L’histoire des reliques du Bouddha du stūpa de Piprahwa est une histoire folle à laquelle on a du mal à apporter du crédit, mais tout y est authentique malgré une accumulation de faits absolument improbables.
Tout commence dans la banlieue de Londres, dans une petite maison modeste d’un quartier tout aussi modeste, à la porte de laquelle on trouve une inscription dans une langue qu’on ne parle qu’à des milliers de kilomètres de là, dans ce qui reste des Indes… Sous un escalier, une boîte en bois, une cantine militaire en réalité, une vieille cantine provenant d’un héritage… Ce n’est pas l’histoire d’Harry Potter, mais ça commence presque pareil. L’homme qui garde ce trésor s’appelle Neil Peppé (même le nom de cet homme est improbable…), il est le petit-fils d’un certain William Claxton Peppé, un ingénieur et régisseur britannique vivant aux Indes, dans l’actuelle province de l’Uttar Pradesh (उत्तर प्रदेश), à la suite de son père et de son grand-père qui a fait construire la demeure familiale de Birdpore (actuelle Birdpur), un minuscule état créé par le Gouvernement Britannique.
Neil Peppé avec les joyaux trouvés par son grand-père dans le stupa de Piprahwa
Charles Allen examinant les joyaux de Piprahwa
Dans cette cantine, des photos de son grand-père, mais ce n’est pas réellement cela qui nous intéresse. Dans cette petite maison se trouve en réalité un trésor inestimable ; certainement un des plus petits musées du monde abrite, enchâssés dans de petits cadres vitrés, des perles, des fleurs en or, des restes de joyaux disséminés, des verroteries, de petites fleurs taillées dans des morceaux de pierres semi-précieuses, le tout provenant d’une excavation réalisées par le grand-père de Neil en 1897 dans le stūpa de Piprahwa, à quelques kilomètres de Birdpore. L’homme, qui n’est pas exactement archéologue, décide avec quelques uns de ses ouvriers, de percer un tumulus isolé en son point le plus haut. Ce qu’il découvre là, c’est une construction en pierre qui se révèle être un stūpa, ce qui était bien son intuition première. Après avoir dégagé les pierres de la construction, il tombe sur ce qui ressemble à un caveau, dans lequel il trouve un sarcophage qu’il se décide à ouvrir. Son intuition, la même que celle qui l’a poussé à entreprendre ces travaux, lui dit qu’il est en présence d’un trésor fabuleux. Dans le cercueil de pierre, il trouve cinq petits vases, cinq urnes comme on en trouve d’ordinaire dans la liturgie hindouiste, cinq objets façonnés modestement, et disséminées tout autour de ces objets, les perles et les verroteries que Neil exhibe fièrement dans ses cadres en verre. Il trouve également de la poussière dans laquelle sont éparpillés des morceaux d’os. Étrange découverte.
Stupa de Piprahwa
Reliques de Bouddha trouvées dans le stupa de Piprahwa
William Claxton Peppé est persuadé d’avoir trouvé un vrai trésor et pour se faire confirmer sa découverte, il décide d’en informer deux archéologues travaillant à une trentaine de kilomètres de là. Le premier, Alois Anton Führer, se déplace immédiatement après avoir posé une question à Peppé. Ce qu’on ne sait pas encore, c’est que Führer, cet Allemand travaillant à la solde du Gouvernement Britannique, est en réalité tout sauf archéologue. Même s’il a découvert de nombreux sites d’importance, c’est en réalité un escroc qui a falsifié certaines pièces ayant moins d’intérêt qu’elle n’en avaient après son passage. Si Führer se décide à se déplacer si rapidement, c’est parce qu’il a demandé à Peppé s’il y avait une inscription sur un des objets. Peppé ne s’était même pas posé la question, mais il remarque alors qu’un des petits vases porte une inscription dans une langue qu’il ne connaît pas. Il en reproduit fidèlement l’inscription. S’ensuit alors une période trouble pendant laquelle on accuse Führer d’avoir lui-même écrit sur le vase et d’avoir falsifié une fois de plus ces pièces. Mais l’homme est un piètre sanskritiste et l’inscription est suffisamment ancienne pour que l’homme ne connaisse pas cette langue. L’inscription est un peu maladroite, son auteur n’a pas eu assez de place pour tout noter et une partie de la phrase continue en tournant sur le haut de la ligne. Il y est dit : « Ce reliquaire contenant les reliques de l’auguste Bouddha (est un don) des frères Sakya-Sukiti, associés à leurs sœurs, enfants et épouses. » Ce qui fait dire aux spécialistes que ces reliques sont authentiques, c’est que le mot sanskrit utilisé pour désigner le mot reliquaire n’est utilisé nulle part ailleurs sur le même genre d’objets. Ce qui est certain, c’est que Führer n’aurait lui-même jamais pu connaître ce mot.
