Ce n’est pas un scoop pour quiconque suivant mon blogue, j’adore voyager et, plus encore, j’adore voyager avec mes enfants. C’est une façon, pour moi, de combiner deux grandes passions qui animent ma vie en la rendant plus belle. Voyager avec mes enfants me permet de découvrir le monde à travers leurs yeux, d’être attentive à des petites choses qui échappent souvent au regard de l’adulte. C’est aussi offrir à mes enfants une ouverture incroyable sur le monde et les différences qui l’animent, en termes de langues, de coutumes, de religions, de climats, de paysages ou, tout simplement, de couleurs de peau. Avec des enfants, les gens viennent à nous de façon naturelle, en laissant tomber leurs barrières ou leurs préjugés beaucoup plus facilement. On sent immédiatement une connivence avec les autres parents, peu importe leur origine, comme si nous partagions tous un même secret. D’une certaine façon, notre rôle de parent nous unit, nous donne un point commun qui permet de dépasser nos différences, de se comprendre au-delà des frontières terrestres, linguistiques et culturelles.
Et là, vous vous demandez si vous avez bien lu le titre de ce billet. Qu’est-ce qu’elle nous fait avec sa grande introduction? Elle veut nous parler des bienfaits des voyages avec ou sans ses enfants?
Ma réponse est la suivante : Doit-on vraiment choisir une seule et unique ligne de conduite? Je ne crois pas. J’adore voyager avec mes trois enfants. Ce n’est pas une chose qui m’angoisse ou qui me rend inconfortable, bien au contraire. Malgré tout, il m’arrive de voyager sans mes enfants. Pire encore, ils voyagent parfois sans moi et, tenez-vous bien, ils ADORENT ça. Vous comprendrez ici que mon ton est sarcastique. Avouons-le, ce n’est pas cette tendance qui anime les mamans-voyageuses-blogueuses en ce moment. La mode est plutôt au « slow travel » en famille. J’en ai moi-même fait l’éloge dans mon billet sur les 10 règles d’or d’une maman voyageuse. Seulement voilà, si j’aime voyager avec mes enfants en mode « slow », mes expériences et mes envies de voyages ne se résument pas à cette tendance. Il m’arrive aussi de voyager sans mes enfants en mode « ultra-speed ». Parce qu’une occasion professionnelle se présente et me permet de voir du pays, sans disposer d’énormément de temps. Ou encore parce que nous avons besoin, mon conjoint et moi, de prendre une pause, d’enfiler des kilomètres sur la route pour le simple plaisir d’être ensemble, tout en faisant preuve de gourmandise en découvrant un maximum de choses en peu de temps… [parce que forcément, les enfants nous manquent à un certain moment et que l’envie de rentrer pour les retrouver se fait pressante!]
Si j’ai décidé d’écrire sur ce sujet aujourd’hui, c’est parce que je sens beaucoup de préjugés entourant le fait de voyager sans ses enfants. Pendant la période estivale, j’ai lu un article publié par une sexologue qui discutait des bienfaits des voyages en couple. Ce n’est pas le billet qui a véritablement retenu mon attention (je ne le retrouve plus d’ailleurs!), mais surtout les échanges qu’il a suscités sur les réseaux sociaux. Je trouvais ces échanges très négatifs et culpabilisants pour les mères qui voyagent sans leurs enfants, certains allant même jusqu’à mettre en doute leur compétence parentale. Et là, je me suis sentie doublement interpellée. Comme maman voyageuse, d’abord, mais aussi comme professeure-chercheure qui s’intéresse au rôle parental depuis une dizaine d’années.
Pour en finir avec la culpabilité qui colle souvent au rôle de parent et, plus encore, à celui de maman, j’ai identifié cinq mythes récurrents entourant l’idée de voyager sans ses enfants. Sans en faire une analyse exhaustive, je vous partage ici mes réflexions sur le sujet.
1. « Quand on devient parent, on devrait TOUJOURS avoir envie de TOUT faire avec nos enfants »…
La phrase qui tue : « vous n’aviez qu’à y penser avant de faire des enfants! »… Un peu comme si le fait de devenir parent interdisait d’avoir une vie en dehors des enfants, retirait le droit de conserver des aspirations personnelles ou des projets de couple. Comme si le mot « famille » devait nécessairement écraser ceux de « couple » et d’ « individu ». Avoir un enfant et développer une relation privilégiée avec ce dernier implique évidemment de passer du temps avec lui.
Mais un bon parent doit-il nécessairement tout faire avec ses enfants? Bien sûr que non!
