J’ai envie d’écrire ce billet sur Venise depuis un moment déjà, ne sachant jamais sous quel angle l’aborder. Mon premier contact avec la Sérénissime remonte à 1982, alors on s’entend que mes « bons plans » pour cette destination ne sont pas à jour… ;-) Et pourtant, ce préambule vénitien demeure important à mes yeux. Par la suite, je suis retournée en Italie à deux reprises, en 1999 et en 2011, et ce pays m’a profondément touchée à chacune de mes visites. C’est donc sur une note très personnelle que j’ai décidé de vous partager mes souvenirs de Venise en trois actes, qui réfèrent à des périodes très différentes de ma vie.
Venise – Acte I
Un premier amour (1982)
[Dans la peau d’une fillette de 5 ans]
Petite fille, j’ai eu l’occasion de visiter Venise avec mes parents. Ce lieu m’a laissé un souvenir impérissable, chargé de parfums, d’histoires et de saveurs. Peu importe le lieu où je me trouvais dans la ville, de la Place Saint-Marc aux petites ruelles dont on oublie vite le nom, je cherchais mon pigeon blanc. Mes parents m’avait fait croire que c’était toujours le même qui croisait notre route, un pigeon voyageur qui nous suivait dans nos aventures familiales à travers l’Europe. Nous nous déplacions alors d’un camping à l’autre dans notre roulotte que nous avions surnommée affectueusement « trottinette la suiveuse ». Je n’étais pas dupe. Je savais bien que ce pigeon était en fait une invention pour que je reste sage le temps de profiter d’un repas en terrasse… ou encore pour que j’accepte de quitter les épaules de mon papa et de reprendre la marche d’un pas énergique. Dans ma famille, on ne jouait pas à « Où est Charlie? », mais plutôt à « Où est le pigeon blanc? ». Je faisais semblant d’y croire, multipliant les fausses déclarations au sujet de cet oiseau mythique :
« Il m’a réveillée cette nuit en venant donner des petits coups à ma fenêtre »
« Je l’ai vu il y a un instant, mais il joue maintenant à cache-cache »
« Je crois qu’il veut me livrer un message important, mais il attend que je sois seule pour le faire »
Alors âgée de cinq ans, la vérité et la fiction se mélangeaient dans mon esprit et, par moments, je me plaisais à croire que ce pigeon n’était pas le fruit de notre imagination collective. Je l’avais bel et bien vu voler vers moi alors que nous passions sous le Pont des Soupirs en gondole. Il nous avait attendu plusieurs heures pendant que nous visitions les différents musées de la ville. Je lui avais fait la promesse de venir lui présenter le garçon qui me faisait craquer à l’époque, le beau Stéphane qui fréquentait mon école de Lahr, en Allemagne. Ce serait assurément « mon futur amoureux », peut-être « l’homme de ma vie »?…
J’ai rapidement oublié Stéphane, après être rentrée au Québec deux ans plus tard, en 1985, mais le pigeon blanc est toujours resté bien vivant dans mon esprit… Et Venise aussi!
Venise – Acte II
Un rendez-vous manqué (1999)
[16 ans plus tard…]
Lors de ma dernière année d’université, alors que je complétais un baccalauréat en droit à l’Université de Sherbrooke, j’ai rencontré l’homme avec lequel je partage ma vie depuis 17 ans déjà… Alors que nous nous fréquentions depuis trois mois, il a dû repartir en France, son pays d’origine, pour valider son diplôme d’ingénieur. Nous avons dès lors vécu une séparation pendant laquelle nous nous écrivions des lettres manuscrites pratiquement tous les jours – oui, je sais, je viens d’une autre époque! Dans ces lettres que nous avons conservées, nous parlions d’amour, certes, mais aussi de nos projets d’avenir. J’ai eu l’occasion d’en relire trois ou quatre il y a peu de temps en tombant par hasard sur la boîte à chaussures où elles gisent un peu défraîchies. Je dois avouer que j’hésitais entre le rire et les larmes. C’était à la fois naïf et beau. Dans l’une de ces lettres, j’expliquais à mon futur mari à quel point je rêvais de revoir Venise, d’y faire une balade en gondole et de me perdre dans ses petites ruelles aux fenêtres fleuries. Il était moins enthousiaste que moi à l’idée de découvrir cette destination, c’était indéniable. Pour lui, l’eau stagnante de la lagune rimait avec odeurs nauséabondes, les pigeons avec excréments volants et les gondoles constituaient l’attrape-touristes par excellence. Je l’ai rejoint en France trois mois plus tard. Avec un groupe d’amis, nous avons visité plusieurs villes de la Toscane, dont Pise, Florence et Sienne… Je garde un excellent souvenir de ce voyage. Alors que mon année de Barreau m’attendait au Québec, c’est au cours de ce périple que j’ai pris la décision de ne pas devenir avocate et de me réorienter vers la relation d’aide pour mes études de cycles supérieures. Je ne compte plus le nombre de soirées où j’ai exprimé mon dilemme intérieur à mon futur mari (il est très patient!), qui m’encourageait à faire ce que j’aime. C’est une décision que je n’ai jamais regrettée par la suite.