Mais alors, si ces reliques sont authentiques, qu’est-ce qui permet aux scientifiques d’affirmer que ces objets ont bien été ensevelis avec les restes du Bouddha ? Dans la tradition, le Bouddha Shakyamuni (« sage des Śākyas, sa famille et son clan ») a été incinéré et ses cendres réparties dans huit stupas. Afin de prendre un raccourci bien commode qui nous permettra de mieux comprendre l’inscription, voici l’histoire (source Wikipedia) :
Le Bouddha mourut, selon la tradition, à quatre-vingts ans près de la localité de Kusinâgar. Il expira en méditant, couché sur le côté droit, souriant : on considéra qu’il avait atteint le parinirvāṇa, la volontaire extinction du soi complète et définitive. Le Bouddha n’aurait pas souhaité fonder une religion. Après sa mort s’exprimèrent des divergences d’opinions qui, en l’espace de huit siècles, aboutirent à des écoles très différentes. Selon le Mahāparinibbāṇa Sutta, les derniers mots du Bouddha furent : « À présent, moines, je vous exhorte : il est dans la nature de toute chose conditionnée de se désagréger — alors, faites tout votre possible, inlassablement, en étant à tout moment pleinement attentifs, présents et conscients. » Selon ce même sutra, son corps fut incinéré mais huit des princes les plus puissants se disputèrent la possession des sarira, ses reliques saintes. Une solution de compromis fut trouvée : les cendres furent réparties en huit tas égaux et ramenées par ces huit seigneurs dans leurs royaumes où ils firent construire huit stūpas pour abriter ces reliques. Une légende ultérieure veut que l’empereur Ashoka retrouva ces stūpas et répartit les cendres dans 84 000 reliquaires.
Nous voilà à peine plus avancés. Seulement, en y regardant de plus près, les datations du stupa révèlent que celui-ci a été construit entre 200 et 300 ans après la mort du Bouddha, située entre 543 et 423 av. J.-C., ce qui correspond à l’époque à laquelle vécut le roi Ashoka (अशोक). L’inscription du vase elle-même correspond à une langue qui n’était pas encore utilisée à l’époque de la mort de Bouddha. Il y a donc un creux qu’il faut expliquer. Entre 1971 et 1973, un archéologue indien du nom de K.M. Srivastava a repris les fouilles dans le stupa et y a trouvé une autre chambre, dans laquelle se trouvait un autre vase, de conception similaire à celle du vase sur lequel se trouve l’inscription. Dans ce vase, des restes d’os datés de la période de la mort du Bouddha… Le faisceau de preuves est là. Le stupa est un des huit stupa contenant bien les restes du Bouddha, retrouvé par le roi Ashoka et modifié ; il a reconstruit un stupa par-dessus en conservant la construction initiale ; le sarcophage dans lesquels ont été retrouvés les cendres et les bijoux déposés en offrande est caractéristique des constructions de l’époque du grand roi.
Une question demeure. Pourquoi ces lieux de cultes ont-ils disparus de la mémoire des hommes alors que le bouddhisme a connu une réelle expansion depuis le nord de l’Inde ? Simplement parce que la doctrine du Bouddha a longtemps été considérée comme une hérésie par les hindouistes qui se sont livrés par vagues successives à des expéditions iconoclastes, suivis par les musulmans.
L’histoire ne s’arrête pas là. Les autorités britanniques, affolées par l’histoire pas très reluisante d’Anton Führer et de ses falsifications archéologiques, ont eu peur que l’affaire des reliques du Bouddha ne suscite des soulèvements de populations et ont offert en secret une partie de ces reliques (l’autre partie a été laissée à William Claxton Peppé) en guise de cadeau diplomatique au roi de Siam Rama V (Chulalongkorn), qui les fit inclure dans la construction du chedi du temple de la Montagne d’or à Bangkok (Wat Saket Ratcha Wora Maha Wihan, วัดสระเกศราชวรมหาวิหาร). Cent onze ans après ce don, les reliques du Bouddha ont été confiées à la France en 2009, lesquelles ont été déposées à l’intérieur de la pagode bouddhiste du bois de Vincennes.
Afin de comprendre l’histoire dans son intégralité, on peut revoir le documentaire racontant l’enquête de l’écrivain Charles Allen, diffusé il y a quelques temps sur Arte.