Essai.
Dominique Fernandez, Le piéton de Rome. Philippe Rey, 2015. 227 p.
J’ai découvert ce livre grâce à Miriam lorsque je cherchais à enrichir ma bibliothèque sur Rome afin de me mettre dans l’ambiance avant un voyage dans la capitale italienne. Je l’ai lu lors de mon dernier séjour à Rome, en décembre. Ça a été un bonheur de parcourir les rues de la ville dans les pas de Dominique Fernandez.
Habitué de Rome, l’auteur a créé un lien étroit avec la ville et nous livre dans cet essai ses réflexions, ses impressions, ses souvenirs personnels sur la Ville éternelle. Chaque chapitre du livre est consacré à une thématique précise : la Rome antique, la Domus Aurea de Néron, les collines, les palais, le Vatican… Si l’amour de l’auteur pour Rome transparaît – il nous fait d’ailleurs remarquer que « ROMA est l’inverse exact d’AMOR »-, il ne manque cependant pas de porter un regard lucide sur la ville et sur ses travers. La lecture est fluide et prenante grâce au mélange subtil de données historiques et culturelles et du regard personnel de l’auteur, et ce malgré quelques descriptions un peu longues. Depuis plus de cinquante ans, il parcourt la ville de long en large, en piéton, le meilleur moyen de s’imprégner des lieux et de ressentir tout le poids de l’histoire de la ville.
Plus que toute autre ville, il ne faut la parcourir qu’à pied, ne serait-ce que pour sentir sous ses semelles le sol qui a ici une telle importance et résonne de tant d’harmoniques. Sol plein, sol creux. Sol plein des sept collines, sol creux au-dessus de plusieurs étages de vestiges, sol foulé par l’univers entier, sol deux fois sacré, aussi vénérable pour celui qui part sur les traces de Virgile et de Catulle que pour celui qui court dans la basilique Saint-Pierre baiser l’orteil de la statue de l’apôtre.
Dans le chapitre « Quoi de changé ? », l’auteur nous invite à découvrir les transformations que Rome a connues depuis les années 1950 : l’apparition des borgate, ces faubourgs nés de l’expansion rapide de Rome et construits à la va-vite, souvent de façon abusive, pour accueillir une population pauvre ; l’essor du tourisme de masse ; la « boboïsation » du quartier autrefois populaire du Trastevere ; les grands travaux de rénovation qui modifièrent les fameuses couleurs des façades. Mais, au final, l’essence même de Rome n’a pas changé. Ce qui fait son charme et la rend si particulière reste immuable. Rome est toujours Rome.
Ce qu’il y a de plus beau et caractéristique est resté cependant intact : le labyrinthe de vieilles rues entre le Panthéon et la via Giulia, les murs chargés de lierre, le murmure amical des fontaines, le jardins ombragés d’arbres centenaires, les parcs semés de ruines, les collines qui servent de piédestal à un palais ou de refuge à un monastère.
Coup de cœur pour les chapitres « La société littéraire romaine » et « Déjeuners d’écrivains », consacrés à la vie littéraire romaine dans les années 1950, « années exceptionnelles pour la littérature italienne ». Années fastes où les écrivains les plus célèbres recevaient un gros cachet pour leur seule présence lors d’une réception. On apprend qu’Alberto Moravia, le « seigneur des lettres romaines » était « spirituel et mordant » mais aussi « droit, loyal, bien informé »; Carlo Levi, « débonnaire et d’une faconde intarissable »; Giorgio Bassani, « habillé avec un soin méticuleux » ou encore Pasolini, « sombre, les joues creuses, le regard fixe, la mâchoire crispée, un masque sur le visage ». Fernandez parvient à nous donner l’illusion de participer à ces fameux déjeuners d’écrivains, auxquels il a lui-même été convié, des déjeuners spontanés, stimulants et quasi quotidiens. On découvre pourtant que planait parmi ces intellectuels, curieux de tout, ouverts et antifascistes, un sujet tabou, le fascisme, objet d’un réel malaise, d’une culpabilité. Fernandez s’étonne en effet que jamais de discussion n’ait porté sur Si c’est un homme de Primo Levi, ouvrage alors récent dans lequel l’auteur raconte son expérience dans le camp de concentration d’Auschwitz.
On ne voulait pas revenir sur les crimes dont le pays tout entier s’était rendu complice. On préférait enfouir dans l’oubli un pan de l’histoire d’Italie impossible à assumer.
Je participe au challenge Un giro a Roma.