Je suis d’avis que l’on peut faire beaucoup de choses avec des enfants et j’ai rarement hésité à voyager avec les miens pour des raisons de sécurité. J’ai pris l’avion enceinte, j’ai vécu un accouchement au Moyen-Orient, mes enfants ont été scolarisés à l’étranger, j’ai allaité dans des dizaines d’endroits incongrus (en plein cœur du désert, dans un ascenseur entre deux femmes entièrement voilées, lors d’un trek à dos d’éléphant, etc.)… Bref, mes limites sont plutôt larges lorsqu’il s’agit de vivre de nouvelles expériences avec mes enfants.
Malgré tout, certaines activités demeurent moins appropriées pour un jeune enfant et, dans certains cas, sont carrément interdites afin de ne pas compromettre sa sécurité ou son développement. Sauter en parachute, chasser la lave d’un volcan actif, jouer au casino et faire de la plongée en sont quelques exemples. Que fait-on alors? On s’en prive jusqu’à ce que nos petits soient en âge de nous accompagner en se disant qu’on aurait dû « y penser avant »? On échafaude des plans détaillés pour notre retraite, en rêvant du jour où ils voleront de leurs propres ailes? On ne vit jamais ces moments en couple pour qu’un parent puisse toujours demeurer auprès des enfants pendant que l’autre prend son pied en solo?
À chacun sa solution, bien sûr, l’important étant à mes yeux de se sentir en paix avec ses choix sans juger trop rapidement ceux des autres… Nous avons choisi de faire un peu de tout. Certains de nos voyages sont donc centrés davantage sur nos enfants, alors que d’autres sont plus personnels (notamment en lien avec nos engagements professionnels) ou davantage axés sur notre couple. C’est notre façon d’atteindre un équilibre entre nos différentes sphères de vie et nos passions. Dans la construction de la relation parent-enfant, la quantité de temps investie est importante, mais la qualité l’est tout autant… Sinon plus! Prendre du temps pour moi ou pour partager des moments d’intimité avec mon amoureux, que ce soit en m’envolant une semaine à l’étranger ou en improvisant une simple escapade d’une journée à quelques heures de mon domicile, me permet de revenir plus détendue et à l’écoute de mes enfants, d’être une meilleure maman [Et là, il importe de comprendre qu’il s’agit de mon vécu et que, par essence, il est subjectif… Je ne cherche en aucun cas à dire que toutes les femmes devraient se sentir ainsi].
2. « Partir en voyage sans son enfant fait NÉCESSAIREMENT naître en lui un sentiment d’abandon ou d’insécurité »…
Ici, les « faux-adeptes » de la théorie de l’attachement s’en donnent à cœur joie sur les réseaux sociaux, en oubliant pourtant certains principes fondamentaux énoncés par Bowlby, Ainsworth et cie. Selon la théorie de l’attachement, l’enfant a besoin de se sentir protégé par une personne adulte pour bien se développer. Contrairement au phénomène de l’empreinte que l’on retrouve chez certains oiseaux (se référer aux travaux en éthologie de Lorenz à ce sujet), les comportements d’attachement ne sont pas fixés définitivement dès le début de la vie chez l’humain. L’attachement est, au contraire, un processus qui se développe au fil du temps et des interactions entre l’enfant et les adultes qui l’entourent. Parce qu’il ne peut s’exprimer avec des mots, le nourrisson développe des comportements de signalement (pleurer, crier, babiller, etc.) et de rapprochement (s’agripper, sourire, etc.) afin d’exprimer ses besoins. Si sa figure d’attachement, un parent dans la plupart des cas, répond aux comportements de signalement et de rapprochement de l’enfant, ce dernier développe un sentiment de confiance. C’est que ce l’on appelle la « base sécurisante ». L’enfant développe ainsi un modèle interne opérant (sécurisant ou non) qui lui permet de prévoir et d’interpréter les comportements des autres (ouverture ou méfiance).
Pourquoi je vous raconte tout cela? Parce que plusieurs semblent arrêter ici leur lecture de la théorie de l’attachement lorsqu’ils l’adaptent à la situation des parents voyageurs en se disant qu’ils doivent TOUJOURS être présents pour leurs enfants, faute de quoi ces derniers vont développer de l’insécurité ou se sentir abandonnés. Or, la suite de la théorie (qui circule beaucoup moins sur les réseaux sociaux) est très importante pour notre propos. Cette « base sécurisante » permet à l’enfant d’adopter des comportements d’exploration et d’autonomie. Donc oui, le parent a un rôle important à jouer pour rassurer son enfant… Mais ultimement, c’est pour que cet enfant soit suffisamment en confiance pour chercher à découvrir et à comprendre le monde qui l’entoure. Lorsque l’enfant sait qu’il peut compter sur sa figure d’attachement, il peut plus facilement explorer son environnement et aller vers les autres. Avec le temps, il n’a plus besoin de la présence de son parent pour se sentir rassuré.
