Le refus de choisir m’habite depuis longtemps. Le refus de choisir un seul pays, un seul mode de vie, un seul domaine d’études, une seule ligne de pensée…
Pourquoi ce refus de choisir?
Parce que choisir, c’est trop souvent renoncer. Si certains choix sont faciles ou s’imposent d’eux-mêmes, d’autres sont complexes et sèment le doute dans mon esprit. Comprenez-moi bien, ce ne sont pas les choix à court terme qui me paralysent. Bien que je puisse me changer de tenue plusieurs fois avant de partir au boulot, j’arrive chaque jour à m’extirper de mon placard pour vaquer à mes occupations. ;-) Plus sérieusement, les choix quotidiens (quoi manger? quoi boire? quelles chaussures porter? quel roman lire? etc.) se font sans grands questionnements intérieurs. En revanche, les choix qui engagent sur un plus long terme, ce que certains appellent les choix de vie, me dérangent un peu plus. En fait, je n’aime pas l’idée de devoir choisir une seule route, un seul parcours.
Le refus de choisir une seule route, en ligne droite… La Vallée de la Mort, USAPlus jeune, je pensais que ma vie serait réussie si, vers l’âge de 25 ans, ma carrière était sur les rails, avec un mari aimant, un premier enfant en route et une maison décorée au goût du jour. Puis, j’ai franchi ce cap sans avoir envie de toutes ces choses (sauf pour le mari aimant qui était déjà dans ma vie depuis quelques années! ;-)). J’avais envie de poursuivre mes études un peu plus loin, de changer de programme (un baccalauréat en droit, une propédeutique en criminologie, des études de 2e et 3e cycles en travail social), de voyager en couple, de changer de ville – et d’appart – au fil des opportunités qui s’offraient à moi. C’est à 29 ans que j’ai donné naissance à mon premier enfant. C’était un choix réfléchi, un grand projet. Mais contrairement à ce que certains m’avaient dit, je ne considère pas que je me suis alors engagée dans un chemin tracé à l’avance de façon définitive, l’éternelle routine métro-boulot-dodo. J’ai eu une maison, puis j’ai changé pour une autre et une troisième… Mes murs ont été peints d’une vingtaine de couleurs. J’ai changé de ville, de pays. J’ai eu deux autres enfants extrêmement désirés eux aussi. Malgré tout, je ne me sens pas « figée » dans un seul choix.
Pourquoi en parler maintenant?
Parce que je lis beaucoup de blogueurs-voyageurs en ce moment et que je sens, chez certains, une tendance manichéenne à opposer des choses qui, à mes yeux, sont conciliables. Les enfants ou les voyages, un mode de vie nomade ou sédentaire, le luxe ou les voyages à petits budgets, le slow travel ou le city trip, le fait d’être touriste ou voyageur, les destinations authentiques ou artificielles. Évidemment, derrière ces oppositions, il y a une hiérarchisation implicite des expériences de voyages avec, au sommet de la pyramide, les âmes nomades et sans attache qui parcourent le monde avec le plus petit budget possible (et le sac à dos au poids le plus réduit) vers des destinations jugées plus authentiques, TOUJOURS en slow travel et JAMAIS comme le feraient de simples touristes.
J’ai fait un tour du monde avec 100 $ et cinq kilos de bagages… Qui dit mieux? – [J’exagère à peine!]
*** Euh…. Certainement pas moi. Juste l’idée me donne envie de me mettre en boule sur mon divan pour pleurer (je suis un peu douillette!).
Quand je lis ce genre de discours, j’hésite entre le rire et l’exaspération. Personnellement, je n’ai pas envie de m’enfermer dans une seule et unique façon de voyager. J’aime m’accorder des petits luxes en voyage, mais j’apprécie aussi découvrir un nouveau pays en Westfalia ou en faisant du camping sauvage. En outre, je ne vois pas en quoi il est inconcevable ou inapproprié d’accumuler à la fois des biens et des expériences à travers le monde. Mais les propos qui sont les plus dérangeants pour moi sont ceux qui opposent la maternité ou, plus globalement, la famille et les voyages.
Tu vas voyager enceinte? Mais c’est dangereux…
Tu vas accoucher à l’étranger? Pourquoi te rendre la vie aussi compliquée?
Tu vas suivre ton mari lors d’une expatriation dans un pays arabe? Où est la féministe en toi?
