qu'au travers d'un écran d'ordinateur ou de téléphone, et avec laquelle on doit presque prendre rendez-vous pour pouvoir parler en direct compte tenu du décalage horaire... l'amie qui n'est pas là physiquement dans les bons comme dans les mauvais moments... l'amie à qui on ne demandera jamais d'être témoin du moindre mariage... celle qui ne sera pas sur les photos ni dans les souvenirs des grands événements de leur vie. D'ailleurs, on ne prend même plus la peine de l'inviter à ces événements-là, ni même de la prévenir, parce qu'on est persuadés que ça ne l'intéresse pas, parce qu'on se doute qu'elle ne pourra pas être présente, ou simplement parce que désormais, elle est trop loin depuis trop longtemps pour qu'on pense encore à elle ou qu'on ait réellement envie qu'elle partage cet instant-là avec nous... Je suis la soeur qui finit par en connaître plus sur ses rencontres éphémères que sur les membres de sa fratrie... la soeur dont on ne parle pas parce qu'en fait, on ne sait même pas ce qu'elle fait (ou on n'y croit pas)... la soeur qu'on ne connait plus... la soeur qui fait tâche parce qu'elle brille de par son absence aux repas de famille (voyons le côté positif des choses : ça offre un super sujet de conversation aux présents! ;-) )... la soeur qui a reçu la même éducation que les autres membres de la fratrie mais qui fait tout différemment... Je suis la tatie qui voit ses neveux et nièce grandir de très loin, et qui sera une inconnue pour eux si les parents n'aident pas un minimum en faisant l'effort de leur parler d'elle... cette tatie qu'on ne peut pas toucher, dans les bras de laquelle on ne peut pas courir, simplement parce qu'elle n'est présente qu'au travers d'un écran d'ordinateur... cette tatie dont on connaît le prénom et rapidement le visage, mais qu'on ne reconnaîtra peut-être pas quand on la verra en vrai, quand cela daignera arriver... la tatie qui n'a pas de chez elle, chez laquelle on ne peut même pas aller de façon régulière afin d'y créer des souvenirs mémorables... cette tatie dont l'odeur, les manières, la voix, ne sont pas familiers... Je suis la collègue de promo qui a choisi un parcours inattendu, différent de ce que ses professeurs ont voulu lui inculquer, différent de ce que les autres ont choisi... cette étudiante qu'on évitera de mentionner auprès de ceux qui veulent se lancer dans les mêmes études pour ne pas qu'ils sachent que certains se rebellent contre ce soit disant modèle de réussite qui veut qu'on fasse toute notre vie ce pour quoi on a un peu étudié... Je suis la citoyenne française qui est vue comme celle qui a tourné le dos à son pays... une citoyenne qui n'est plus tout à fait française mais qui ne sera jamais complètement une citoyenne d'un autre pays non plus... cette citoyenne qui ne se sent plus vraiment concernée par ce qui se passe " là-bas ", mais dont le coeur saigne quand sa patrie est frappée... Tu connais sûrement l'expression " loin des yeux, loin du coeur " ? Bien que celle ci ne soit pas vérifiable chez tout le monde, elle concerne une majorité d'entre nous. Et j'ai vraiment l'impression que j'en suis juste une victime... " Je te rassure, ces ressentis ne constituent pas mon quotidien, hein ; je suis plutôt très heureuse ;-) ! Je n'ai d'ailleurs pas vraiment beaucoup de temps pour m'apitoyer sur mon sort, et quand-bien même, je l'ai choisi et préfère le vivre pleinement plutôt que de passer mon temps à constater ce côté triste. Mais comme tout le monde, j'ai aussi des coups de blues, pendant lesquels certaines de ces pensées et constats remontent à la surface... Bref, voilà, mon but était surtout de te faire réaliser que la distance n'est pas toujours facile à vivre, et que si tu hésites à partir, c'est certes bien de connaître tout le positif que ça va t'apporter, mais c'est bien aussi d'avoir conscience qu'il y a quelques aspects négatifs, qu'il faut être prêt à accepter. Bon voyage !