Le rôle d’un parent est, bien sûr, de répondre aux besoins de son enfant, de développer avec lui une relation affective de qualité en faisant preuve de chaleur, d’amour, d’empathie et de disponibilité, tout en lui offrant un cadre et des règles de vie favorisant son épanouissement (vaste programme, n’est-ce pas?). Mais être parent, c’est aussi aider son enfant à devenir compétent socialement, stimuler sa curiosité pour le monde qui l’entoure, favoriser son autonomie, faire le pont entre ses besoins et les ressources présentes dans l’environnement. En ce sens, le parent est un médiateur, un guide. Voyager avec son enfant peut permettre à ce dernier de s’ouvrir aux autres, au même titre que d’autres expériences de vie… Tout comme voyager sans son enfant, en confiant sa garde à une personne de confiance. Évidemment, l’enfant doit être bien préparé au départ de son parent, et ce, en tenant compte de son âge, de sa maturité et de son tempérament. À cet égard, il est primordial de choisir des personnes de confiance qui ont déjà un bon lien avec notre enfant et qui partagent nos valeurs éducatives. Pour nous, ce sont les grands-parents. Ils sont impliqués au quotidien dans notre vie : mamie accueille les enfants pour le lunch du midi, papou accompagne nos fistons à leurs cours de musique et de karaté (nous habitons le même quartier). Ils connaissent notre routine et, surtout, ils adorent nos enfants. Nous préparons les enfants à notre départ avec un calendrier et nous faisons en sorte d’être en contact avec eux pendant notre absence en leur envoyant des messages et des photos. De façon générale, nos enfants ont hâte de nous voir partir et de vivre des moments spéciaux avec leurs grands-parents… Mais rassurez-vous, ils sont aussi très heureux de nous retrouver au retour!
3. « Plus il y a d’adultes investis dans l’éducation d’un enfant, plus l’enfant est CONFUS et MALHEUREUX »…
Je le dis souvent, mais je pense que c’est important de le répéter :
L’amour ne se divise pas, il se multiplie.
En tant que parents, nous avons un rôle important à jouer auprès de nos enfants… Mais nous ne sommes pas les seuls! Les grands-parents de l’enfant, ses onces et tantes, un beau-père ou une belle-mère, vos amis et les siens, ses cousins, ses enseignants ou ses éducateurs peuvent aussi lui apporter beaucoup. Lui donner le droit d’aimer ces personnes, explicitement ou tacitement, augmente le capital d’amour qu’il recevra en retour. Comme le dit le célèbre dicton : « Ça prend tout un village pour élever un enfant »! À mes yeux, plus mes enfants sont entourés d’amour, mieux ils s’en sortiront dans la vie. J’essaie donc de créer des conditions qui favorisent, pour mes enfants, le développement de liens significatifs avec d’autres adultes. Lors de nos voyages en Europe, ce sont souvent les membres de notre famille française qui sont interpellés. Nous organisons notre séjour pour qu’ils puissent passer des moments avec un ou deux enfants, sans que nous, les parents, soyons présents. Ces moments nous permettent de favoriser des duos ou des trios, en passant des moments privilégiés avec l’un de nos enfants ou en amoureux. Ce sont des vacances pour nous, mais aussi pour les enfants. Nous passons plusieurs jours avec eux dans la maison familiale, celle où mon mari a grandi, avant de partir vers une autre destination. Ils ont ensuite la chance de faire plusieurs activités avec leur famille française, que ce soit à Paris, en Bretagne ou en visitant les châteaux des Yvelines ou de la Loire. En notre absence, nos enfants créent leurs propres souvenirs avec des membres de leur famille qu’ils ne peuvent pas voir au quotidien. Les liens se solidifient, parce que ce sont ces personnes qui vont les border pour la nuit, leur donner des bisous magiques pour soigner une blessure, les aider à prendre leur bain, préparer une nouvelle version de leurs plats préférés… Ils sont ensuite ravis de nous raconter leurs aventures et de nous poser des questions sur notre périple.