Malgré les retombées positives de ce voyage, tant personnellement que professionnellement, j’ai dû renoncer à l’idée de revoir Venise, faute de temps et de ressources financières suffisantes (comme quoi il y a tout de même des avantages à vieillir! ;-))… Cette destination allait me hanter encore plusieurs années…
Venise – Acte III
Des retrouvailles… à trois! (2011)
[12 ans plus tard…]
En 2011, juste avant de repartir nous installer aux Émirats Arabes Unis pour une deuxième fois, nous avons profité d’un congrès à Genève pour visiter le nord de l’Italie. Cette fois, Venise était au programme, mais je ressentais une certaine ambivalence à l’idée d’y séjourner. Plusieurs idées se bousculaient dans ma tête.
Qu’arriverait-il, au final, si le rêve tournait au cauchemar?
Contrairement à mes souvenirs d’enfance, se pouvait-il que Venise soit sale, nauséabonde et superficielle?
Pire, mon pigeon blanc aurait peut-être quitté les lieux, désespéré de ne pas me voir revenir plus tôt? ;-)
J’avais peur d’être déçue par ce lieu, dont je souhaitais conserver un souvenir positif intact…
Nous avions décidé de savourer ce voyage en amoureux, pendant que notre fils aîné profitait de sa famille française en région parisienne. Malgré les apparences, nous n’étions pas complètement seuls puisque mon fils cadet nous accompagnait… in utero! Après un séjour en Suisse, à Milan et à Vérone, nous avons posé nos valises dans un petit hôtel de Venise, situé tout près du Pont Rialto. Nous y occupions une chambre spartiate dont les tapisseries et les meubles étaient un peu poussiéreux avec, en prime, un tapis très épais au sol qui faisait en sorte que la porte fermait difficilement. C’était parfait. Je me suis immédiatement sentie rassurée par les lieux qui étaient, de toute évidence, demeurés intacts depuis mon premier séjour à Venise, en 1982. D’une certaine façon, j’avais l’impression de revenir près de 30 ans en arrière. J’ai pris le temps de revisiter les lieux marquants de mon enfance en flânant dans les ruelles et en admirant la Place Saint-Marc à différentes heures du jour… avec les pigeons bien sûr! Nous avons passé des soirées merveilleuses à manger en terrasse : jambon et melon, pâtes et poissons… avec, pour mon homme, un petit verre de grappa à la fin du repas.
Mais au-delà de mes souvenirs d’enfant, nous avons aussi fait de belles découvertes en amoureux en prenant le vaporetto afin de visiter quelques îles de la lagune vénitienne. Nous avons terminé ce séjour par un tour de gondole de nuit (j’assume complètement ce cliché hors de prix qui était, à mes yeux, un incontournable!), en admirant les lumières de la ville qui s’endormait tranquillement. Entre deux chansons, le gondolier discutait avec nous en français, fier de sa ville et de son histoire, ponctuant son discours de « c’est incrédible! » (à lire avec un accent français).
Bref, Venise fut un voyage extraordinaire pour nous deux, surpassant nos attentes respectives… Et devinez quoi? J’ai même pu y voir mon pigeon blanc. Je lui ai d’ailleurs promis qu’il y aurait un « Venise – Acte IV », mais avec toute la tribu cette fois! À suivre donc…