Airwaves, quel beau festival ! On y chante, on y danse, on y chante encore. Autant j’aime l’effervescence que crée l’événement dans Reykjavik, autant je ne parviens pas à apprécier les débordements grotesques de nos gouvernants. Nous ne sommes manifestement pas sur la même longueur d’ondes.
Le gouvernement islandais, on le sait, ne cesse de surprendre. Les deux partis traditionnels, bien ancrés dans l’administration, avaient, on s’en souvient, remporté les élections en promettant qu’une somme considérable serait accordée immédiatement à tous les foyers ayant subi des pertes du fait de la chute des banques en 2008. L’électeur lambda pensait naïvement qu’un chèque serait déposé dans sa boîte aux lettres. Bien entendu, rien de tel ne s’est produit, au contraire. La compensation est allée aux foyers les plus riches, bien tard et sur des bases de calculs pour le moins douteuses.
En effet, la compensation a été financée par une hausse d'impôt, et elle reste sans effet pour ceux qui en auraient vraiment besoin, étant donné qu’elle profite surtout à ceux qui ont été les plus extravagants juste avant la crise. Le premier ministre avait promis bien davantage pour les groupes défavorisés, et il avait aussi promis de révoquer immédiatement l’indexation et autres contraintes financières. Or, ce chantier n’a pas vraiment été abordé. En contrepartie, le financement des services publiques de santé et d’éducation s’est trouvé cruellement amputé. À présent, le premier ministre et son porte-parole (que les Islandais appellent le décodeur SDG) affirment que les promesses électorales ont été mal interprétées. Or, nous vivons une ère où les clips vidéo retiennent ce que les politiciens voudraient qu’on oublie, et nous voyons bien, preuves audiovisuelles à l’appui, que ce qui a été accordé par le gouvernement n’est pas du tout ce dont il était question au départ.
Depuis son élection, le premier ministre, Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, se distingue surtout par son vif engouement pour la pâtisserie. Il n’est quasiment jamais présent lors des sessions du parlement, et quand rarement on l’y voit, il n’écoute pas, ou s’éclipse pour manger du gâteau lorsqu’un membre du parlement lui adresse la parole. Sigmundur apprécie aussi les journalistes, mais pour s’en plaindre; la presse serait négative et perturbante pour son travail. Nul doute que s’ils étaient en pain d’épices…
Le ministre des finances, Bjarni Benediktsson, a formé le gouvernement avec Sigmundur Davíð après plusieurs semaines de concertation et de dégustation de crêpes (décidément !). Il a du mal à suivre son premier ministre et semble parfois dépassé par les événements. Il avait été fort surpris, et il n’était pas le seul, lorsque le président Ólafur Ragnar Grímsson a confié à Sigmundur Davíð le soin de former un nouveau gouvernement, alors que le parti de Bjarni avait remporté la majorité. Depuis la lune de miel avec crêpes, Sigmundur Davíð se la joue solo sans soumettre grand chose à son collègue et associé.
Le ministre de l’éducation et de la culture (Illugi Gunnarsson) a quant à lui provoqué un certain émoi dans le public en raison de ses velléités d’annihilation de la radio et de la télévision publique (il nomme ça « privatisation »). En réalité, c’est plutôt l’énergie son terrain de prédilection; son nom est d’ailleurs souvent à celui de l’entreprise Orka Energy, qui a des antennes en Asie, et pour laquelle il travaillé.
La nature islandaise, sous les traits de Björk et d’Andri Snær, fait irruption au festival Airwaves
Ah, l’énergie, toujours elle. Justement, parlons-en un peu ! On veut nous sacrifier sur son autel, et l’île merveilleuse avec. Peut-être avez-vous suivi l’appel au secours d’Andri Snær Magnason et de Björk le 6 novembre dernier, profitant de la présence de la presse étrangère venue à Reykjavík pour le festival Airwaves ?
Ils demandent un soutien contre les autorités islandaises. Cette fois encore, les deux artistes ont révélé l’intox massive propagée par le Premier ministre et le Président au sujet de l’exploitation de l’énergie islandaise, cette fois en vue de son exportation vers les îles britanniques. Le fait est que l’Islande produit déjà beaucoup plus d’énergie qu’elle n’en utilise, et que les usines d’alu vampirisent les centrales. Une usine d’alu capte autant d’électricité qu’un million d’habitants. En fait, l’électricité est vendue à bas prix au géants de l’alu, tandis que les 320 mille usagers islandais paient le prix fort. Par ailleurs, comment oublier les ravages produits par le monstrueux barrage de Kárahnjúkar ? Cette expérience désastreuse devrait nous dissuader de continuer sur cette voie.
D’ailleurs, durant leur conférence de presse, Björk et Andri Snær ont aussi présenté leur projet de parc national au coeur des hauts plateaux islandais, pour les protéger des autorités voraces qui veulent y planter des pylônes dans tous les sens en vue de l’exportation d’énergie. Nous avons jusqu’au 17 novembre pour protester; ceux qui le souhaitent peuvent signer la pétition.
La ministre de l’industrie et du commerce, Ragnheiður Elín Árnadóttir, a réagi en disant qu’il aurait été plus élégant de la part de nos amis artistes d’entamer une collaboration avec le ministère. Apparemment, elle avait oublié tous les recours, tous les appels, toutes les signatures amassés au fil des ans. C’est à se demander si cette bonne personne, instigatrice et championne de l’abracadabrantesque pass-nature, a bien passé ces dernières années en Islande.
Finissons ce festival macabre avec une autre ministre, Eygló Harðardóttir, chargée des affaires sociales et du logement. Cette dame a résolu toute seule le problème du logement trop cher. En effet, la ministre a trouvé la formule choc. Pour chaque maison construite, il faut l’intervention d’une dizaine d’entrepreneurs du secteur du bâtiment. Si chacun de ces entrepreneurs accorde une réduction de 10%, on en arrive à un coût zéro. Dix entrepreneurs, multiplié par dix pour cent de réduction, égale zéro de frais, vous me suivez ? Les voies de l’arithmétique selon Eygló restent pour moi un mystère !
Pour épargner les âmes sensibles, nous ne parlerons pas ici du ministre des affaires étrangères, ni de celui de la santé, un sujet bien pénible.
Bref, tandis que le bal des vampire se poursuit, le merveilleux festival rock Airwaves s’est achevé il y a 15 jours et ce fut un très beau week-end à Reykjavík.