4. « Partir en voyage sans son enfant, c’est faire preuve d’ÉGOÏSME »…
Partir en amoureux, s’offrir un moment à deux pendant que les enfants restent à la maison, est-ce faire preuve d’égoïsme? C’est certainement propice à la détente et aux rapprochements amoureux, c’est une décision que l’on peut prendre pour soi ou pour son couple… Mais ce n’est pas nécessairement facile ni égoïste. Même en pouvant compter sur le soutien de personnes de confiance et en sachant que nos enfants seront bien pendant notre absence, quitter le cocon familial suscite souvent un sentiment d’ambivalence ou de malaise. Je pense que c’est ce sentiment qui fait dire à certains parents : « je ne pourrais JAMAIS voyager sans mes enfants, je les aime trop! » ou encore « j’aurais l’impression de me séparer d’une partie de moi ». Je pense qu’il faut alors se poser des questions essentielles :
Aux besoins de qui essayons-nous de répondre? Projetons-nous nos propres craintes sur nos enfants? Qui essayons-nous de protéger au final?
L’enfant n’est pas un prolongement de son parent, mais une personne distincte. À trop vouloir être en symbiose avec lui, on peut perdre de vue ses besoins qui ne sont pas nécessairement identiques aux nôtres. Je ne suis pas meilleure que les autres parents, loin de là. Moi aussi j’ai mes doutes, mes craintes, mes zones d’inconfort. Avec ma petite dernière, qui vient tout juste d’avoir un an et qui est une grande prématurée (j’en parle ici), les séparations ont toujours été courtes et difficiles – pour moi… ma fille est pas mal plus forte que sa maman! Pour l’instant, elle nous a toujours accompagnés dans nos déplacements et je suis incapable de la laisser à une autre personne que ses grands-parents. J’ai toujours peur qu’une chose terrible lui arrive. Ce n’est pas rationnel ni justifié, puisqu’elle ne présente aucun retard ni aucune séquelle de son début de vie difficile. Je travaille là-dessus. Je me laisse du temps… Tout en étant pleinement consciente que les séquelles de sa prématurité, c’est moi qui les porte et non elle. Malgré tout, c’est important pour moi de lui permettre de créer des liens avec d’autres personnes, comme je l’ai fait avec mes garçons. Avec eux aussi, j’ai trouvé difficile (et je trouve encore difficile) de lâcher prise… C’est la raison pour laquelle j’ai envie de vous dire que voyager sans ses enfants est, bien souvent, aux antipodes de l’égoïsme. Au contraire, c’est par altruisme que l’on permet à ses enfants de s’attacher à d’autres personnes, de vivre leurs propres expériences, de s’éloigner pour mieux revenir vers nous. C’est un don énorme qui n’est pas toujours facile à faire.
5. « Quand on devient parent, le couple EST MOINS IMPORTANT. Voyager en couple n’est donc plus pertinent »…
Je trouve cette affirmation d’une tristesse infinie… Comme si l’idée de s’oublier en tant que personne ou comme couple allait aider nos enfants à se sentir mieux… Je peux très bien comprendre qu’une personne ne ressente pas le besoin de voyager ou qu’elle soit comblée de le faire en famille en impliquant toujours ses enfants dans l’aventure. Ce que je ne comprends pas, en revanche, ce sont les gens qui se privent de leurs anciennes passions, qu’ils auraient pourtant envie d’assouvir, parce qu’ils ont des enfants. À mes yeux, avoir un enfant n’est pas synonyme de renoncement. Mes enfants ne m’empêchent pas de vivre mes rêves, ne sont pas un frein à mes élans. Dans certains cas, ils ont pu les transformer. Non pas parce que ces rêves seraient irréalisables avec des petits, mais plutôt parce qu’ils évoluent maintenant avec eux et parce que je change aussi en tant que personne. Je n’ai pas les mêmes envies que lorsque j’ai commencé à voyager en couple à 20 ans. Mais je persiste à croire qu’il ne faut pas s’oublier comme personne et comme couple pour former une famille saine et heureuse. L’idée n’est pas forcément de voyager en couple, mais de partager une activité qui nous permet de nous retrouver, de se conserver aussi des moments pour soi. Car avant d’être une famille, nous étions un couple et, avant de former ce couple, nous étions des personnes avec des aspirations différentes. Dans une famille, ces trois facettes demeurent importantes et reliées entre elles.
En terminant, je tiens à préciser que je suis consciente que nous voyageons plus que la moyenne des gens et que nous bénéficions de conditions favorables et d’un soutien extraordinaire pour le faire. Ce sont évidemment des éléments qui nous permettent de voyager l’esprit en paix, que ce soit avec ou sans nos enfants. Mais il s’agit surtout d’un choix. Le nôtre. Je comprends très bien que des parents fassent des choix différents. Ce que j’ai souhaité mettre de l’avant, dans ce billet, c’est la diversité que peut prendre le vécu de parent et celui de voyageur. J’espère ainsi avoir ébranlé certains préjugés ou contribué à un échange constructif sur le sujet.