Tu vas voyager avec un bébé? Mais il est bien trop petit…
Tu vas voyager avec un enfant d’âge scolaire? Tu vas le mettre en situation d’échec…
Et, plus récemment…
Il faut que tu en profites pendant qu’ils sont encore petits, ils ne voudront plus vous suivre lorsqu’ils seront adolescents…
Bref, si j’en crois l’opinion de plusieurs, qu’ils aiment ou non voyager, vadrouiller aux quatre coins du monde serait une expérience réservée aux jeunes aventuriers, sans emploi ni enfant, ou encore aux retraités. Inutile de vous dire que cette vision ne me convient pas. J’aime voyager avec mes trois enfants, mais je ne me sens pas incompétente ou coupable lorsque je le fais sans eux. Je revendique le droit de ne pas entrer dans une petite case qui déterminera l’éventail des possibilités qui s’offrent à moi. Je choisis d’avoir le droit de changer d’idée, de maison, de pays. Je choisis de garder la porte ouverte vers d’autres horizons…
Une porte à ouvrir sur d’autres horizons, village de Birkat Al-Mawz – Sultanat d’OmanEt choisir pour mes enfants?
Bien sûr, il y a des règles à la maison et les enfants ne font pas ce qu’ils veulent quand ils le veulent (loin de là). Mais dans la mesure du possible, j’essaie de cultiver chez eux l’ouverture sur plusieurs avenues.
Exemple vécu lors de notre expatriation à Dubaï, alors que notre fils fréquentait une école libanaise laïque, où plusieurs religions demeuraient toutefois très présentes sur la cour d’école :
Maman, c’est qui le vrai Dieu? Qui a raison entre mon ami musulman et mon ami catholique?
[Mon éternelle réponse] Toi, tu en penses quoi?
[Soupir]… Je savais que tu répondrais ça…
Je ne me défile pas, je reste malgré tout honnête. Mon fils sait que nous sommes, mon mari et moi, agnostiques. Nous ne savons pas si Dieu existe. Point. Je ne trancherai pas cette question pour lui. Il l’a fait lui-même et il a décidé de croire en Dieu. Ses choix sont plus faciles que les miens. Qu’il croit ou non en un dieu m’importe peu. L’important, à mes yeux, c’est qu’il soit ouvert à la différence et qu’il ne juge pas trop facilement les autres. Et pour développer ce genre d’ouverture, le voyage est la meilleure religion. ;-)
Autre exemple, à notre retour au Québec :
Le drapeau du Liban, réalisé par mon fils qui se sent un peu LibanaisMaman, est-ce que je suis 100 % Québécois… Mon ami, untel, m’a dit que je suis 50 % Québécois parce que je suis 50 % Français.
Toi, tu en penses quoi? [et oui, encore!]
Je pense que je suis 100 % Français et 100 % Québécois… Et un peu Libanais aussi… Ça se peut maman?
Oui, bien sûr [grand sourire intérieur].
J’aime voyager et expérimenter de nouvelles façons de le faire. Je pense que c’est ce qui fait aussi que je ne me sens pas blasée des voyages et que j’arrive à transmettre cette passion à mes enfants. Je ne crois pas qu’une façon de voyager en surpasse une autre, qu’une destination soit plus intéressante pour tout le monde. L’appréciation d’un voyage est essentiellement subjective, une expérience personnelle que l’on peut partager sans pour autant dénigrer d’autres façons de faire. Bien sûr, certains choix s’imposent, que ce soit par manque de temps ou de ressources financières… Mais je préfère les voir comme des rêves à réaliser plus tard, un rendez-vous qui ne se fait pas dans l’immédiat mais qui se fera un jour, quand le contexte sera plus favorable. Je ne ferme pas la porte. Je préfère dire « au revoir » que larmoyer quelques adieux.
Pour approfondir plusieurs éléments abordés rapidement dans cet article, voici quelques liens vers des billets d’autres blogueurs qui ont alimenté ma réflexion :
La compétition monétaire entre Backpacker – Two Travel Lovers
Quel est l’âge idéal pour voyager? – Un sac sur le dos
Voyage au long cours vs City Trip – Un sac sur le dos
Voyager loin durant l’enfance peut-il rendre le futur voyageur blasé? – La Grande Déroute
Faut-il voyager loin avec ses enfants? – Autour des voyages