Un… Deux… Trois… Quatre… Cinq.
J’ouvre les yeux.
Des reliefs qui entourent un panorama qui me fait tourner la tête. Un sol lunaire. Une lumière changeante et miraculeuse qui sublime tout sur son passage. Le désert puis subitement l’oasis de verdure. L’immensité et le détail. Des couleurs qui s’échappent de l’espace intersidéral pour habiller une terre…
je ne suis plus aveugle.
Un… Deux… Trois… Quatre… Cinq.
J’écoute.
Un tonnerre de vague et de flots. La vapeur furieuse qui s’échappe des confins de la terre. Les cris des oiseaux en été. Une langue extraordinaire et des voix inconnues. Le craquement de la glace. Les différents états d’âme du vent, parfois discret, parfois sournois et aigu, parfois terrorisant et violent… je ne suis plus sourde.
Un… Deux… Trois… Quatre… Cinq.
Je sens.
Ce que certains pourraient détester : le soufre, l’œuf. La laine des moutons. L’eau naturellement chaude. La roche empreinte d’air marin. La sauvagerie des oiseaux sur les falaises. La terre humide. Les plantes minuscules qui émanent des trésors olfactifs…
je ne suis plus anosmique.
Un… Deux… Trois… Quatre… Cinq.
Je touche.
Du frais, du froid. Du chaud. Du mouillé. Du trempé. De la vapeur. Du vent. Du pierreux et du sableux. De la cendre crachée par le ventre d’un monstre avant qu’il ne se rendorme. Des crinières épaisses. La peau dure des chevaux. De rares plantes qui nous ordonnent de les effleurer. De la mousse survivante…
je ne suis plus anesthésiée.
Un… Deux… Trois… Quatre… Cinq.
Je goûte.
De l’eau pure. De la vapeur violemment rejetée par les cascades. De la pluie. Du beurre exquis. Du lait partout. Un goût ancestral faisandé. Du pain maison à tomber par terre. Du sel dans l’air. Du poisson frais. De la bière. Des végétaux survenus à la force de la géothermie. Des soupes réconfortantes…
je ne suis plus agueusique.
Un… Deux… Trois… Quatre…deux mille quinze.
Je viens vivre sur toi.
Maintenant que tous mes sens ont été choqués, violentés, envahis, ravis, ou apaisés.
Maintenant que tu m’as faite pleurer d’émerveillement.
Maintenant que tu m’as faite pleurer de rêve et de manque.
Maintenant que je sais que je ne verrai, n’entendrai, ne sentirai, ne toucherai, ne goûterai jamais une terre semblable à toi. Une terre aux plans originels parfaits, là où par miracle la puissance se mêle harmonieusement à la douceur.
Je veux continuer à vivre le trop plein d’émotions que tu remues en moi. Quand je le veux.
Maintenant. Juste sur le palier de ma porte.